«Est-ce que les Algériens avaient les moyens pour jouer l'attaque à outrance ? C'est la question que je me pose. » Après avoir été l'adjoint de Roger Lemerre à la tête de la sélection tunisienne, Nabil Maâloul s'est reconverti lui aussi en consultant à Al Jazeera Sport. Ses six ans passés aux côtés de Lemerre lui permettent de prodiguer de précieux conseils aux Algériens avant le choix du nouveau sélectionneur. Entretien. Pourriez-vous nous faire un bilan de cette Coupe du monde ? Même si la compétition n'a pas encore pris fin, on peut dire que cette Coupe du monde ne restera pas dans les annales concernant son niveau technique. Peut-être parce que plusieurs prétendants sont sortis trop tôt de la compétition à l'instar de l'Argentine et du Brésil qui viennent juste d'être éliminés. Les deux finalistes de la dernière épreuve, à savoir la France et l'Italie, ont fait pire en se faisant éliminer au premier tour. Quelle a été la satisfaction jusque-là ? L'Allemagne sans conteste. Tactiquement, ils sont presque infaillibles ; physiquement, ils sont très bien préparés et mentalement ils sont égaux à eux-mêmes. Ils ont une approche défensive, exceptionnelle et tous leurs joueurs sont portés vers l'attaque. Par exemple, Khedira, qui est meneur de jeu à Stuttgart, et Schweinsteiger, qui est milieu offensif droit, jouent milieux défensifs en sélection. Ozil, Podolski et Müller sont des attaquants en club, mais jouent au milieu en sélection pour plonger vite en attaque et soutenir Klose. Ce dernier, malgré une saison mi-figue mi-raisin au Bayern, est en train de briller de mille feux depuis le début de cette Coupe du monde. Juste derrière les Allemands, il y a les Espagnols qui, même s'ils n'ont pas encore confirmé leur statut de favoris, avancent tranquillement vers la finale. Le jeu espagnol à une touche de balle va beaucoup inquiéter les Allemands en demi-finale. Cinq équipes africaines sur six éliminées au premier tour. Est-ce une déception pour vous ? En tant que Tunisien je suis déçu, mais je ne suis pas surpris. La seule déception, c'est peut-être la Côte d'Ivoire qui était dans un groupe à sa portée. Oui, je croyais vraiment que les Ivoiriens avaient les moyens de battre le Portugal. Pour moi, le groupe de l'Algérie était plus difficile que celui de la Côte d'Ivoire. Il n'y avait donc rien à espérer dans le groupe de l'Algérie ? Il y avait peut-être un bon coup à jouer contre la Slovénie, l'équipe la plus abordable du groupe. En revanche, l'Angleterre est arrivée en Afrique du Sud avec le statut de favori grâce à ses neuf victoires sur dix en éliminatoires. Les Etats-Unis font désormais partie des meilleures sélections du monde et ils l'ont prouvé lors de la Coupe des confédérations. En Algérie, on pense que l'équipe a péché par excès de prudence en jouant d'abord pour ne pas perdre. Est-ce votre avis ? Est-ce que les Algériens avaient les moyens pour jouer l'attaque à outrance ? C'est la question que je me pose. Vous n'avez pas des joueurs exceptionnels devant pour pouvoir attaquer. Vous n'avez plus Assad, Madjer, Belloumi ou Menad qui pouvaient faire la différence à n'importe quel moment du match. Je ne suis pas en train de défendre Rabah Saâdane, mais son approche a été faite par rapport aux joueurs qu'il a sous la main, ni plus ni moins. S'il avait de la qualité devant et qu'il avait joué la prudence, on lui aurait fait des reproches, mais ce n'est malheureusement pas le cas. Saâdane a joué avec les moyens du bord, vous me comprenez ? Une bonne assise défensive, un milieu bien garni et tout miser sur les contres. Même lorsqu'ils ont perdu, les Algériens étaient tactiquement bien en place. Face à la Slovénie et jusqu'à l'expulsion de Ghezzal, ils avaient le match en main. Comment jugez-vous la prestation des Algériens face aux Anglais ? Les Algériens ont joué un match exceptionnel. Il manquait juste la dernière passe pour espérer battre les Anglais. Athlétiquement, ils ont fait jeu égal avec les Anglais. Malheureusement, ils ne pouvaient pas répéter la même prestation face aux Américains surtout sur le plan physique. En conclusion, on ne peut rien reprocher à Rabah Saâdane parce qu'il a joué avec les moyens du bord. Aujourd'hui le débat en Algérie est s'il faut engager un technicien étranger ou s'il faut continuer à faire confiance à l'entraîneur local ? C'est un débat que j'ai vécu en Tunisie après avoir travaillé pendant six ans avec M. Roger Lemerre. Personnellement, je ne connais pas le bonhomme, mais Saâdane a réalisé un travail monstre à la tête de la sélection algérienne. Soyons logiques ! Après le tirage au sort, y avait-il un seul Algérien qui rêvait d'une qualification en Coupe du monde ? Du président de la République au simple citoyen ? Personne ne s'attendait à toute cette joie qui a succédé au match du Soudan. Ce qu'a fait Rabah Saâdane avec les gens qui l'ont entouré, avec M. Raouraoua, ne doit pas être ignoré. La meilleure solution, à mon avis, c'est la stabilité. Ces gens-là doivent continuer leur boulot. Ne soyez pas ingrats comme on a l'habitude de l'être dans tous les pays arabes, notamment au Maghreb. C'est vrai que l'Algérie n'a inscrit aucun but durant ce Mondial, c'est vrai aussi qu'elle n'a pris qu'un seul point, mais son parcours a été honnête. Je ne suis pas en train de jeter des fleurs à Saâdane, mais l'Algérie ne pouvait pas faire mieux que ce qu'elle a fait. Ramenez Zagalo ou Herrera ou qui vous voulez, ils n'auraient pas fait mieux que Saâdane. On peut mettre en place une tactique pour gêner l'adversaire, mais si on n'a pas la qualité devant, on ne peut rien faire. Pour moi, le meilleur choix pour l'équipe d'Algérie, c'est de maintenir Rabah Saâdane parce qu'il connaît le groupe mieux que quiconque. Vous avez pourtant travaillé pendant six ans avec Lemerre, un Français... L'option de l'étranger pourrait être bonne, mais l'entraîneur étranger aura besoin de temps pour connaître les joueurs et les dessous du football algérien. Or, les éliminatoires de la CAN sont à nos portes et les Algériens ne peuvent pas se louper après avoir atteint les demi-finales de la CAN et joué le Mondial. Comment M. Lemerre que vous avez côtoyé de près a-t-il pu réussir en Tunisie ? Il est resté six ans à la tête de la sélection, un record en Afrique. Il a eu le temps de connaître la mentalité tunisienne. On a réalisé un grand travail et les Tunisiens ont vécu leurs plus belles années avec leur équipe. On a gagné la CAN-2004, on a fait la Coupe des Confédérations 2005, on a joué les CAN 2006 et 2008, le Mondial-2006. C'était une période exceptionnelle pour le football tunisien. Malgré tout ça, je suis pour un entraîneur local qualifié. Après le départ de Lemerre, on s'attendait à ce que pour preniez naturellement le relais. Pourquoi vous ne l'avez pas fait ? Parce que la nouvelle équipe fédérale voulait tout effacer pour recommencer à zéro. En deux ans, ils ont réussi à casser six ans de travail. Le football tunisien est revenu dix ans voire vingt ans en arrière. Défaite contre le Botswana, dégringolade du niveau de l'équipe nationale, incapacité à se qualifier en Coupe du monde dans le groupe le plus facile dans l'histoire du football tunisien… Je n'ai jamais vu le Nigeria aussi faible que cette année, pourtant ils nous ont barré la route du Mondial. Bientôt il y aura Algérie-Maroc. Pensez-vous qu'il y aura risque de dérapage comme ça été le cas au Caire ? Jamais ! Ceux qui ont fait ça au Caire, c'est des fous qui n'ont rien à voir avec le football. Qui n'ont rien à voir avec le sport. Je n'aime pas parler de ça car ce sont des choses extra-sportives. Dans le passé et avec le système zonal, l'Algérie et la Tunisie s'affrontaient souvent, mais il n'y avait jamais eu de dérapages malgré la grande rivalité. Comment l'expliquez-vous ? Il n'y a jamais eu de dérapages et il n'y en aura jamais entre les Algériens et les Tunisiens. Non seulement, il n'y a jamais rien eu, mais ces matchs nous ont permis de gagner des amis. Aujourd'hui, quand je prends le téléphone pour appeler Madjer, Belloumi ou Fergani, j'éprouve un grand plaisir. C'est finalement cela qui reste. Avant de terminer, quel est votre pronostic pour cette Coupe du monde ? Je ne suis pas un adepte des pronostics, mais je vois bien l'Espagne aller jusqu'au bout.