«J'ai évité Saâdane au Ballon d'Or» Lundi soir à minuit, Yazid Mansouri serrait encore fort dans ses mains le trophée que lui a décerné Le Buteur et El Heddaf au cours de cette dixième cérémonie du Ballon d'Or en récompense à ses dix années de présence en EN. Une attention qui atténue chez lui, pas beaucoup, mais quand même, le sentiment d'être sorti par la petite porte, après l'épisode de l'Afsud que tout le monde connaît. Ce trophée est, si l'on veut pousser l'allégorie, un pied de nez à l'histoire qui ne voulait pas se terminer, comme Mansouri le souhaitait. Ce petit prix symbolique est notre Coupe du monde à nous qu'on a voulu lui offrir. Elle ne lui ressemble guère, mais le geste et l'intention en sont l'équivalent. Impressions. Yazid, tout d'abord, félicitations pour ce beau trophée ; il consacre dix années entières de présence en EN ; que ressentez-vous ? C'est d'abord un grand honneur pour moi d'être parmi ce beau monde. Etre récompensé est toujours gratifiant. Que du bonheur, que du bonheur ! Il y a eu une belle reconnaissance de votre part pour tous les services que j'ai rendus à la sélection et cela me touche profondément. Ce trophée m'accompagnera jusqu'à la fin de ma vie. Vous attendiez-vous à ce que vous soyez récompensé ? Franchement, pas du tout. Quand on m'avait téléphoné pour me dire qu'il y aura un trophée spécial pour moi, j'ai été agréablement surpris. Et puis, comme je l'ai dit, très honoré. Cela consacre le travail de toute une carrière. C'est beaucoup d'engagement et de sacrifices aussi. C'est pas mal de voyages en Afrique, aussi… Y a plein de choses qui me passent là par la tête. Beaucoup, beaucoup de souvenirs. L'aventure fut très belle. Un beau finish aussi pour votre carrière internationale, après dix années quand même ? En effet. Malgré le fait que j'aie été privé de Coupe du monde, comme tout le monde le sait, cela n'enlèvera en rien le bonheur d'avoir pris part à une formidable aventure humaine. Les moments de gloire, la formidable communion avec le peuple à notre retour de Khartoum. Voilà ce que je retiendrai de ces dix années. Ce trophée en sera en quelque sorte le symbole. Le souvenir matériel. Tout restera gravé à jamais dans ma mémoire. Vous avez fait un petit clin d'œil à Rabah Madjer tout à l'heure, au moment de recevoir votre trophée ; pourquoi lui spécialement ? Bah, tout simplement parce qu'il était là. Je le vois régulièrement au Qatar. C'est quand même lui qui m'avait lancé en Equipe nationale. Cette carrière, je la lui dois aussi à lui. Pour la petite anecdote : c'est lui aussi qui m'a mis en relation avec les bonnes personnes pour décrocher ce contrat au Qatar. Il a été très important dans certains choix de carrière que j'ai faits. Voilà. Il y avait eu aussi cet SMS que vous lui aviez envoyé de Khartoum après la qualification en Coupe du monde, c'est à lui que vous aviez pensé en premier ; il est aussi important pour vous ? Oui, c'est quelqu'un de très important. C'est quand même lui qui m'a fait venir en sélection. Il a toujours été franc. Il sait employer les mots justes en toute circonstance. Et puis, c'est un Monsieur tout court. Il n'y a pas de mots pour décrire ce personnage. Il est très humble en plus. Le gros de votre carrière est derrière vous ; que vous reste-t-il à espérer du football ? J'espère finir en beauté au Qatar. Je ne dirais pas que j'ai réussi une grande carrière professionnelle, mais j'ai réussi quand même des choses dont je suis très très fier aujourd'hui. J'ai joué dans plusieurs clubs intéressants en France. J'étais aussi capitaine, un grade difficile à décrocher dans un championnat aussi exigeant que celui de la Ligue 1. Après, j'espère réussir une petite carrière au Qatar, un championnat, un pays que je découvre avec un plaisir certain. La fin est-elle tout proche ? Non, non. Dieu merci, j'ai encore faim. Le plaisir est toujours là. J'ai été l'auteur de grosses prestations. Je m'éclate carrément au Qatar ! J'ai été freiné un peu à un certain moment par une petite blessure au mollet, mais là tout est rentré dans l'ordre. Vous vous donnez combien de temps, un an, deux… ? Je ne sais pas. Tant que la machine est bien huilée, je continuerai. Vous avez, d'après ce qu'on raconte, rencontré Ahmed Hassan, le capitaine de la sélection égyptienne durant vos séances de soins à Aspitar ; comment étaient les retrouvailles ? Normales, sans plus. Je veux dire par là qu'il n'y a pas eu d'accolades ou un plaisir de se revoir. C'est quelqu'un que je ne connais pas personnellement. On s'est serré la main, c'est tout. C'est un personnage qui a son tempérament. Il ramène sa fraise partout où il passe. L'homme n'est pas aussi populaire que le joueur. Le personnel d'Aspitar s'en est plaint. (Rires.) Après tout, c'est ce qu'il est. Je n'ai pas envie de le juger pour ça. Vous avez déclaré qu'en 2022 au Qatar, votre fils Kaïs jouera la Coupe du monde avec la sélection d'Algérie ; c'est un rêve, un fantasme, un objectif ? (Rires.) C'est un p'tit calcul que j'ai fait. Mon fils a huit ans et je me suis dit qu'en 2022 il aura vingt ans, et à cet l'âge, il pourra, qui sait, jouer la Coupe du monde. C'est un garçon très doué. Je l'emmène régulièrement au stade et je constate avec plaisir qu'il marque des buts à la pelle, pas comme son papa ! (Rire.) Je me suis dit, du coup, que peut-être, il pourrait faire carrière lui aussi. On verra bien. Peut-être avec vous comme sélectionneur ? (Il rit à gorge déployée.) Ah, je ne sais pas ! Vous n'êtes pas tenté ? On verra bien. Pour le moment, je suis derrière lui. Je partage avec plaisir cette passion qu'il découvre pour le foot. J'essayerais de lui prodiguer les bons conseils. Après, le reste, c'est le mektoub. On verra bien ! Si l'on peut oser la comparaison, vous êtes aujourd'hui le Belmadi d'il y a trois ou quatre ans, une carrière assez riche, beaucoup de vécu, un charisme. Aujourd'hui, ses débuts d'entraîneur sont couronnés de succès. Peut-être que vous seriez vous aussi tenté de passer, comme lui, de l'autre côté de la barrière ? Pourquoi pas. D'abord, je tire mon chapeau pour Djamel au vu de ce qu'il a vécu comme carrière et puis pour ce qu'il est en train de faire comme entraîneur. C'est un personnage vraiment atypique. Pour la petite anecdote : on joue contre lui ce jeudi en Coupe. Me concernant, je me donne encore un peu de temps pour passer mes diplômes et avoir un petit bagage supplémentaire. Sinon, comment étaient les retrouvailles avec les copains, les ex-coéquipiers, les autres acteurs du football ? Bah, tout le gratin était là. C'était un énorme plaisir de retrouver les collègues, les partenaires. Ça a été un moment de fête qu'on a partagé ensemble. Du coup, c'est toujours agréable. Vous aviez peut-être aussi des choses à vous dire en face ? Non, non, pas spécialement. Régler les différends ? Je n'ai aucun différend à régler. Comme je l'ai dit au départ, le passé appartient au passé. Je suis là plutôt pour savourer ce beau moment. C'est une ambiance de fête que je n'ai pas envie d'entacher par des souvenirs qui sont, je ne dirais pas lointains, mais qui encore une fois, appartiennent au passé. Pourquoi, selon vous, l'EN a-t-elle perdu son âme guerrière ? Je n'ai pas compris pourquoi les responsables de l'EN ont écarté 7 joueurs qui avaient participé à la qualification de l'équipe aux demi-finales de la CAN. Avant d'effectuer des changements à tout-va, il fallait peut-être penser un peu plus à l'équilibre de l'équipe et surtout sa stabilité. A mon avis, l'équipe a subi une cassure juste après le match contre la Serbie. Pourquoi cela ? Juste après notre qualification, on a vu des inconnus commencer à mettre un serre-poignet aux couleurs de l'Algérie, dans l'espoir de jouer le Mondial. Comme s'il n'y avait pas des hommes qui s'étaient sacrifiés pour arracher cette qualification ! Comme s'il n'y a pas eu du sang versé pour arracher ce billet pour l'Afrique du Sud ! Donc, selon vous, les nouveaux arrivés en EN n'ont pas apporté le plus attendu... Non, je ne suis pas là pour juger ceux qui ont rejoint l'EN quelques semaines avant le Mondial. Je dis seulement que l'équipe avait perdu cette âme de guerrier qui la caractérisait tant et qui faisait sa force. Cela a beaucoup influé sur l'équipe. Moi-même, j'ai tout fait pour aider les nouveaux à s'intégrer, mais je dois avouer que l'équipe était scindée en deux clans en Afrique du Sud : les nouveaux d'un côté et les anciens de l'autre. Vous attendiez-vous à ne pas être aligné face à la Slovénie ? Sincèrement, non. Je ne pensais vraiment pas que le coach allait se passer de mes services pour ce match. Personne n'est venu me préparer psychologiquement pour cette décision. J'étais loin d'imaginer ce qui se tramait derrière mon dos, surtout que je n'avais pas été mauvais pendant la CAN, ni au stage en Suisse. Je ne vous cache pas que j'ai reçu cela comme une foudre, tellement c'était puissant. Aviez-vous pensé à quitter l'équipe à ce moment précis ? A cet instant, j'ai pensé à toutes les mauvaises choses. J'ai bien évidemment pensé à quitter le groupe, parce qu'on ne peut pas se maîtriser. Malgré tout, j'ai pensé à l'équipe et je me suis calmé pour ne pas perturber mes camarades. On sent que vous en voulez toujours à Saâdane, non ? Il m'a écarté la veille du Mondial, après avoir passé 10 ans à me battre pour ce but. Ce n'est pas facile à digérer ! C'est pour cette raison que je l'ai évité pendant le Ballon d'Or. Ce n'est pas quand le Mondial était visible à l'horizon que j'ai rejoint la sélection. Moi, j'ai vécu les pires moments de l'EN, lorsque nous fréquentions des hôtels de seconde zone et que nous arborions des maillots d'équipementiers très modestes. J'ai vécu le bon et le mauvais avec l'EN. Parfois, il fallait marcher longtemps juste pour prendre le petit-déjeuner. J'étais fier de jouer sur les terrains bosselés de l'Afrique. J'ai raté un transfert important pour aller avec l'EN en Tunisie. A la fin, on me fait sortir par la petite porte. Il ne m'a même pas envoyé m'échauffer dans ce Mondial. (Il arbore un air très triste). En tant que capitaine, pourriez-vous nous raconter votre rôle au sein de l'équipe ? C'est long à définir, mais je me contenterai de dire que j'ai réussi à désamorcer plusieurs situations difficiles au sein de l'équipe. Je citerai le problème du brassard avant le match contre le Rwanda. Saâdane ne savait pas comment résoudre cela. C'est moi qui suis intervenu pour mettre tout le monde d'accord en définissant la hiérarchie des joueurs susceptibles de prendre le brassard. Pourquoi n'acceptez-vous toujours pas, à ce jour, votre mise à l'écart ? Je vous pose juste la question suivante : est-ce que l'équipe a regagné un match après ma mise à l'écart ? Son jeu s'est-il amélioré depuis ? A vous de juger aujourd'hui.