Va-t-on encore trouvé au Canada de l'huile d'olive tunisienne? Ou la Deglet Nour, cette datte bien prisée en Amérique du nord et qui a pris le relais de la Deglet Nour algérienne? Bien des Tunisiens se posent la question depuis les soubresauts de la Révolution du yasmine qui semble secouée le reste du Maghreb et même du monde arabe. Au Petit Maghreb de Montréal, quartier à forte concentration d'Algériens, Marocains et Tunisiens, les discussions ne portent que sur un seul et même sujet depuis une dizaine de jours. Depuis que Ben Ali a fait ses valises, ce fut un cri de renaissance, un cri de soulagement pour que le Peuple tunisien retrouve sa dignité et sa liberté. Et arrive le gouvernement d'unité nationale à forte composante d'anciens du régime et de surcroît, à des portefeuilles non des moindres. Rebelote, le Peuple manifeste son profond mécontentement. « Il n'y a pas eu des morts pour que la succession des Ben Ali et compagnies s'éternisent au pouvoir », entend-on un peu partout dans le Petit Maghreb de Montréal. « Nous voulons la paix. Nous voulons respirer. Nous ne voulons plus être asphyxiés », proteste-t-on de plus en plus. Et à un citoyen de mettre le doigt sur la plaie béante qu'endurent les Tunisiens : « nous ne voulions plus de Ben Ali. Et voilà qu'il laisse derrière des héritiers. Faut-il attendre l'éclatement de la Tunisie pour que le Peuple se retrouve encore une fois dans la rue pour dénoncer le scandale et le simulacre du renouveau? ». Certes, il y a eu des nouvelles têtes au sein du gouvernement. Mais juste pour s'occuper des miettes jetées aux assoiffés, aux affamés. «Plus personne ne nous empêchera de dire ce que nous avons à dire. Et là, ce que nous voulons dire, c'est que, maintenant qu'on a mis (le président) Ben Ali dehors, nous ne voulons plus de son parti non plus», a lancé le jeune homme. Un peu partout, les protestataires ont repris en les modifiant les slogans des manifestations des dernières semaines. Au lieu de demander le départ de l'ex-dictateur, ils ont demandé hier la tête du premier ministre, Mohammed Ghannouchi, et l'abolition de son parti, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD). Lors de son accession au pouvoir, en 1987, le clan Ben Ali avait muselé l'opposition, si bien que le RCD a régné en parti unique pendant plus de 20 ans. Rompre avec le passé rétrograde Dans le nouveau cabinet, 3 des 19 ministres sont des visages bien connus de l'opposition tunisienne. Néjib Chebbi a été nommé ministre du Développement régional, Ahmed Ibrahim est devenu ministre de l'Enseignement supérieur et Mustapha Ben Jaafar s'est vu confier le ministère de la Santé. Des personnalités de la société civile ont aussi hérité de portefeuilles. Cependant, six postes clés sont restés aux mains du RCD, dont le ministère des Affaires étrangères (Kamel Morjane), celui de l'Intérieur (Ahmed Friaa) et celui de la Défense (Ridha Grira). Ce sont ces nominations qui ont soulevé l'ire des manifestants. «On ne veut plus du RCD. Tant que le cancer est dans le corps, la Tunisie va être malade», a dit à La Presse Rami Moalla, rencontré dans une autre manifestation sur l'avenue Bourguiba, au centre de Tunis. Deux autres opposants politiques bien connus actuellement en exil ont eux aussi appris avec colère la composition du nouveau gouvernement. Leader islamiste dont le retour en Tunisie est attendu aujourd'hui, Rachid Al-Ghannouchi a qualifié l'annonce d'«aliénation délibérée des islamistes». Chef du Congrès pour la République, Moncef Marzouki, qui est à la tête d'un parti de gauche laïque, a qualifié l'affaire de «mascarade». Moncef Marzouki, opposant historique au régime du président déchu Zine El Abidine Ben Ali, est rentré mardi en Tunisie, a annoncé l'agence officielle tunisienne TAP. «L'opposant Moncef Marzouki, président du parti le Congrès pour la République (CPR) interdit, est rentré mardi en Tunisie après des années d'exil» à Paris, a rapporté l'agence. Il a été accueilli à l'aéroport de Tunis-Carthage par un «nombre important» de militants de son parti qui ont scandé l'hymne national ainsi que des slogans contre la situation politique actuelle, a-t-on ajouté de même source. M. Marzouki a appelé l'Arabie saoudite à livrer l'ancien président Zine El Abidine Ben Ali, qui a fui vendredi son pays, afin de le traduire devant la justice, selon TAP. Il a indiqué qu'il allait se rendre aussitôt à Sidi Bouzid (centre-ouest), «terre des martyrs et des hommes libres», où le suicide d'un jeune chômeur a déclenché mi-décembre la révolte populaire contre le régime autoritaire du président Ben Ali. Moncef Marzouki, issu de la gauche laïque, avait annoncé lundi sa candidature à l'élection présidentielle, qui doit être organisée dans les six mois en Tunisie et qualifié de «mascarade» le gouvernement d'union nationale, fustigeant le maintien de ministres du président déchu Ben Ali à des postes clés. Exilé en France, ancien président de la Ligue tunisienne des droits de l'homme, jusqu'en 1994, et co-fondateur du Conseil des libertés en Tunisie (CNLT, non reconnu), M. Marzouki avait créé le Congrès pour la République en 2001. Il avait été condamné à un an de prison en 2000.