Dix mois après le début de la crise financière, jugée par certains économistes aussi grave que celle de 1929, la Banque centrale européenne (BCE) ne modifie pas sa ligne de conduite. "Maintenir la stabilité des prix à moyen terme reste notre objectif principal", a rappelé, jeudi 8 mai, son président, Jean-Claude Trichet qui s'exprimait depuis Athènes. Le conseil des gouverneurs de la BCE a décidé, à l'unanimité, de maintenir inchangé le niveau des taux directeurs, à 4 %. Cette décision était attendue par les marchés. D'autant que la pression sur la BCE au regard de l'euro fort s'est légèrement détendue. Après avoir grimpé jusqu'à 1,60 dollar fin avril, la monnaie unique est retombée à moins de 1,55 dollar et s'échangeait vendredi à 1,5450 dollar. La BCE continue à se démarquer de la Réserve fédérale américaine (Fed), qui a massivement baissé ses taux directeurs pour contrer les effets négatifs sur la croissance de la crise des subprimes. "Les fondamentaux économiques restent sains", assure M. Trichet. "Les profits dans le secteur non financier se maintiennent et le taux de chômage est descendu à des niveaux inédits depuis vingt-cinq ans", indique-t-il. Le président de la BCE n'élude pas les risques qui pèsent sur l'économie, évoquant des "incertitudes inhabituellement élevées" liées aux turbulences persistantes des marchés financiers, mais ces aléas l'inquiètent moins que le retour brutal de l'inflation. La Commission européenne a estimé la hausse des prix en zone euro à 3,2 %, cette année, un record depuis le lancement de l'euro, et bien plus que la limite acceptable de 2 % que s'est fixée la BCE. En outre, ce phénomène de hausse des prix, essentiellement lié à la flambée des cours des matières premières et en particulier du pétrole, s'installe. M. Trichet a indiqué que l'inflation pourrait rester élevée pendant une "période prolongée". La BCE n'est pas la seule à s'en inquiéter. Jeudi, John Lipsky, numéro deux du Fonds monétaire international (FMI), a estimé que la menace inflationniste avait ressurgi pour l'économie mondiale. "Les préoccupations sur la hausse des prix ont réapparu après des années de tranquillité", a-t-il noté, évoquant l'" accélération" de la hausse des prix. En maintenant les taux à ce niveau, la BCE tente de juguler ce problème. Le pourra-t-elle ? Depuis le début de la crise, les prix du pétrole et des autres matières premières font l'objet de vives spéculations et semblent incontrôlables. Pour Matthew Sharratt, économiste chez Bank of America, "l'évolution (du prix) du pétrole est le risque majeur. S'il continue à flamber, cela empêchera de calmer l'inflation, "même s'il y a des signaux (comme la remontée du dollar) laissant penser que les prix pourraient refluer". En outre, pour la plupart des économistes, la BCE ne pourra tenir encore très longtemps en se focalisant uniquement sur la lutte contre l'inflation. Selon eux, les dégâts de la crise financière sur l'économie réelle, c'est-à-dire au-delà du secteur financier, se feront bientôt nettement ressentir en Europe et l'obligeront à agir pour la croissance. Sur les marchés, la plupart des analystes s'attendent ainsi à une baisse des taux de 0,25 point en octobre. La BCE "s'est gardée une marge de manoeuvre" pour agir lorsque la conjoncture se sera visiblement dégradée "mais elle a déjà pris du retard", estime même Sylvain Broyer, économiste chez Natixis.