Par Hiba-Sérine A.K. L'industrie pétrolière mondiale, réunie à Madrid, a exprimé mardi la crainte d'un déclin des réserves d'or noir, présageant de nouvelles hausses des prix du brut, et aborde, avec des visions divergentes du futur, une phase critique de son histoire.Les principales figures du secteur pétrolier ont dressé un constat unanime, mardi à l'occasion du XIXe Congrès mondial du pétrole : leur industrie vit un tournant de son histoire, avec des prix qui ont dépassé les 140 dollars, des besoins en plein essor dans les pays émergents, de graves incertitudes pesant sur l'économie mondiale et, en toile de fond, le soupçon que les réserves d'or noir puissent s'épuiser plus rapidement que prévu.« Les pays de l'OCDE consomment 17 barils par personne et par an. En comparaison, les pays en développement n'en consomment que 2,5. Si, dans les 20 prochaines années, les habitants de ces régions consommaient 5 barils par an et par personne, nous aurions besoin de 25 millions de barils supplémentaires par jour » au niveau mondial, soit 25% de plus que la production actuelle, a ainsi souligné Chengyu Fu, le président du groupe pétrolier chinois Cnooc.Cependant, un profond fossé continue de séparer pays consommateurs et producteurs quant à la manière d'aborder ces défis.De son côté, l'Organisation des pays producteurs de pétrole (Opep), qui assure à elle seule 40% de l'offre mondiale, souligne les “incertitudes énormes” pesant sur la demande. Son président, l'Algérien Chakib Khelil, a ainsi réclamé « une demande future (de pétrole) crédible » capable de garantir aux producteurs un « retour sur investissement correct », avant d'engager des investissements pétroliers massifs.Pour lui, le monde n'affronte pas « une crise de l'énergie mais une crise des prix » due à trois raisons: la crise financière aux Etats-Unis qui a, par ricochet, affaibli le dollar et dopé la spéculation dans les matières premières, le développement des biocarburants, et enfin les tensions géopolitiques.Le roi Abdallah d'Arabie, à la tête de la première puissance pétrolière du cartel, a estimé mardi qu'il revenait aux pays consommateurs de s'adapter à des cours élevés du brut.« Les pays consommateurs doivent s'adapter aux prix et aux mécanismes du marché » pétrolier, a déclaré le souverain, qui avait pourtant invité quinze jours plus tôt à Djeddah les décideurs du monde entier à venir chercher ensemble des remèdes à la flambée des prix.Pour leur part, les pays consommateurs redoutent que l'offre de pétrole échoue à satisfaire la demande d'ici quelques années. L'Agence internationale de l'énergie (AIE), qui défend leurs intérêts, considère ainsi que le « premier facteur derrière l'actuelle envolée des prix est une forte croissance de la demande dans des pays fortement peuplés, avec en face une croissance limitée de l'offre au cours des dernières années ».Le patron du groupe pétrolier français Total, Christophe de Margerie, a souligné l'extrême difficulté d'accroître l'offre de brut, qui devrait, selon lui, plafonner à 95 millions de barils par jour d'ici 2012. Il a rappelé que l'industrie s'attaquait à des projets de plus en plus complexes, par exemple en eaux profondes, avec des normes environnementales de plus en plus strictes et des problèmes de sécurité importants. « Le prix du pétrole est élevé parce que nous avons besoin de prix élevés pour justifier » ces investissements colossaux, a-t-il affirmé, précisant que les compagnies pétrolières ne commençaient à gagner de l'argent qu'après avoir amorti l'équivalent de 80 dollars par baril. Le scénariode l'AIE Un «petit coussin» de sécurité marquera le marché mondial du pétrole durant les dix-huit prochains mois. Il sera le résultat d'une offre supérieure à la demande. Dans un contexte de ralentissement économique, plus particulièrement dans les pays industrialisés, la consommation du pétrole commence à fléchir. Une deuxième raison explique la détente: l'entrée en service de nombreux projets actuellement en voie d'exécution. Tel est le scénario que dessine l'Agence internationale de l'énergie (AIE) dans son Rapport de perspectives à moyen terme présenté mardi au 19e Congrès mondial du pétrole qui a eu lieu à Madrid. Mais l'embellie sera de courte durée, prévient le rapport. A l'horizon de 2010, lorsque la reprise se manifestera, la consommation du pétrole repartira à la hausse. Pour y faire face, les pays producteurs devraient investir pour augmenter les capacités de production. Faute de quoi, un autre choc pétrolier sera inévitable. Boucs émissaires Après une longue période de tension et des prix record, la situation s'inversera dès 2010. La demande progressera de 1,6% par an, passant de 86,9 millions de barils par jour (mbj) en 2008 à 94,1mbj en 2013. L'essentiel de la hausse viendra d'Asie, d'Amérique du Sud et du Moyen-Orient, selon l'agence qui défend les intérêts des pays riches. La baisse de la consommation n'enchante pas l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) qui fournit 38% des besoins mondiaux, et surtout qui abrite 75% des réserves mondiales. Son président, Chakib Khelil, affirme qu'un tel scénario décourage les investissements dans les nouvelles capacités réclamées par l'AIE. Autre prise de bec à Madrid: l'Opep met l'envolée des prix pétroliers sur le dos des spéculateurs. «Ces derniers ne doivent pas être désignés comme des boucs émissaires», réplique l'AIE. Alors que la planète pétrole se renvoie la balle à Madrid, le brut a poursuivi sa hausse mardi à New York et à Londres. En fin de journée, le cours du baril dépassait les 142 dollars, poussé par des rumeurs selon lesquelles Israël attaquerait les installations nucléaires en Iran. Autre inquiétude: Moscou refuse des visas aux expatriés de la société pétrolière TNK-BP, ce qui pourrait nuire à ses activités au nord de la Russie.