Besoins en baisse et approvisionnements seront en hausse cet automne, prévoit l'Agence internationale de l'énergie. Après être remonté, le prix du baril a clôturé entre les 136 et 137 dollars ce jeudi soir. Face à un baril de pétrole qui se dirigeait hier à nouveau vers 140 dollars, le terme spéculation est dans toutes les têtes. Mais les preuves chiffrées manquent. Surtout, écartant ce qu'ils considèrent (sans le dire) comme une "théorie du complot", les spécialistes du monde du pétrole continuent de fournir des explications rationnelles à l'appréciation exponentielle du brut. A commencer par ceux de l'Agence internationale de l'énergie, qui ont publié, mardi, un rapport mensuel très attendu. Le facteur iranien Premier constat, l'explosion des cours, la semaine dernière, s'expliquerait par "les propos d'un ministre israélien qualifiant d'inévitable une attaque de l'Iran si [ce pays] maintenait son programme d'enrichissement nucléaire". Quid des spéculateurs? Ceux-ci ont "bien sûr" été impliqués dans le sursaut des cours, mais "il faut parler de gestion des risques plus que de spéculation". Surtout, l'AIE répète que "ces cours sont largement expliqués par la faible croissance de la production ce début d'année, qui a nécessité des prix plus élevés pour étouffer la demande et équilibrer le marché". Fermez le ban. Les besoins s'essoufflent Une question demeure cependant. Les experts de l'AIE voient ces tensions entre besoins et approvisionnements s'apaiser sur la seconde moitié de l'année. Tout d'abord, l'agence a, une nouvelle fois, revu en baisse la consommation mondiale attendue en 2008: 86,8 millions de barils quotidiens, seulement 0,8 million de plus que l'an dernier, "en raison de la décision de nombreux pays de réduire leurs subventions sur les carburants". Du jamais-vu depuis 2002. D'autre part, la production, actuellement de 86,6 millions de barils quotidiens, va, selon l'agence, augmenter. Celle des pays n'appartenant pas au groupe de l'OPEP - les six dixièmes du pétrole mondial - "progresserait de 0,45 million cette année". L'AIE invoque la fin de l'entretien des installations canadiennes, la production en augmentation de Lukoil, du champ russe de Sakhaline 2, ou du Brésil. Ce qui laisse un effort de 0,5 million supplémentaire à la charge des pays de l'OPEP, qui produisent le reste du brut mondial. Or l'Arabie saoudite a déjà annoncé le mois dernier "pousser" sa production de 0,3 million de barils par jour. Faible marge de sécurité Et pourtant, mercredi après-midi, les opérateurs n'avaient cure de ce relâchement des tensions annoncé pour l'automne: le prix d'un baril livrable en décembre progressait même de 2%, à plus de 137 dollars! La preuve définitive que la spéculation est bien à l'œuvre? L'AIE a une autre explication: "En hausse, les capacités excédentaires des pays de l'OPEP (ndlr: ce qui leur reste "sous le pied") représentent cependant moins de 4% de la demande mondiale." En clair, même en atteignant 3 millions de barils quotidiens, cette marge de sécurité serait insuffisante pour parer à un cataclysme perturbant la production - ouragan ou frappes israéliennes en Iran. Une épée de Damoclès persistante qui expliquerait le stress permanent dans lequel se noie le marché pétrolier... Saison des ouragans et pétrole: baril à 150 dollars en vue Le prix du pétrole pourrait continuer son envolée jusqu'à la mi-août, franchissant au passage le seuil des 150 dollars le baril, estime l'expert en matières premières Philippe Chalmin dans une déclaration au journal helvétique Le Temps. "Nous sommes en saison des ouragans sur le golfe du Mexique. L'appréhension suffit à faire monter les prix", a dit mardi dernier à Genève le professeur d'économie à l'Université Paris-Dauphine, à l'occasion de la présentation de l'édition 2008 du guide des commodités Cyclope. La région est le centre de l'industrie pétrolière américaine, avec des raffineries et des plates-formes. Si la production devait être fortement perturbée, comme en 2005 avec Katrina, le cours du brut s'envolerait. La simple crainte d'un tel événement lui fait déjà faire une partie du chemin. Une fois la saison passée, si ses conséquences sont bénignes, les prix devraient se détendre. Mais ils resteront élevés. "Tout est possible entre 80 et 160 dollars." A la question de l'effet de la spéculation dans le prix du baril sur les marchés à terme, Philippe Chalmin admet que celle-ci existe, qu'elle augmente la volatilité et réduit la visibilité. Mais le mouvement de fond répond au déséquilibre entre production et consommation. "L'Agence de l'énergie sous-estime la demande" Philippe Chalmin pense que l'Agence internationale de l'énergie sous-estime la demande. Celle-ci reste vigoureuse, en raison de la croissance de pays comme l'Inde et la Chine, qui totalisent le tiers de la population mondiale. Du côté de l'offre, le développement de nouveaux gisements prend une bonne décennie et nombre d'entre eux se trouvent dans des pays risqués pour les exploitants: hausse du prix des concessions ou nationalisations. De plus, la hausse du cours du pétrole n'a commencé qu'au début des années 2000. Avant cela, les investissements étaient insuffisants. "Nous vivons le troisième choc pétrolier, et l'étonnant est que l'économie résiste bien. Je pense que la prévision de croissance mondiale de 3,7% cette année du Fonds monétaire international est trop pessimiste." Il y a certes un peu de stagflation. Et, il est vrai, des risques du côté de la Chine et de l'Inde. Cet Etat a notamment dû renoncer à subventionner l'énergie.