Uranium, nickel, coton, argent, sucre... Avant leur flambée actuelle, les marchés des matières premières ont déjà connu des heures chaudes. Entre bulles spéculatives et craintes de pénurie, retour sur les moments forts de leur histoire. Aujourd'hui l'uranium et le coprah L'uranium, redouté et convoité Lorsque le chimiste allemand Martin Heinrich Klaproth découvrit l'uranium, le 24 septembre 1789, l'heure n'était pas à la révolution... énergétique. Le savant était à mille lieues de se douter que cette substance deviendrait un jour l'un des combustibles les plus recherchés au monde. Ce n'est que cent ans plus tard, en 1896, que le physicien français Henri Becquerel découvrit la radioactivité naturelle. Cette dernière restera encore pendant quelques décennies confinée à un rôle aussi purement thérapeutique que peu maîtrisé. Quant à l'uranium, il ne servait concrètement qu'à colorer des verres, des céramiques ou encore de la porcelaine. Sa couleur? Un blanc argenté, brillant. L'invention de la bombe atomique, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, change tout, quasiment du jour au lendemain. L'uranium accède au rang de ressource hautement stratégique, et les puissances se lancent dans une course à la prospection. La France ouvre de multiples mines, dont la dernière, en Haute-Vienne, ne cessera d'être exploitée qu'en... 2001. En matière civile, l'URSS est le premier pays à produire de l'énergie nucléaire. Nous sommes en 1954. La France mettra son premier réacteur en fonction en 1963, la Suisse en 1969. Les années 1970 resteront l'âge d'or de l'uranium. Jusqu'ici essentiellement recherché à des fins militaires - les missiles, bombes et sous-marins en absorbent des tonnes -, le yellowcake accède au rang des "denrées" civiles. En tout début de décennie, la livre d'oxyde d'uranium (U3O8) s'échange dans les 6 dollars (de l'époque). Le premier choc pétrolier propulse ce cours jusqu'à 43 dollars en 1975-1976. L'opinion publique subit son premier électrochoc en 1979. La moitié du cœur de l'un des réacteurs de la centrale britannique de Three Mile Island fond. A peine deux mois après sa sortie, le film d'anticipation intitulé le Syndrome chinois semble se concrétiser. Le creux des années 80 L'atome fait de plus en plus peur. Et le coup de grâce, c'est bien sûr Tchernobyl. L'uranium retombe à 7 dollars la livre! Mis à part un petit sursaut purement spéculatif dans les années 1990, cette matière, qui ne dispose par ailleurs pas d'un marché vraiment organisé, n'intéresse plus personne. Cours en fusion Le réchauffement climatique, la peur de la fin de l'ère pétrolière, les besoins accrus en énergie sous l'effet du développement fulgurant de ce qui était encore il y a quinze ans le tiers-monde ont changé fondamentalement la donne. L'uranium a flambé ces deux dernières années, à plus de 100 dollars la livre. Excessif? Pas aux yeux de certains experts, qui le voient à 250 dollars dans quelques mois. Actuellement, le combustible nucléaire vaut 60 dollars la livre au New York Mercantile Exchange (Nymex), qui propose depuis un an un contrat à terme, débouclé chaque mois. Fche signalétique: l'uranium La production mondiale d'uranium atteint 40000 à 45000 tonnes annuelle. Alors que la consommation dépasse les 60000 tonnes. Les stocks suffisent pour l'instant. Les principaux pays extracteurs sont le Canada (29% en 2004), l'Australie (22%), le Kazakhstan (9%) et le Niger (8%). Les réserves prouvées sont de 2,64 millions de tonnes. A noter que la querelle d'experts sur les réserves supposées d'uranium découle avant tout du fait que cet élément est présent dans toute l'écorce terrestre, comme dans l'eau. Sa concentration est toutefois souvent trop faible pour songer à l'extraire. Pour l'AIEA, l'uranium est actuellement intéressant lorsque le coût d'extraction de cet élément à partir d'une roche est inférieur à 80 dollars le kilo. Sa simple évocation rime avec mers du Sud, alizés, vahinés, et autres clichés de pacotille. Comme ceux des spots publicitaires pour un célèbre gel douche censé venir de... Tahiti. L'association n'est d'ailleurs pas fortuite. Le coprah sert, entre autres, à faire "mousser" le savon. Le rêve s'interrompt ici. Car des intérêts bien plus prosaïques sont à l'origine du renchérissement aussi récent qu'étrange connu par cette huile tropicale en début d'année. Une bien étrange envolée Apparemment, rien de plus normal. Tous les oléagineux ont connu une folle inflation. Reste que le prix du coprah s'est nettement détaché du peloton. A 1200 dollars la tonne début janvier sur le port de Rotterdam, son cours - qui suivait jusque-là celui de sa cousine l'huile de palmiste - est parti en vrille. 1400 dollars fin février. 1500 dollars en mars. Plus de 1800 dollars en juin. 50% de hausse en six mois. Du jamais-vu. Il faut remonter à la crise asiatique - l'Indonésie avait décrété un embargo sur le palmiste - pour retrouver une telle envolée. Problème, les explications usuelles ne permettent guère d'y voir clair. Car, contrairement à d'autres oléagineux, il n'y a pas de pénurie sur le coprah. Pour l'instant, aucun typhon n'est venu coucher les cocotiers philippins, comme ce fut le cas en 2006, coûtant près du tiers de la production. Certes, l'archipel - qui, avec l'Indonésie, fournit les huit dixièmes des noix de coco - a décidé de transformer 1% de son coprah en biodiesel. Cela ne saurait suffire. "Squeeze" aux Philippines! Non, sur un marché aussi étroit, où il suffit d'un seul cargo pour fournir les 45000 tonnes dont l'Europe a besoin chaque mois, une telle frénésie ne peut qu'alimenter le soupçon. Celui d'un "squeeze". C'est-à-dire de l'étranglement du marché par des individus soucieux de faire monter artificiellement les prix. A leur plus grand profit. Dans le milieu des oléagineux, deux grandes maisons de négoce internationales exerçant un quasi-monopole sur le chargement des cargaisons en partance des Philippines sont même pointées du doigt. Elles auraient voulu écarter un impétrant tentant de s'immiscer dans leur "business". "Normalement, les navires sont chargés soit le 1er, soit le 30 du mois; or, en mars, on s'est soudain entendu annoncer que le chargement d'un cargo de 80000 tonnes - soit deux mois de consommation - aurait 30 jours de retard, laissant soudain les acheteurs sans marchandise", s'emporte un négociant. La ruée sur le moindre stock disponible a été d'autant plus frénétique que cette menace de pénurie arrivait entre avril et juin; au moment précis où les fabricants de crèmes glacées en ont le plus besoin. Sans compter que les fabricants de détergents ne détiennent plus guère de réserves, ayant pris l'habitude de stocker le produit dans son pays d'origine, pour des raisons de coût. Le squeeze, silencieux, n'en aurait été que plus aisé. Et le repli des cours connu ces dernières semaines se serait déjà chargé d'en effacer la moindre trace. Fiche signalétique:le coprah Huile de coprah ou "coconut oil"? Le coprah désigne en réalité la chair blanche (l'albumen) de la noix de coco, râpée et séchée. On peut ensuite la presser. Le coprah de bonne qualité fournit plus de 60% d'huile. Coprah rime alors avec monoï: l'huile est parfumée grâce à la macération de fleurs de tiare, ses vertus hydratantes faisant le reste, après le coucher du soleil. Sa principale utilisation demeure les détergents - l'huile de coco se cache derrière les "tensioactifs" - la margarine, les crèmes glacées... Le coprah fut ainsi à l'origine de la célèbre lessive "Tide" à la fin des années 40 et l'usine de lessive du géant Procter & Gamble, à Sacramento, reste l'une des principales utilisacices d'huile de coco au monde. Sa cousine, l'huile de palmiste - elles sont toutes deux qualifiées d'huiles lauriques - lui fait souvent concurrence. Selon la FAO, environ 5,3 millions de tonnes de coprah seront produits en 2008. A titre de comparaison, l'offre mondiale d'huile de palmiste tourne autour de 10 millions de tonnes... bien loin des 220 millions de tonnes d'huile de soja triturés chaque année.