Un suspect suicidé, un autre fait millionnaire. Les attaques de 2001 se perdent dans le laboratoire du Dr Folamour du bioterrorisme. Même Hollywood n'en voudrait pas: trop invraisemblable. Le FBI va refermer cette semaine son enquête fleuve sur la série d'attaques à l'anthrax qui avait paniqué les Etats-Unis en octobre 2001, et c'est un scénario fou. Mardi dernier, les agents fédéraux avaient rendez-vous avec Bruce Ivins, microbiologiste au laboratoire militaire de Fort Detrick, au nord de Washington. Ils voulaient lui proposer un marché, un plea bargain à l'américaine: s'il avouait les crimes de 2001, sa vie serait épargnée. Mais Ivins est mort le matin même d'avoir avalé l'avant-veille une dose massive d'acétaminophène. C'était le second coupable. Le premier, Steven Hatfill, un collègue de Bruce Ivins, dont la vie a été détruite par les soupçons, a reçu en juin 5,8 millions de dollars et des excuses fédérales. Le feuilleton politico-policier, baptisé Amerithrax, avait commencé une semaine après le 11septembre par l'envoi d'une première série de lettres contenant une minuscule dose mortelle d'anthrax. Première cible : la rédaction d'une feuille à scandales en Floride. D'autres missives tueuses ont suivi, à New York, des chaînes de TV, puis au Capitole, à Washington, adressées cette fois à deux ténors démocrates du Sénat, Tom Daschle et Patrick Leahy. Vingt-deux personnes avaient été infectées, cinq sont mortes rapidement. Psychose, évacuations massives, à Washington, dans des centres de tri postal. Fausse piste d'Al-Qaïda Certaines enveloppes contenaient aussi un message qui semblait orienter les soupçons vers un groupe islamiste. Sitôt après les attentats d'Al-Qaïda, cette révélation avait décuplé la peur. Mais cette piste-là a été très vite abandonnée. L'analyse de l'anthrax a révélé que cette souche, et en si fine poudre, ne pouvait provenir que d'un laboratoire américain, sous le contrôle du Pentagone. L'enquête prenait un tour étrange. Les experts à qui le FBI devait faire appel, travaillaient dans ces laboratoires et en particulier à Fort Detrick; mais en même temps, les soupçons se portaient sur eux. Les enquêteurs commencèrent à s'intéresser à Steven Hatfill dès le printemps 2002. Pourquoi? Il avait donné des conférences pour dénoncer la légèreté avec laquelle le gouvernement prenait la menace bioterroriste. Hypothèse: un savant allumé veut attirer l'attention sur ses propres recherches. Perquisitions, interrogatoires serrés: la pression était intense sur Steven Hatfill, qui fut chassé du laboratoire. Son nom fut livré en pâture par le New York Times qui, à l'époque, cultivait les fautes professionnelles. Le FBI alla même jusqu'à faire vider un étang, non loin de la ville de Frederick, près de Fort Detrick. Un informateur disait qu'un instrument ayant servi à préparer l'anthrax y était immergé. Opération difficile. La Croix-Rouge avait été mobilisée pour distribuer du café et des sandwiches aux plongeurs. L'un des volontaires s'appelait Bruce Ivins. A Frederick, le meilleur des hommes, bon père de famille, assidu à l'église où il tenait le clavier, amusant les enfants par son art du jonglage. Mais les fédéraux n'ont pas voulu de lui près de l'étang. Un microbiologiste mêlé à l'enquête n'avait rien à faire là. Et surtout pas Bruce Ivins. En 2002, il avait dissimulé une fuite d'anthrax qui s'était produite à Fort Detrick au cours d'un test. Il faisait partie des suspects, mais le FBI, cette fois, a empêché que son nom ne soit publié. Récemment, les enquêteurs ont acquis la conviction que l'anthrax de 2001 venait de fioles qu'il a utilisées. Affaire classée ? Les amis et les collègues de Bruce Ivins ne veulent pas croire à la culpabilité du suicidé. Mais son frère, à qui il ne parlait plus depuis vingt ans, n'est pas surpris. Pas plus que la psychologue qui recevait depuis quelque temps Bruce Ivins, dépressif. Le 9 juillet le chercheur sexagénaire est arrivé dans un groupe thérapeutique en disant qu'on voulait l'impliquer dans des meurtres et qu'il ne se laisserait pas faire: il entraînerait du monde dans la mort, il était armé. La psychologue a alerté la police, et elle a demandé une protection. Le lendemain, les agents sont allés chercher Bruce Ivins dans son laboratoire et l'ont conduit à l'hôpital psychiatrique. Il en est sorti après quelques jours, et il a choisi de mourir au moment où on allait lui passer les menottes. Affaire classée? Sans doute pas. Le FBI va publier ses preuves ou ses soupçons. Mais la machine à douter de la blogosphère, c'est sûr, va se mettre en marche en tablant sur les étrangetés de l'enquête, mettant en doute le suicide, imaginant un complot d'en haut, etc. Surtout, une polémique a déjà commencé sur la recherche bioterroriste elle-même. La grande frousse de 2001 a fait exploser les crédits. Le New York Times affirme que 14 000 personnes travaillent aujourd'hui sur cette matière dans 400 laboratoires. Les risques de fuites sont multipliés, les dérapages déments aussi.