Le décalage de politique monétaire s'accentue entre les pays anglo-saxons et ceux de la zone euro. Deux jours après la Banque du Canada, la Banque d'Angleterre a abaissé, jeudi 6 décembre, d'un quart de point son taux de base, à 5,5 %. Et la Réserve fédérale américaine (Fed) devrait procéder, mardi 11 décembre, à son troisième assouplissement monétaire depuis l'été. La Banque centrale européenne (BCE) a au contraire opté, jeudi, pour la fermeté et le statu quo. Elle a laissé inchangé, à 4 %, son taux de refinancement, en laissant même entendre que celui-ci pourrait être relevé prochainement. Ces stratégies opposées semblent refléter des philosophies monétaires différentes. Aux Etats-Unis et en Angleterre, les banques centrales privilégient aujourd'hui le soutien à la croissance et l'aide à un système bancaire en pleine déroute après la crise des crédits immobiliers à risques, les fameux subprimes. Quitte à ce que cette souplesse se traduise par une poussée d'inflation. La priorité de la BCE, au contraire, reste la lutte contre les pressions inflationnistes, au détriment du soutien à l'activité. Le discours tenu jeudi par son président, Jean-Claude Trichet, à l'issue du conseil des gouverneurs, a confirmé ce choix. Tout en abaissant nettement ses prévisions de croissance pour 2008 dans la zone euro (à 2 %, contre 2,3 % précédemment), la BCE a donné de nombreuses preuves de "son obsession inflationniste", pour reprendre l'accusation lancée par le président de la République Nicolas Sarkozy. "Nous sommes constamment en alerte. Nous ferons tout ce qui est nécessaire pour éviter" un dérapage inflationniste, a insisté M. Trichet. L'inflation dans la zone euro s'est établie à 3 % en novembre, son plus haut depuis six ans et demi. En Allemagne, le rythme de hausse des prix (3 %) n'avait pas été aussi élevé depuis treize ans. En Espagne, il s'est établi à 4,1 %, la palme revenant à la Slovénie avec 5,8 %, contre 2,4 % un an plus tôt. La France connaît elle aussi une accélération, même si elle reste plus modeste (2 %). Ces tensions inflationnistes s'expliquent par la flambée des prix de l'énergie et des denrées alimentaires. Même s'il a reflué depuis deux semaines, le cours du baril a frôlé les 100 dollars, ce qui a entraîné une forte hausse des prix de l'essence. Les cours des matières premières agricoles (blé, lait, huile, etc.) s'envolent eux aussi. En Allemagne, le beurre était 48 % plus cher en novembre qu'un an plus tôt, la laitue coûtait 74 % de plus. "Les nouvelles informations sur les prix des produits pétroliers et des aliments suggèrent une poussée de l'inflation plus marquée et plus prolongée que prévu précédemment", a prévenu M. Trichet. La BCE prévoit désormais un taux moyen d'inflation de 2,5 % en 2008 dans la zone euro, alors qu'elle anticipait 2 % en septembre. La BCE craint par dessus tout ce que les économistes désignent sous le nom "d'effets de second tour", c'est-à-dire le fait que la hausse des prix à la consommation se propage aux salaires. "En agissant fermement et au moment opportun, nous garantirons que des effets de second tour et des risques sur la stabilité des prix à moyen terme ne se matérialisent pas", a martelé M. Trichet. Il est "essentiel" que les syndicats ne demandent pas de hausses de salaires très élevées susceptibles de mettre en danger durablement la stabilité des prix, a-t-il souligné, une allusion aux négociations en cours en Allemagne. Le ton d'extrême fermeté employé jeudi par M. Trichet a surpris les analystes. Le président de la BCE a en effet signalé que, sans les incertitudes liées à l'impact de la crise des subprimes sur l'économie, la BCE aurait resserré sa politique de crédit dès jeudi, comme le souhaitaient certains gouverneurs. M. Trichet a précisé que le conseil avait consensuellement jugé plus sage d'attendre d'y voir plus clair sur l'impact de la crise avant de procéder à un nouveau tour de vis. La BCE a relevé ses taux à huit reprises depuis décembre 2005. Plusieurs éléments contribuent à expliquer les différences d'approche monétaire de la BCE et des banques centrales anglo-saxonnes. Le premier est que la seule mission fixée à la BCE par les traités européens est "d'assurer la stabilité des prix", alors que la Fed doit aussi contribuer à assurer le plein emploi. Si l'on excepte quelques petits établissements allemands, les banques de la zone euro ont été relativement épargnées par la crise des subprimes. Ce n'est pas le cas aux Etats-Unis, où Citigroup, Merrill Lynch et d'autres grandes institutions financières comme Freddie Mac et Fanny Mae rencontrent de grosses difficultés. Ni au Royaume-Uni, où la quasi faillite de Northern Rock a provoqué une panique des épargnants comme on n'en avait plus vu depuis les années 1930. Enfin, la BCE sait pouvoir s'appuyer sur l'opinion publique dans son combat contre l'inflation. En Allemagne comme en France, le thème du pouvoir d'achat est en effet devenu, devant le chômage, le sujet de préoccupation numéro un des citoyens, un pouvoir d'achat érodé par la hausse des prix.