Qui se souvient de ce 16 janvier 1992, le jour où Tayeb El Watani, après 28 ans d'exil au Maroc, revenait au pays à l'appel du devoir national. Il estimait que la situation était d'une extrême gravité. A peine avait-il foulé le tarmac de l'aéroport Houari Boumediène qu'il disait : "J'ai accepté de rentrer en Algérie parce que j'avais la conviction que mon pays avait besoin de moi". Un mois plus tard, dans une conférence de presse, le président du HCE déclarait "grâce à Dieu, nous avons évité le pire, les Algériens, dans leur immense majorité, ont fait preuve d'une grande maturité. Ils ont su éviter la manipulation des fauteurs de trouble". Au mois de février 1992, le HCE instaure l'état d'urgence ce qui a fait dire à feu Boudiaf que "c'est une réponse à la violence des groupes terroristes qu'il fallait mettre hors d'état de nuire". Il soulignera avec force détail que tout ce qui a été fait jusqu'à présent pour le rétablissement de l'ordre, pour la sécurité des personnes et des biens, "a été fait dans le strict respect de la loi". Dans ce contexte, Boudiaf n'a de cesse, durant les six mois qu'il a passé à la tête du HCE, de rappeler qu'il était "pour l'Etat de droit". Convaincu de la gravité de la situation dans laquelle a été plongée l'Algérie, le président du HCE a mis en garde l'opinion internationale tout en l'invitant à comprendre les vrais motifs ayant astreint les décideurs et la société civile à arrêter le processus électoral, soit l'annulation du second tour des législatives prévu le 16 janvier 1992. "Cet arrêt du processus électoral a été rendu nécessaire pour sauver la démocratie". Il expliquera à l'ensemble de l'opinion nationale et internationale que ces législatives ont été organisées sans que l'on prenne garde à ce que les participants au jeu démocratique soient tous respectueux de la règle de jeu. Dans ses propos, il mettait directement en cause le FIS lequel, d'après lui, n'a jamais respecté la démocratie et que le non respect de celle-ci a conduit à la destruction du pays. Le président du HCE, dans sa soif de justice, soif de changer la situation, mettra tous ses efforts en valeur pour tout d'abord restaurer l'autorité de l'Etat, la paix civile et rehausser l'image de l'Algérie sur la scène internationale. Il devait par la suite mettre l'accent dans ses discours et autres rencontres avec le peuple sur le "rétablissement de la confiance" à tous les niveaux. De son bref passage à la tête du HCE, Boudiaf s'est montré favorable à "une économie de marché et la libéralisation de l'économie nationale", tout en insistant qu'il ne s'agit nullement d'un désengagement de l'Etat. "Bien au contraire, l'Etat doit exécuter toutes ses prérogatives dans la moralisation et la régulation de l'économie, la protection sociale et l'équilibre régional, prendre en charge les services publics et garder le contrôle des grands secteurs stratégiques", furent ses mots d'ordre et son agenda quotidien. A l'époque, ces cinq axes prioritaires de la politique et de la stratégie de Boudiaf ont été interprétés et surtout fixés par leur auteur sur l'assainissement des entreprises publiques pour améliorer leur efficacité, l'encouragement aux PME pour davantage de développement de la production et de l'emploi, une prise en compte de la demande sociale en matière d'approvisionnement, de logements, d'infrastructures, la reconquête de l'espace agricole pour un développement rural, l'appel aux investissements étrangers dans le cadre d'accords de coopération et de partenariat. Il avait également une très grande appréhension, voire une inquiétude sur le problème de la dette dont le service représentait en 1992 plus de 70% des recettes d'exportation. Il savait que le poids est lourd, aussi il mettra toute son énergie pour inciter et mobiliser tout le monde pour remettre l'économie nationale sur pied. Le président du HCE s'est également montré intraitable envers l'embargo établi par certains pays occidentaux et également les pressions exercées sur le pays. "Quelles que soient nos difficultés qui sont passagères, l'Algérie honorera ses engagements financiers internationaux". Mohamed Boudiaf a retenu dans son discours et dans ses décisions, une très grande attention pour les jeunes qui représentent plus de 65% de la population. Comprenant que beaucoup de jeunes ont été manipulés par le FIS, il reconnaît que les électeurs ont voté pour le parti d'Abassi Madani "par désespoir". Il rappellera tous ces jeunes à s'investir dans la vie nationale pour "résoudre ensemble tous les problèmes". De son point de vue, il fallait redonner confiance à ces jeunes pour qu'ils participent au règlement des problèmes de l'habitat, du chômage, etc. Il s'est montré très ferme quant aux réponses sur l'état d'urgence, notamment face à tous ceux qui se sont inscrits dans la violence terroristes. "Le dialogue et le combat pour la démocratie étant possibles avec ceux qui en parlent en termes clairs et non avec des gens qui utilisent la mitraillette", disait Mohamed Boudiaf. Il a également interprété les visées intégristes, comme un moyen contre l'Etat et le peuple algérien. "Elles ne relèvent pas de l'islam sunnite, qui est tolérant. L'islam n'accepte pas les extrémismes et les mosquées sont des lieux de recueillement, de sérénité, de repos. Nous voulons un islam ouvert sur une société de progrès". Il mettra également en exergue tout le rôle que doit jouer la mosquée, soulignant que personne ne voudrait que l'islam, l'arabité, la berbérité soient des instruments de division du peuple algérien. Mohamed Boudiaf a été assassiné le 29 juin 1992 à Annaba, avant de prononcer son dernier mot "islam". Mohamed Boudiaf, 28 ans d'exil et 168 jours à la tête du HCE est toujours vivant dans la mémoire algérienne, y compris dans celle de la nouvelle génération.