Chaque jour que Dieu fait, le vieil homme ramasse les emballages de carton ondulé partout où il les trouve dans le centre de la ville de Djelfa avant de les déposer dans un endroit bien a l'abri des regards, puis fait le tour des commerçants pour leur rappeler à l'envi qu'il prend en charge les déchets de carton destinés à la poubelle pour pouvoir les revendre aux spécialistes de la récupération. Cheikh Ali, puisque c'est de lui qu'il s'agit, ne pose pour ainsi dire, aucune condition et se dit prêt à intervenir à tout moment pour "nettoyer" les trottoirs des déchets de carton qui jonchent les devantures de magasins regorgeant de marchandises. C'est que le vieil homme ne rechigne pas à la tâche et collecte sans arrêt toutes sortes de cartons avant de les regrouper, les attacher soigneusement avec une ficelle de fortune et les transporter sur son dos vers un endroit précis qui deviendra vite une montagne en carton tellement saugrenue que c'est à se demander ce qu'elle fait là. "Le métier de ramasseur de cartons que je me suis inventé est à la fois un moyen de gagner honnêtement ma vie et une manière a moi de débarrasser le centre de la ville d'une partie des amas d'inutilités qui l'encombre", confie-t-il. Notre homme explique qu'il se met au travail dès l'ouverture des commerces au petit matin car c'est le moment où les commerçants déballent leurs marchandises et s'il le rate, c'est son "chiffre d'affaires" qui en pâtira inévitablement. Sa collecte quotidienne, il la vend au poids à des personnes venant en gros d'Alger, à plusieurs centaines de km de là, à des heures précises pour prendre possession de la marchandise, entreposée à un endroit tout aussi précis, généralement à ciel ouvert, dans la rue. Il faut dire que ce "professionnel" d'un genre nouveau a trouvé le bon filon puisqu'il est arrivé maintenant à créer un véritable réseau de personnes dans différents quartiers, qu'il charge de collecter les cartons disponibles dans toute la ville et de les lui remettre en mains propres à son passage dans leurs cités d'habitation, moyennant rétribution. Cheikh Ali n'est donc pas mécontent de son nouveau job. Loin s'en faut car sans cette trouvaille il n'aurait jamais pu, à l'en croire, subvenir à ses besoins élémentaires notamment pendant la période, de ramadhan et les jours de fête, d'autant plus que l'homme en était réduit, à un certain moment de son existence, à faire la manche. Mais la "concurrence" arrive et voilà que le carton se fait plus rare sur les trottoirs de la ville: Des jeunes, sentant la bonne affaire, commencent à s'organiser en clans pour mieux exercer cette activité et, en définitive, ravir au bon vieux Ali un gagne-pain si chèrement acquis.