En 2004, l'écrivaine Assia Djebbar, deux fois nobélisable l'avait personnellement invitée à l'Institut du monde arabe, pour un concert mémorable offrant ainsi un espace d'expression glorieux à cette femme sortie des odeurs et des sons subversifs nocturnes. C'est peut-être le seule vrai et pur honneur qu'a eu cette mami du raï de la part d'une intellectuelle de chez elle, et non pas des responsables culturels plutôt affairés à faire dans le puritanisme hypocrite. Mais la défunte Rimiti n'en avait cure ! Son Algérie qui l'a faite, elle l'a chantée à l'envers et à l'endroit avec sa voix rauque et ses airs d'authentique bédouine. Bendir dans des mains auréolées de henné, elle a chanté les pulsions de son cœur quand dans la nuit l'être cher venait à lui manquer. Elle a dit les vibrations d'un corps sans pudeur ni paria. Elle a refusé de taire la vie souterraine des noctambules comme elle. C'est encore une fois de l'Institut du monde arabe à Paris, que des étrangers ont rendu un hommage posthume à la mami du raï. Comme si notre contrée rejetait son enfant, le condamnant même de façon implicite et après sa mort de tout les torts. La soirée hommage a été organisée, vendredi dernier, à l'Institut du monde arabe (IMA) de Paris. Ce rendez-vous consacré à une des figures marquantes de la chanson algérienne, a été organisé dans le cadre de la manifestation culturelle “ La Méditerranée en musique ”. Une manifestation ouverte en octobre dernier et qui se poursuivra jusqu'au mois de juin prochain. Beaucoup de monde s'est déplacé à cette soirée où les classiques de la mami du raï résonnaient inlassablement. C'est, Rabia en digne héritière de Rimiti qui a chanté les litanies indémodables du patrimoine de chez nous. Accompagnée de quatre musiciens, dont un gassab (joueur de flûte) et un percussionniste, Cheikha Rabia a invité le public nombreux de cette soirée, vers les rives du genre “gharbi ”, né dans l'ouest algérien dans les années 30 et qui a évolué pour devenir le futur raï. El Baroud, La Camel, la Camel, sans oublier N'ta Goudami, dernière chanson (fin 2005) de la défunte Cheikha Rimiti, sont entre autres morceaux interprétés par Rabia qui a fait vibrer la salle et a convié, à travers la rythmique propre à ce genre musical, les spectateurs à exécuter quelques pas cadencés sur scène. Au répertoire revisité de Rimiti, Cheikha Rabia a présenté au public quelques unes de ses chansons, dont Yana Hak, Likouani Bladou ouin, morceaux qui s'inscrivent dans la lignée du rai “ authentique, traditionnel que la défunte à toujours défendu à travers ses chansons ”, a déclaré à l'APS, la chanteuse établie en France depuis plusieurs années. “ Je suis fière de rendre cet hommage à une telle figure de notre patrimoine musical. Rimiti est partie et elle a laissé, derrière elle, un vide qui se fait sentir au fur et à mesure que le temps passe ”, a-t-elle confié. Sans fausse modestie, elle se revendique l'“héritière de Cheikha Rimiti ”, ayant chanté ensemble en Algérie, notamment, et appris d'elle son professionnalisme. “En tout cas, j'essaie de l'être en contribuant à perpétuer ce genre musical traditionnel, dont elle est l'une des figures emblématiques”, a-t-elle dit. Elle a ajouté que Cheikha Rimiti reste “ présente dans nos esprits et nos cœurs. Et en lui rendant cet hommage, aujourd'hui et en cette soirée à l'IMA, c'est une occasion pour revisiter son riche répertoire et souligner cette présence virtuelle, au travers des œuvres qu'elle a léguées à notre patrimoine culturel ”. Outre cette soirée, la chanson algérienne sera, également, présente à l'occasion de “La Méditerranée en musique ” et ce, à travers la musique arabo-andalouse avec, notamment, les noubas algériennes. L'ensemble El-Mawsili dirigé par Farid Bensarsa, qui est programmé pour le 20 janvier, permettra au public de l'IMA de faire un voyage mélodieux aux sources de l'art musical andalou, en mettant en lumière les noubas algériennes. L'ensemble musical El-Mawsili est l'une des composantes de l'association du même nom qui est établie, depuis 1991, dans la région parisienne et a repris le flambeau pour transmettre ce genre musical aux jeunes. Farid Bensarsa, qui dirige cet ensemble musical, est un ancien élève de la célèbre association algéroise El-Djazaïra-El-Mossilia, et a été longtemps l'assistant du maître Sid- Ahmed Serri, lui-même héritier du regretté grand maître Abderrazak Fekkhardji. Bien que rattachée à l'école algéroise, appelée çanaâ, la formation développe un répertoire ouvert sur d'autres styles de la musique arabo-andalouse, dont ceux de Tlemcen et de Constantine. “ La Méditerranée en musique ”, est une occasion de découvrir la richesse et la diversité des nombreuses musiques nées dans l'espace méditerranéen. Les polyphonies orales mises au grand jour en Corse, en Sardaigne, en Sicile, en Albanie, le fado, le flamenco, les chants sacrés du delta du Nil, ont accompagné cette manifestation culturelle.