Le jour même de l'arrivée de l'armée US à Baghdad en mars 2003, le premier soin de cette dernière était de prendre le contrôle du ministère du Pétrole et de s'approprier toute la documentation et l'information qu'il recèle. Ayant un mandat très précis, les boys laisseront piller sans sourciller les autres ministères, tout comme les musées, mais celui du pétrole deviendra une forteresse imprenable et ses trésors ne tomberont pas entre "de mauvaises mains". Au nombre de ces trésors, les résultats des recherches géologiques, des forages effectués sur tout le territoire irakien constituent un véritable inventaire du potentiel pétrolier du pays. Potentiel énorme quand on sait que sur 80 champs pétroliers identifiés, seuls 17 étaient en exploitation avant l'invasion. S'il existait encore le moindre doute sur la motivation pétrolière dans l'invasion et l'occupation de l'Irak, l'information publiée récemment par le journal britannique The Independent du 7 janvier, apporte un net démenti à ces doutes. En effet, selon The Independent le régime de Baghdad, mis en place par les Américains, est prêt à approuver une nouvelle loi sur les hydrocarbures qui donnera une mainmise sans précédent des vastes réserves de pétrole du pays aux conglomérats énergétiques américains et britanniques. Les termes de cette nouvelle loi, détaillés par le journal, apporte un sacré coup à la prétendue souveraineté irakienne et souligne que l'objectif réel de l'entreprise sanglante américaine est de s'emparer de quelques-unes des plus importantes réserves de pétrole non exploitées qui restent dans le monde. Le texte de cette nouvelle loi, qui sera approuvée selon toute attente par le Parlement irakien dans les jours qui viennent et mise en place dès le mois de mars, a été rédigé par une entreprise américaine d'experts-conseils employée par l'administration Bush et a été présenté aux principales compagnies pétrolières ainsi qu'au Fonds monétaire international pendant l'été. En décembre, bon nombre, sinon la majorité, des députés irakiens n'avaient toujours pas vu cette législation. The Independent, qui s'est procuré une version de la loi, écrit que "cette loi permettrait la première opération de grande envergure de compagnies pétrolières étrangères dans le pays depuis la nationalisation de l'industrie en 1972". Le journal a ajouté que la nouvelle loi "marquerait un écart par rapport à la norme concernant les pays en voie de développement " et serait la première en son genre pour tout producteur de pétrole important du Moyen-Orient, où l'Arabie Saoudite et l'Iran, premier et second plus importants producteurs mondiaux, "contrôlent tous deux étroitement leur industrie au moyen de compagnies nationalisées sans collaboration étrangère notable", comme c'est le cas pour la plupart des membres de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep). D'après son avant-projet, l'aspect juridique le plus significatif de cette législation en instance est l'introduction de ce qu'on appelle des accords de partage de production (APP) où l'Etat garde la propriété des réserves de pétrole mais déverse des milliards aux compagnies pétrolières étrangères pour les dédommager de leur investissement dans l'infrastructure et le fonctionnement des forages, pipelines et raffineries. Ces APP seraient arrêtés pour une durée de 30 ans ou plus, permettant ainsi aux compagnies pétrolières étrangères de conserver des arrangements favorables quelles que soient les mesures prises par un prochain gouvernement pour réguler les profits, les taux d'imposition ou les niveaux de production. C'est ainsi que tandis qu'elles recouvrent les coûts de leurs investissements initiaux pour développer un champ pétrolifère, les compagnies étrangères pourront conserver 60 à 70 pour cent du revenu du pétrole. Après avoir récupéré leurs dépenses initiales, les compagnies peuvent empocher jusque 20 % des bénéfices. En d'autres termes, les conditions accordées par la garantie de la nouvelle loi assureront des bénéfices massifs aux conglomérats énergétiques. Par ailleurs, une disposition d'un avant- projet antérieur de la nouvelle loi, dont le journal dit ne pas savoir si elle sera retenue dans la dernière version, insiste sur le fait que tout conflit avec une compagnie étrangère doit en dernière instance être réglé par arbitrage international et non irakien. Avec cette loi, l'administration américaine, dont les accointements avec les conglomérats énergétiques américains n'est un secret pour personne, s'offre le pétrole irakien sur un plateau d'or. En effet, l'Irak possède 115 milliards de barils de réserves de pétrole connues, soit dix pour cent du total mondial, et on estime qu'une industrie fonctionnant à pleine capacité pourrait générer 100 milliards de dollars de revenus annuels. Les ressources les plus importantes sont celles des champs du Majnoon et de Qurna Occidental, à proximité de Basra au sud du pays, qui contiennent près du quart des réserves établies d'Irak. En plus de cela, on estime que l'Irak possède entre 100 et 200 milliards de barils de réserves possibles, y compris dans le désert occidental. Mieux encore, en Irak, le coût d'extraction du pétrole par baril est parmi les plus bas au monde du fait que les réserves sont relativement proches de la surface et que de nombreux champs ont déjà été découverts mais pas développés du fait des années de guerre et de sanctions économiques. La plupart des gigantesques champs pétrolifères d'Irak sont déjà localisés et tracés sur la carte et il n'y a donc aucun risque et coût d'exploration, contrairement à ceux de la mer du Nord, de l'Amazone ou des sables goudronneux du Canada, où d'énormes investissements sont nécessaires. Plus encore puisque dans le chapitre intitulé "Régime fiscal", The Independent fait remarquer que "l'avant-projet de loi dit clairement que les compagnies étrangères n'ont aucune restriction pour sortir leurs bénéfices hors du pays et ne sont soumises à aucun impôt si elles le font" Le projet de loi déclare "une personne étrangère peut rapatrier ses procédures d'exportation [en accord avec les régulations de change en vigueur à ce moment". Les parts dans les projets pétroliers peuvent aussi être vendues à d'autres compagnies étrangères : "On peut librement transférer des parts appartenant à des partenaires non irakiens". Tout porte à croire donc que la stratégie de Bush qui consiste à donner l'illusion que l'Irak n'est pas spolié et en même temps de s'assurer qu'aucun gouvernement irakien pour les décennies à venir ne pourra mettre la main sur ce pactole qu'est le pétrole, semble en voie de se concrétiser avec l'adoption, par le régime irakien allié, de cette nouvelle loi sur les hydrocarbures. Par ailleurs et comme conséquence indirecte mais certaine de cette perte de contrôle national, c'est l'affaiblissement de l'Opep. En effet, si l'Irak pourra continuer à faire partie de l'Opep, les gérants qui exploiteront les nouveaux gisements ne seront pas liés au cartel des pays producteurs. Ils produiront, vendront, feront des bénéfices à leur guise et dans leur seul intérêt. Pour W Bush, la guerre en Irak coûte, mais elle peut aussi rapporter gros. Dès le milieu des années 90, l'inquiétude grandissait à l'idée que le développement des sanctions imposées par les Nations unies après la première guerre du Golfe permettrait à Saddam Hussein d'établir des accords lucratifs avec la France, la Russie la Chine et d'autres compagnies pétrolières, qui excluraient les Etats-Unis et la Grande-Bretagne et réaligneraient l'industrie énergétique mondiale. Ayant vite compris l'enjeu, l'administration américaine a pris les choses en main. Des mois après l'invasion américaine de l'Irak, et après une longue bataille juridique avec la Maison-Blanche, il a été révélé que le contrôle des champs pétrolifères d'Irak était une des principales questions discutées lors de la réunion "Energy Task Force" du vice-président Dick Cheney avec des cadres de l'industrie pétrolière en 2001. Parmi les objets publiés par injonction de la cour, il y avait des cartes des champs pétrolifères, des pipelines et des raffineries d'Irak, ainsi qu'une liste des "étrangers à la recherche de contrats pour les champs pétrolifères irakiens", citant plus de 60 entreprises de 30 pays, plus particulièrement de France, Russie et Chine, qui avaient des projets soit déjà acceptés, soit en cours de discussion avec Baghdad. Même très affaibli par la défaite des Républicains aux élections de novembre 2006, le président américain continue son obstination sur l'Irak. Les idées exposées dans son dernier discours ne peuvent être qualifiées de tout à fait nouvelles. Les Etats-Unis ont déjà dépensé 350 milliards depuis l'invasion du 20 mars 2003. Le nouveau plan pour l'Irak de George W. Bush représente un coût total de 6,8 milliards de dollars. Tous ces milliards dépensés en Irak ne sont, en fin de compte, qu'un investissement que compte capitaliser l'administration Bush à travers cette nouvelle loi sur les hydrocarbures que compte approuver le régime en place à Baghdad consacrant, de fait, la mainmise de l'oncle Sam sur l'une des plus importantes réserves de pétrole au monde.