La diminution lancinante des réserves en pétrole conventionnel a poussé de nombreux analystes à affirmer en bloc que l'avenir du pétrole réside dans l'exploitation des pétroles lourds et des sables bitumineux. C'est ans ce contexte que les gisements du bassin de l'Orénoque au Vénézuela, les gisements du Brésil et du Canada ont un à certain moment attiré l'attention des investisseurs. Or, l'exploitation de ces gisements nécessite des investissements colossaux, d'où l'importance de garantir les financements pour ce genre de projets. Ainsi, beaucoup d'experts ont estimé que pour pouvoir recourir à ce genre de ressources, il faudrait assurer un baril à un prix d'au moins 70 dollars. Cela paraissait tout à fait possible lorsque le brut flirtait avec les sommets pour atteindre un record de 147 dollars l'été dernier. Or, la situation du marché a changé aujourd'hui et baril est tombé en dessous des 50 dollars. Cette tendance inversée menace à court terme l'exploitation des sables bitumineux. Ainsi, la crise a donné un brutal coup de frein au développement des gisements de la province occidentale d'Alberta, deuxième réserve mondiale de pétrole derrière l'Arabie Saoudite, avec 173 milliards de barils de pétrole lourd, onéreuse à exploiter. Au cours des dernières semaines, un chapelet d'entreprises pétrolières ont réduit, gelé, voire abandonné d'importants projets liés à l'extraction et à la transformation de ce bitume en pétrole de synthèse. La contraction des principales économies, et a fortiori celle des Etats-Unis premier client du pétrole canadien, a tiré vers le bas le cours du baril de pétrole au grand dam de l'industrie des sables bitumineux du nord de l'Alberta où le coût de production est très élevé. Le groupe canadien Connacher a annoncé cette semaine qu'il réduirait "temporairement" sa production dans les sables bitumineux en raison "de la détérioration récente du marché". Si le cours du baril recule au prix plancher de production, "plusieurs entreprises pourraient faire comme Connacher et diminueront leur production", estime M. Stringham, en fixant autour de 30 dollars ce prix. Le géant norvégien StatoilHydro a abandonné son projet de raffinerie et Pétro-Canada a amputé du tiers son programme d'investissements, reporté la décision sur l'avenir de son ambitieux projet de Fort Hills, Shell a suspendu l'expansion de projets. Greg Stringham, vice-président de l'Association canadienne des producteurs de pétroles (CAPP) estime que "les investissements dans les sables pétrolifères passeront de 20 milliards de dollars en 2008, à 16 milliards l'an prochain, une baisse de 20% en une seule année". Pour sa part, Joseph Doucet, professeur spécialisé dans les politiques énergétiques à l'université d'Alberta, à Edmonton, pense que "la progression des investissements et le développement anticipé sur les prochaines années sera limité en raison de la crise financière et du faible prix du pétrole brut sur le marché". La crise financière complique l'accès aux prêts bancaires et au capital boursier pour les entreprises devant à présent financer ces projets colossaux à même leur fonds de trésorerie. L'assèchement du crédit met aussi des bâtons dans les roues des projets de rachat d'entreprises. Le géant français Total, très actif dans les sables bitumineux depuis quelques années, envisage une offre d'achat de 16 milliards de dollars sur le groupe canadien Nexen mais juge les conditions du marché défavorables pour l'instant, indiquait récemment une source proche du dossier. La production dans les sables bitumineux de l'Alberta, une des rares régions du monde politiquement stable pouvant augmenter sa production, était en moyenne de 1,2 million de barils par jour (bpj) cette année et devait avoisiner 3 millions bp/j vers 2016-2017, mais l'industrie a repoussé de deux ans cet objectif, dans un rapport publié cette semaine par l'Association canadienne des producteurs de pétrole.