La cause semble entendue. La crise financière révèle en pleine lumière le rôle protecteur de l'euro, la monnaie unique européenne, qui fête cette année ses dix ans. Preuve de ce triomphe, le nouvel intérêt pour la monnaie européenne de la part des membres de l'Union n'ayant pas encore adopté l'euro comme la Suède, le Danemark ou les nouveaux Etats membres comme la Pologne. Les Britanniques eux-mêmes seraient en train de reconsidérer leur position vis-à-vis de l'euro et un pays comme l'Islande, non membre de l'UE, demanderait bientôt son entrée dans l'Union, seule manière d'intégrer le cercle de l'euro. A entendre les commentaires unanimes des observateurs, il serait donc temps de reconnaître le caractère visionnaire de la construction monétaire européenne. Plus encore, il conviendrait que les Français abandonnent enfin définitivement leurs réticences à l'égard d'une Banque centrale européenne qui a démontré toute son utilité à l'épreuve de la crise. A brève échéance, personne ne peut nier la "protection" apportée par l'absence de taux de change entre monnaies européennes contre des crises de change du type de celle que nous avons connue dans le passé. La crise de change ne s'est pas ajoutée à la crise financière, avec toutes ses conséquences très déstabilisatrices sur la politique des taux d'intérêt et sur la compétitivité des entreprises. L'euro n'a toutefois pas empêché l'Europe de connaître la récession Il semble malheureusement que nous commentateurs chevronnés vont vite en besogne en déclarant la victoire définitive des partisans de la monnaie unique européenne car il s'agit en fait d'une analyse à très courte vue. Après tout, se réjouir de l'absence de crise de change permise par la suppression des taux de change intra européen est un tautologie. Cette constatation n'emporte aucune considération quant à l'utilité réelle d'un tel résultat. Ce type d'argument pourrait tout aussi bien être utilisé pour réclamer le retour à un système financier encadré par l'Etat pour faire disparaître les crises financières. Nos économies en seraient-elles plus prospères pour autant ? Il convient donc d'approfondir la réflexion. Nombreux sont en réalité les économistes qui considèrent l'existence d'un marché des changes et l'occurrence de crises de change comme des révélateurs de tensions économiques sous-jacentes auxquelles il convient de remédier. Depuis quelques années, des évolutions très divergentes affectent les économies de la zone euro. L'Espagne et l'Irlande, hier, beaucoup plus dynamiques que le reste de la zone euro sont en train de voir leurs économies entrer dans une sévère récession. Le chômage devrait, selon la Commission, y croître d'au moins 3 points d'ici 2010. Depuis trois ans, la France et l'Allemagne ont connu des rythmes de croissance assez différents. L'Italie s'enfonce toujours plus dans la stagnation économique. La crise financière va encore aviver ces divergences qui sont également perceptibles sur les marchés de la dette souveraine. Au delà des problèmes de liquidité créés par la crise, les marchés semblent bien avoir compris ce piège très dangereux qui guette les pays européens. Peu à peu, ils en viendront à considérer que l'euro, dans le cadre actuel, n'est pas une construction viable. Le brusque effondrement de l'euro face au dollar sur le marché des changes, passé de 1,60 à 1,25 dollars en quelques semaines, témoigne de la fragilité de la devise européenne en période de crise. Les faits, dix ans après son lancement, l'euro cherche un nouvel équilibre. La Slovaquie est devenue, mercredi 31 décembre 2008 à minuit, le 16e pays de l'Union européenne à adopter l'euro en remplacement de sa monnaie, la couronne. L'instauration de la monnaie unique a notamment permis d'éviter des dévaluations successives des monnaies nationales et empêché les attaques spéculatives. Le fait est que la monnaie unique a commencé 2009, en ne faisant montre ni de force ni de stabilité. Vendredi 2 janvier, l'euro, qui s'échangeait à plus de 1,40 dollar en début de semaine a chuté à 1,3921 dollar. Un plongeon lié au repli historique de l'activité manufacturière en zone euro à 33,9 points, selon l'indice des directeurs d'achat (PMI). Les très faibles volumes sur le marché des changes en cette période de fin d'année expliquent, en partie, la brutalité du mouvement. Mais la volatilité devrait rester forte en 2009. La monnaie unique risque donc d'être soumise à rude épreuve. Quant à sa robustesse. Pour la plupart des économistes, l'euro s'était apprécié en fin d'année car, dans un environnement globalement déprimé, la situation de l'Europe, semblait meilleure ou plutôt moins pire que celle de ses voisins. L'euro devrait donc encore reculer dans les semaines à venir. Ce qui n'est pas forcément une mauvaise chose. "Ce qui est bon pour l'euro n'est pas bon pour l'Europe", atteste Christian de Boissieu, président du Conseil d'analyse économique, qui mentionne notamment la moindre compétitivité des exportations européennes du fait d'un euro trop fort. Dans la crise, chaque Etat a, en effet, plutôt intérêt à laisser se déprécier sa monnaie pour relancer son économie. Ce que n'hésitent pas à faire les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Nassim I.