Une des logiques les plus défaillantes du paradigme de la mondialisation néolibérale, qui sest développée ces trois dernières décennies, a été de faire primer le commerce sur lindustrie et les finances sur la production. Le fait que lOrganisation mondiale du commerce (OMC) a davantage été présente dans le programme dactions mondial et a davantage occupé le devant de la scène médiatique que lOrganisation des Nations unies pour le Développement industriel (Onudi) est un signe révélateur. Cest pourtant le contraire qui aurait dû se produire, estime M. Yash Tandon, directeur exécutif du Centre Sud dans une réflexion à ce sujet. En effet, lindustrie précède le commerce : sans production industrielle, il ny a pas déchange commercial. Lun des effets secondaires plus encourageants et leffritement du Cycle de négociations commerciales de Doha, est que lon va commencer à privilégier la production et lindustrialisation par rapport au commerce. « Bien entendu, il aurait été préférable que les négociations du Cycle de Doha débouchent sur une issue favorable au développement. Que les négociations qui se trouvent dans une impasse montrent cependant un malaise plus profond du système ; et que cela se passe en même temps que leffondrement du système financier mondial qui nest pas un hasard. De même que lOMC et des institutions de Bretton Woods ». La Banque mondiale et le Fonds monétaire international aient tous les deux failli seffondrer ou, au moins, que leur légitimation ait été ébranlée, relève dune double faiblesse du système économique mondial, cest-à-dire la prépondérance du commerce sur lindustrie et celle des finances sur la production. De ces deux faiblesses, la dernière est la plus grave. La financiarisation de la production a mis les profits spéculatifs au premier plan, souvent générés à partir dargent fictif ou de crédits, alors que lemphase aurait dû être mise sur la production. Les pyramides de Ponzi des opérations dinvestissement frauduleuses consistant à payer le taux dintérêt des capitaux investis par les premiers investisseurs avec les fonds investis par les derniers investisseurs plutôt quavec les profits qui ont servi à bâtir lempire financier de 50 milliards de dollars de Bernard Madoff, qui sest effondré, ont trompé des millions de personnes qui croyaient investir leurs capitaux dans léconomie réelle, alors quelles ne faisaient quinvestir dans un profond trou noir. Même des banques de renom, occidentales pour la plupart, ont été leurrées. Quant au commerce, que le modèle néolibéral dominant a fait primer sur lindustrie, il est le second talon dAchille du système mondial et a, en effet, un lien avec le premier. En réalité, le commerce de largent transactions sur les marchés monétaires, pyramides de Ponzi, devises, fonds darbitrage, transactions à terme, intermédiation financière. Seuls 2 %, ou moins, financent le commerce de biens réels. Tel est le monde incohérent dans lequel nous vivons. Achille, ancien héros grec de la guerre de Troie, navait quun seul talon vulnérable, mais ce sont les deux talons commercial et financier du système mondial actuel qui sont gravement défectueux, ce qui expose le système aux manipulations des escrocs.Cela ne veut pas dire que limportance de la finance et du commerce est sous-estimée. « Ce qui est produit doit être financé et faire lobjet déchanges commerciaux. Le financement est un moyen de production, mais ce nest quun ingrédient parmi dautres, trois au moins : la force de travail, les ressources naturelles et les compétences entrepreneuriales. Dans le système de production mondial actuel, les banques et les entrepreneurs sont déraisonnablement privilégiés par rapport à la main-duvre, le directeur général dune grande multinationale peut gagner un salaire de plus dun million de dollars par mois alors quun employé ne gagne quune infime fraction de cette somme, plus particulièrement si ce ou cette, surtout cette employée, vit dans un pays du Sud et par rapport aux ressources naturelles. Cest fondamentalement ce qui explique pourquoi les pays riches senrichissent et les pays pauvres restent pauvres. Le commerce aussi est important. Une fois les biens produits, ils doivent être consommés. Bien sûr, tout ce qui est produit ne fait pas obligatoirement lobjet dun commerce ; les agriculteurs dune grande partie du Sud pratiquant une agriculture de subsistance, par exemple, consomment ce quils produisent sans passer par les marchés. Néanmoins, les marchés sont nécessaires pour distribuer les biens produits et pour réaliser la valeur des biens afin que le cycle de production recommence. Le système commercial mondial actuel est toutefois largement défavorable aux pays du Sud pour des raisons historiques et structurelles. Les ressources naturelles du Sud sont fortement sous-évaluées sur le marché mondial. Si lon ajoutait le coût environnemental résultant de lexploitation des ressources du Sud à la valeur réelle de la force de travail des travailleurs du Sud, ils devraient recevoir au moins quatre ou cinq fois plus que ce quils reçoivent actuellement. Telle est la seconde raison fondamentale pour laquelle les pays riches senrichissent aux dépens des pays pauvres. Ahmed Saber