Voilà une initiative qui devrait susciter une vive bataille entre le Royaume-Uni et les pays du continent. La Commission européenne a invitée, hier, les Vingt-Sept à renforcer la supervision financière en Europe. Pour elle, le dispositif actuel a "été incapable de prévenir, de gérer et de résoudre la crise". Au contraire, les récents événements ont "mis en lumière de sérieuses imperfections" dans la coopération entre les superviseurs nationaux. Très attendues deux mois après le sommet du G20, à Londres, ses propositions s'inspirent des recommandations formulées fin février par un groupe d'experts présidé par l'ex-directeur général du Fonds monétaire international (FMI), le Français Jacques de Larosière. Pour José Manuel Barroso, il s'agit d'un test à moins de dix jours des élections européennes. En lice pour un second mandat, le président de la Commission est souvent accusé de ne pas trancher entre les intérêts divergents des principaux Etats membres, au point d'avoir manqué d'ambition régulatrice ces dernières années. Cette fois, il semble être résolu à contourner l'opposition de Londres, avec le soutien d'une majorité de capitales, dont Paris et Berlin, et d'une grande partie du Parlement. "Les recommandations de M. de Larosière sont une première étape nécessaire", indique Poul Nyrup Rasmussen, le président du Parti socialiste européen qui s'agace de voir M. Barroso "prendre son temps", puisque la proposition formelle de directive n'est pas annoncée avant septembre. Plutôt isolée, la commissaire britannique, Catherine Ashton, a multiplié les objections lors des travaux préparatoires. Même affaiblie par la crise, la City, qui a assuré sa prédominance en Europe en misant sur la dérégulation, et une supervision minimaliste, refuse de voir ses marges de manoeuvre réduites par l'émergence d'instances européennes susceptibles d'imposer leurs vues aux autorités britanniques. Deux dispositifs sont imaginés pour faire cesser l'excessive fragmentation de la supervision, mais sans la centraliser totalement au niveau du continent - une perspective jugée hors de portée à ce stade. Il s'agit de créer un "conseil des risques systémiques" chargé d'assurer une surveillance macro-prudentielle. Présidé par le président de la Banque centrale européenne (BCE), Jean-Claude Trichet, cet organisme "indépendant" rassemblerait les dirigeants des banques centrales, y compris celles des pays hors zone euro. Dès lors que la stabilité financière serait menacée, le conseil pourrait adresser, après un vote à la majorité simple, des alertes et des recommandations aux gouvernements concernés. "Il sera ainsi possible de mettre en garde contre la formation d'une bulle immobilière dans tel ou tel pays, ce qui n'est pas possible à ce jour avec les instruments en place en Europe", explique un haut responsable monétaire. Mais Londres, qui refuse d'adopter l'euro, n'apprécie pas de voir la BCE jouer un rôle clé dans ce nouveau dispositif. L'autre réforme est encore plus sensible pour Londres : elle consiste à bâtir, d'ici à 2010, un "système européen des superviseurs financiers". Un réseau qui serait composé des trois autorités européennes chargées de contrôler, en lien étroit avec leurs homologues nationales, l'activité des secteurs bancaire, de l'assurance et des Bourses. Ces trois instances de concertation existent déjà, mais leur rôle est purement consultatif. A l'instar du groupe de Larosière, Bruxelles veut renforcer nettement leur statut, et leurs pouvoirs, au grand dam, là aussi, du gouvernement britannique. Ces autorités européennes seraient notamment en mesure d'arbitrer "en dernier ressort" en cas de divergences persistantes entre deux superviseurs nationaux. Elles pourraient aussi adopter des recommandations à l'encontre des autorités nationales qui agissent en contravention avec la législation européenne. Elles devraient enfin pouvoir jouer "un rôle fort de coordination" en cas de défaillance bancaire. Un ensemble de prérogatives qui auraient fait, selon Bruxelles, Paris ou Berlin, cruellement défaut avant et pendant la crise. R.I