Docteur Abderrahmane Mebtoul expert international, professeur en management stratégique Le 19e Forum économique mondial (WEF) sur l'Afrique, s'est réunit le 10 juin 2009 en présence de 800 représentants de 50 pays au Cap, dont le thème majeur est l'impact de la crise financière et économique sur le continent. Or, en été 2007, au lendemain de l'éclatement de la crise, plusieurs responsables africains affirmaient; “nous n'avons rien à craindre.” “Grâce au sous-développement nous sommes immunisés". Mais à terme, la crise ne menace, t-elle pas d'attiser les conflits sur le continent, d'autant plus que la croissance mondiale qui, pour la première fois depuis 60 ans, sera négative? Même si la crise a été lente à atteindre les rivages de l'Afrique, nous savons tous qu'elle arrive et que son impact sera sévère a averti le FMI dans son dernier rapport de mars 2009, prévoyant une chute drastique des échanges commerciaux et de services avec les pays africains, une baisse des transferts de capitaux par la diaspora, l'amenuisement des investissements étrangers et de l'aide avec une récession, la croissance économique du continent ne devant pas dépasser les 3% en 2009, loin des 5,4% de croissance enregistrés en 2008. I- L'Afrique face à la crise mondiale La population africaine est estimée à 922 millions d'habitants en 2005, à 944 million en 2007, a doublé depuis 1980, pratiquement quintuplé depuis 1950 et s'oriente vers un milliard et demi ( 1,5) horizon 2020. Au sein du produit intérieur brut africain en moyenne 2007/2008, le secteur des services représente la plus grande part du PIB avec 44,7%, suivi de l'industrie (41,5%) et de l'agriculture (13,8%). Si l'expansion de l'économie mondiale a favorisé le développement de certaines aires géographiques comme l'Asie du Sud et de l'Est, l'Afrique est restée, elle, largement en marge du phénomène. 34 pays les moins avancés (PMA) sur 49 se situent aujourd'hui sur le continent noir. Selon les rapports de l'OUA de 2006/2007, sur 141 pays en voie de développement 95 soit les 2/3 sont tributaires à plus de 50% de leurs exportations des matières premières agricoles et minérales dont 80% pour l'Afrique subsaharienne. A titre d'illustration entre 2005/2006, le coton représente dans le total des exportations 56% pour le Burkina Faso, 66% pour le Bénin et 76% pour le Tchad, d'ailleurs fortement concurrencé par la Chine et l'Inde. Le commerce intra-africain qui ne dépasse pas 10% (rappelant que le commerce intra maghrébin qui peut être un espace de dynamisation du commerce intra- africain épaulé par une zone de libre-échange africo- arabe du fait des importants capitaux et des opportunités d'affaires, ne représente en 2008 qu'environ 3%) est dominé par un nombre restreint de pays qui vendent un nombre limité de produits. En Afrique subsaharienne (à l'exclusion de l'Afrique du Sud), d'après la Banque mondiale, pour 2007, environ trois quarts des exportations intra -africaines proviennent de cinq pays (Côte d'Ivoire, Ghana, Kenya, Nigeria et Zimbabwe). C'est que les efforts actuels d'intégration régionale, (vœux pieux malgré plusieurs expériences) , qui remontent à 1994, date de l'entrée en vigueur du traité d'Abuja, et qui consistait en une intégration progressive en créant des zones de libre-échange par l'élimination des tarifs douaniers sur les produits échangés au sein des diverses communautés économiques africaines, les barrières non tarifaires et l'adoption d'un tarif douanier commun pour former une union douanière, du fait que les taxes commerciales imposées sur le continent sont plus élevées que dans les autres régions, ont largement contribué à freiner le commerce entre pays africains.En plus, l'approche progressive définie dans l'accord d'Abuja, notamment la réduction de certains tarifs douaniers au niveau régional, n'a été que partiellement appliquée dans une ou deux régions et a été en grande partie remplacée par la libéralisation généralisée des échanges que préconisent les programmes d'ajustement structurel financés par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI).Tout en reconnaissant que d'importants progrès au niveau du continent Afrique, politique, le nombre de conflits ayant sensiblement baissés, et économique avec sept années consécutives de croissance relativement élevée, ont permis à un certain nombre de pays de se constituer des réserves monétaires et d'améliorer leur balance des paiements, ce qui permet d'amortir les difficultés à court terme, néanmoins, cette performance ne doit pas voiler les nombreux obstacles qui se dressent sur la voie du développement des pays africains et qui ont entre autres pour noms la faiblesse de l'industrialisation, les failles dans la gouvernance, le taux élevé du chômage auquel sont confrontés plus de 200 millions de jeunes africains, en bref la persistance de la pauvreté. Aussi, la crise risque de freiner cet élan, d'autant plus que les services et les infrastructures sont dégradées ; la fonction publique mal payée et donc gangrenée par la corruption avec l'inégalité entre les régions, l'insécurité dans les villes. Face à cela, la dominance d'une société de subsistance ou une contre-société de trafics qui enfante ses gagnants et ses perdants. La plupart des pays sont endettés même si ces données doivent être corrigées par le fait qu'une partie de la production est invisible, une partie de la population vit de sa production sans que celle-ci soit recensée. La croissance démographique est un facteur d'explication de la situation économique difficile ; elle engendre deux effets pervers : raréfaction des actifs et explosion d'une population jeune. Les sécheresses qui se succèdent depuis les années 60, l 'avancée du désert ont provoqué des crises agricoles graves. Les agriculteurs africains sont de plus handicapés par leur mauvaise maîtrise des techniques de conservation de l'eau et d'irrigation comme ils le sont aussi par les médiocres infrastructures. A cela s'ajoute le nombre des pays en guerre et donc de réfugiés. Le taux d'urbanisation et l'exode rural jouent un rôle important dans cette croissance. Or les villes ne proposent qu'un nombre d'emplois dérisoire en l'absence de véritable politique de développement. Certes, du fait de son sous-développement, l'Afrique reste moins affectée par la crise financière mondiale, représentant en moyenne 2007/2008 1% du produit intérieur brut mondial. Le système financier africain est généralement autonome et indépendant de ses relations avec les économies occidentales, et ne dispose pas encore d'un système boursier encore performant. Une des raisons pour lesquelles les turbulences économiques mondiales auront des effets moins graves en Afrique est que le contrôle des mouvements de capitaux, ont poussé les banques du continent à favoriser la gestion des dépôts locaux et à faire des investissements relativement peu risqués. Leur exposition aux "subprimes" et autres instruments financiers douteux qui ont provoqué la chute de banques américaines et européennes est donc minimale. Toutefois, des conséquences à plus long terme sont attendues vu la situation de l'Afrique qui est des plus inquiétantes, car même si elle ne subit pas une conséquence directe de la crise financière, l'impact se fait ressentir par d'autres biais. Les conséquences de cette crise peuvent varier selon le niveau de développement des pays. L'effet de contagion peut donc atteindre des Etats dont les systèmes financiers sont plus intégrés au système international. Pour les autres, c'est une période d'incertitudes avec, paradoxalement, de nouveaux risques comme l'augmentation des interventions de l'armée dans la vie politique, des crises sociales et des grèves liées aux inégalités, l'injustice et à la corruption, la dévalorisation du savoir qui explique l'exode de cerveaux. Car, l'Afrique perd chaque année 20.000 professionnels comme conséquence de la "fuite des cerveaux", selon le bulletin de la Commission Européenne. Un tel exode influe négativement sur le continent dont le départ des compétences intellectuelles vers d'autres continents contribue à marginaliser l'Afrique dans les systèmes mondiaux du savoir. Le fait que ces personnes qualifiées et compétentes ne retournent pas dans leur pays, souvent pour des raisons de marginalisation par le pouvoir constitue la cause de l'impossibilité pour l'Afrique d'entrer dans l'arène mondiale du savoir. Autre élément, le manque d'eau. Il est prouvé mondialement ces dernières années dans les différents rapports de l'ONU, l'UNESCO, du Conseil Mondial de l'eau, que les ressources en eau vont poser un grave problème à l'humanité, deux tiers de la planète dont l'Afrique, risquant de souffrir d'un manque d'eau grave. Mais face à la crise mondiale, il y a lieu de préciser il n'y a pas une Afrique mais des Afriques. La crise affectera au cas par cas. Les pays de l'Afrique australe et du Maghreb, sont économiquement plus prospères que l'Afrique centrale et l'Afrique de l'Ouest. Des pays ayant des réserves de change importantes notamment les économies pétrolières africaines ou les pays grands exportateurs de matières premières que les pays les plus pauvres ou vivant uniquement du tourisme qui risque de connaitre une récession, sont moins touchés à court terme, dans la mesure où l'effondrement des cours avec la mentalité rentière du passé qui a privilégié la dépense monétaire sans se préoccuper d'une bonne gestion, risquent d'avoir des effets néfastes à moyen terme. à suivre...