Un responsable de l'ONU qui a enquêté sur de possibles crimes de guerre commis par Israël et le Hamas lors de la guerre de décembre-janvier dans la bande de Gaza reconnaît que ses investigations ont peu de chances de conduire à des poursuites, faute notamment d'une instance judiciaire clairement compétente. Israël a refusé de coopérer à l'enquête menée par le juge Richard Goldstone, en ne lui donnant pas accès à des sources militaires et à des victimes de roquettes du Hamas. Et des agents de sécurité du Hamas l'ont souvent accompagné durant sa visite de cinq jours à Gaza la semaine dernière, suscitant des doutes sur la possibilité pour les témoins rencontrés de s'exprimer librement. Mais le principal obstacle reste l'absence d'une juridiction à la compétence claire pour juger tout crime de guerre présumé mis en évidence par l'enquête. M. Goldstone cite également des obstacles politiques. Il espère toutefois que son rapport, attendu pour septembre, débouchera sur des décisions concrètes de la part d'organismes de l'ONU et de gouvernements étrangers. A Gaza, son équipe de 15 personnes a rencontré des responsables du Hamas et de l'ONU, collecté des informations auprès d'organisations palestiniennes de défense des droits de l'Homme et interviewé des dizaines de survivants de l'offensive de trois semaines menée par Israël contre le Hamas. M. Goldstone, un juge sud-africain qui a dirigé des poursuites judiciaires contre des crimes de guerre commis dans l'ex-Yougoslavie et au Rwanda, a refusé de révéler le contenu de l'enquête. Mais l'Associated Press a interrogé une dizaine de Gazaouis ayant parlé aux enquêteurs onusiens. Majed Hajjaj, 46 ans, a ainsi rapporté avoir décrit à l'équipe de M. Goldstone comment les soldats israéliens avaient abattu sa mère et sa soeur alors qu'ils fuyaient leur maison en brandissant des drapeaux blancs. L'équipe de M. Goldstone s'est également rendue sur le site d'une mosquée où un tir de missile israélien a tué 16 personnes, selon des témoins. Elle a aussi inspecté des trous dans la rue près d'une école de l'ONU où l'artillerie israélienne a tué 42 personnes, et visité les restes calcinés d'un hôpital incendié par des obus israéliens. Dans les deux cas, l'armée israélienne affirme que des militants du Hamas ont ouvert le feu à proximité des sites. Les enquêteurs ont aussi rencontré la famille Samouni, dont les membres disent s'être réfugiés, sur ordre des soldats israéliens, dans une maison qui a ensuite été bombardée, une attaque dans laquelle 21 personnes ont péri. Cette version est contestée par Israël, qui estime toutefois que la maison a pu être touchée accidentellement lors d'un échange de tirs avec des combattants du Hamas. Selon les organisations palestiniennes de défense des droits de l'Homme, plus de 1.400 Gazouis, essentiellement des civils, ont péri durant l'offensive israélienne. L'Etat hébreu estime de son côté que 1.100 habitants de Gaza ont été tués et que la plupart étaient des militants du Hamas, mais contrairement aux sources palestiniennes, il n'a pas publié de liste des noms des victimes. Treize Israéliens, dont trois civils, ont également été tués. En raison du refus d'Israël de coopérer à l'enquête, M. Goldstone, pourtant juif et ayant des liens étroits avec Israël, a dû passer par l'Egypte pour entrer à Gaza. S'exprimant devant une commission de la Knesset mardi, le ministre israélien des Affaires étrangères Avigdor Lieberman a défendu la décision israélienne de ne pas coopérer, accusant le Conseil des droits de l'Homme de l'ONU, à l'origine des investigations, de parti pris anti-israélien. Il a également souligné qu'un membre de l'équipe d'enquêteurs, Christine Chinkin, professeur de droit à l'Ecole d'économie de Londres (LSE), avait signé un éditorial dans le "Sunday Times" en janvier qualifiant l'offensive israélienne de crime de guerre. Ce qui montre, a-t-il affirmé, qu'elle ne peut être objective. Certains survivants ont rapporté avoir été interrogés par les enquêteurs sur les affirmations de l'armée israélienne selon lesquelles elle avait téléphoné aux habitants pour avertir de l'imminence de frappes aériennes. L'équipe de M. Goldstone a également demandé si des militants du Hamas avaient livré des combats ou tiré des roquettes dans leurs quartiers, ont-ils précisé. "Ils ont demandé tous les détails", souligne Ziad Deeb, 22 ans, qui a raconté aux enquêteurs comment il avait perdu onze membres de sa famille et ses deux jambes dans un tir d'artillerie contre sa maison.