Alors que de nombreux économistes parlent d'inflation, d'autres tournent désormais la tête vers un autre lutin: la déflation. Alors que l'inflation reste une inquiétude à long-terme, la crainte immédiate à court-terme est la déflation, d'après les économistes. "Sur les deux, la déflation est un plus gros problème", a déclaré récemment Justin Yifu Lin, économiste en chef et vice- président de la Banque mondiale. M. Lin a indiqué que l'utilisation actuelle de la capacité, qui représente l'utilisation par les pays de leur capacité de production, est de 50% à 60% seulement, a-t-il expliqué. Cela montre que la déflation pourrait émerger bientôt, a-t-il précisé. "Quand la capacité est sous-utilisée, la déflation devient un risque", a déclaré M. Lin aux journalistes. Alors que l'inflation est plus commune, la déflation, quand elle se produit, peut être comme des sables mouvants, aspirant l'économie encore et encore. Tout d'abord, la baisse de la demande fait baisser les prix. Cela a un impact sur les profits et conduit à des licenciements. Ensuite, le chômage continue de saper la demande. "Et ensuite, vous entrez dans un cercle vicieux", a déclaré Ben Carliner, directeur de recherche à l'Institut de stratégie économique, think tank de Washington D.C. De nombreux économistes pensent que la déflation pourrait s'installer quand l'économie rebondira. Brian Fabbri, économiste en chef américain à BNP Paribas, une des plus grandes banques d'Europe, a déclaré aux journalistes au Sommet de Reuters sur la perspective des investissements mardi à New York qu'alors que les Etats-Unis pourraient bientôt émerger de la récession, ils sombreront dans la déflation l'année prochaine et traverseront une période de croissance stagnante qui pourrait durer des années. Bill Beach, directeur du centre des analyses de données à la Heritage Foudation, groupe de réflection de Washington D.C., a déclaré que dans le contexte actuel, les consommateurs ont peur de dépenser de crainte des licenciements ou des réductions de salaires. En effet, le taux d'épargne américain est passé de zéro au début de l'année 2008 à 8% actuellement, occurrence inhabituelle dans un pays qui dépense typiquement plus qu'il n'épargne, a-t-il fait remarquer. "Je pense que les taux d'épargne continueront de grimper car les gens s'inquiètent pour leur avenir et veulent avoir plus d'argent en banque", a poursuivi M. Beach. Selon M. Beach, l'histoire a montré que la déflation peut être dévastatrice. L'économie japonaise était embourbée dans une sablière déflationniste dans les années 1990 et a pris plus d'une décennie pour en sortir. Inquiets du ralentissement de l'économie, les Japonais ont dépensé frugalement. Résultat: les entreprises ont baissé leurs prix pour inciter les consommateurs à acheter leurs produits. Ce qui a poussé les Japonais à dépenser encore moins, remettant les dépenses à des semaines voire des mois plus tard en anticipation d'autres réductions de prix, a-t-il rappelé. Les profits ont chuté et les entreprises n'ont pas pu se permettre d'embaucher, entraînant une augmentation du chômage et menant à plus de baisses des dépenses, a-t-il poursuivi. Les gouvernements se battent généralement contre la déflation en abaissant les taux d'intérêt, mais une fois qu'ils atteignent zéro, ils ne peuvent être abaissés davantage, d'après les experts. Alors que les gouvernements et les banques centrales utilisent des outils pour enrayer l'inflation, M. Fabbri a expliqué à Reuters TV que les dirigeants -- de la Grande dépression à la " décennie perdue" du Japon dans les années 1990 -- ont eu des difficultés à trouver des solutions pour faire face à la déflation. M. Beach a indiqué que les Etats-Unis pourraient observer une déflation à court-terme au niveau des produits non essentiels acquis par les classes moyennes et élevées, comme les vêtements de haute-couture et les voitures de luxe. Alors que la déflation pourrait nuire à ces industrie, elle pourrait avoir un impact considérable sur les pays en voie de développement, car de nombreux d'entre eux dépendent seulement d'une poignée de produits d'exportation pour créer des emplois, accroître leur économie et amasser des devises étrangères. De nombreux travailleurs pourraient se retrouver au chômage, a souligné M. Beach. L'Irak, par exemple: 80% de ses devises étrangères proviennent du pétrole et 20% des tapis, a indiqué M. Beach. La croissance chinoise, cependant, pourrait compenser cela, car le pays achète de grandes quantités de matières premières aux pays en voie de développement pour stimuler la demande domestique, d'après les experts. M. Carliner a déclaré qu'une déflation mondiale sérieuse ressemblerait à la Grande dépression -- avec des industries entières se cassant la figure et des nations entières connaissant la banqueroute -- bien qu'il ne pense pas que la situation en arrivera à là. Heureusement, la démographie empêchera de tels scénarios obscurs et catastrophiques. Pour M. Beach, les pays en voie de développement en Asie et en Afrique connaissent une flambée au niveau de la croissance de la population, ce qui signifie que plus de personnes achètent à manger. Ceci maintient la demande élevée et crée des emplois. Les pays dans les régions asiatiques et africaines par exemple, où les populations sont en augmentation, continuent d'augmenter même si les temps économiques sont au plus bas, a souligné M. Beach. Néanmoins, cela n'empêchera pas ces pays de souffrir économiquement, car les prix vont baisser et la demande ralentir aux Etats-Unis, a expliqué Barry Bosworth, ancien conseiller présidentiel et membre de l'Institution Brookings. Il prédit que l'actuelle récession américaine durera et que les économies émergentes pourraient en sentir la piqûre. En effet, M. Carliner a fait savoir que "les consommateurs américains sont lessivés: ils ont trop de dettes et ne dépensent plus". Cela fait de la déflation une menace non seulement aux Etats- Unis mais également dans le monde entier, a-t-il expliqué. "La déflation est la menace immédiate qui plane sur le monde", a-t-il insisté. C'est pourquoi les pays du G20 tentent de coordonner les stimuli à la consommation -- pour stimuler la demande et les prix pour que le monde puisse se remettre sur les rails d'une croissance économique solide, a-t-il analysé. Des économistes pensent également que le Japon enregistre une fois encore une déflation, qui pourrait toucher ses partenaires commerciaux.