En janvier 1992, l'Algérie s'est engouffrée dans une situation des plus délicates de son histoire, marquée par la démission du président de la République, Chadli Bendjeddid. A la création d'un Haut Comité d'Etat (HCE), on avait fait appel à Mohamed Boudiaf. Mohamed Boudiaf est l'un des chefs historiques du mouvement national algérien. Militant nationaliste, il arrête très tôt ses études et entre dans l'administration. Après la répression sanglante des manifestations pacifiques du 8 mai 1945, il s'engage au sein du Parti du peuple algérien (PPA), puis dans le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), fondés par Messali Hadj. En 1947, il participe à la création de l'Organisation spéciale (OS). L'OS est démantelée par la police française en 1950 et Mohamed Boudiaf, condamné par contumace, entre dans la clandestinité. Envoyé en France par le MTLD en 1952, il milite auprès de la population immigrée algérienne. Au printemps 1954, Boudiaf rentre en Algérie et crée, avec huit autres leaders nationalistes (parmi lesquels Ahmed Ben Bella et Hocine Aït Ahmed, le Comité révolutionnaire d'unité et d'action (CRUA), qui se prononce en faveur du déclenchement immédiat de la Guerre de Libération nationale, menée par le FLN. En août 1956, à l'issue du congrès du FLN dans la vallée de la Soummam, Boudiaf devient membre du Conseil national de la Révolution algérienne (CNRA). Mais, le 22 octobre 1956, il est arrêté, avec d'autres chefs du FLN, lors du détournement de leur avion par l'armée française. Interné en France, il poursuit ses activités militantes en dirigeant la Fédération de France du FLN. En 1958, lors de la création du GPRA, il est nommé ministre d'Etat, puis devient son vice-président en 1961. Libéré après la signature des Accords d'Evian, le 18 mars 1962, Mohamed Boudiaf se montre favorable à la dissolution du FLN, une fois l'indépendance obtenue. Il fonde son propre parti, le Parti de la Révolution socialiste (PRS) en juin 1963, ce qui lui vaut d'être arrêté et assigné à résidence. Libéré, il s'exile au Maroc, d'où, en observateur critique de la vie politique de l'Algérie, il conserve ses activités au sein du PRS et anime un journal, El Jarida. Il dissout son parti en 1979, à la suite de la mort de Houari Boumediene. Après près de trente années d'exil, Boudiaf accepte de rentrer en Algérie en janvier 1992 pour présider le Haut Comité d'Etat après le vide constitutionnel laissé par la démission du président Chadli et l'interruption du processus électoral. A l'arrivée de Tayeb El Watani, le pays est dans un bourbier et impasse politique causés par la violence intégriste, astreignant le président du HCE à prendre la situation en main. Le pays parait avoir pris conscience de sa décrépitude et de l'impasse dans laquelle il se trouve. Le retour de Boudiaf a provoqué au sein de la nation une effervescence imprévue particulièrement au sein des jeunes, parce que lui-même avait une préférence pour la jeunesse. Dès sa prise de fonction, Tayeb el Watani annonça la couleur en stipulant dans son programme la naissance d'une société algérienne solidaire et juste, la réforme saine et sérieuse du système, et l'interdiction et la lutte contre la violence intégriste et la manipulation de la religion. Au cours de son bref passage à la tête du HCE, Boudiaf a fait montre d'une intelligence peu commune et d'un raisonnement juste. En politique et en économie, ses positions sur les grands problèmes du pays ont surpris plus d'un par leur clarté et par l'assurance de ses propos. De janvier à juin 1992, ce qui a frappé ce style de gouvernance par un historique, c'était sa soif de voir le peuple algérien vaincre le terrorisme pour se consacrer au développement. Il s'est fait remarquer par sa volonté et sa détermination à mobiliser les jeunes autour des grandes questions nationales, leur demandant de s'affirmer et de s'imposer, étant eux, surtout, qui détiennent les clés de l'avenir. Un réconfort pour la jeunesse algérienne qui, dès lors, s'est attachée à sa personnalité et à ses projets. Il avait le don qui lui permettait de connaître plus et de se laisser mieux comprendre par le peuple. Dans son discours, Boudiaf a prôné une très grande décentralisation de telle sorte qu'en fin de compte, la communication soit directe avec la société, et le travail en grande partie, soit accompli par les citoyens eux-mêmes dans la plus grande transparence et sous la dictée exclusive des principes de la démocratie et par conséquent permettre au peuple de faire fonctionner ses propres institutions. Mohamed Boudiaf a habitué les Algériens à la franchise, la sincérité. Il avait le sentiment, mieux, la conviction, que sa mission et son rôle n'étaient, en fait, qu'un devoir national au profit de l'intérêt suprême de toute la nation. L'engagement et la détermination de Boudiaf à sortir le pays de sa crise a été provoqués au regard de l'ampleur de l'anarchie et du chaos économique qui ont frappé le pays. En vérité, l'immense faculté de son adaptation à l'Algérie meurtrie par la violence et les conflits politiques, et la solidité de sa personnalité devant de très nombreux obstacles, tiennent à la marque indéfectible du milieu naturel dans lequel il a été élevé, un milieu de paysans, et à ses traditions d'acteur principal de la Révolution de novembre 54, faites de bons sens, de simplicité solidement ancrée dans le pur nationalisme algérien. Il s'est farouchement opposé à toutes les influences extérieures. Il a été totalement imperméable aux idéologies venues d'ailleurs. Il a par contre, ouvert son action et son programme à l'assimilation des bienfaits de la science, des nouvelles technologies et du modernisme, y invitant l'ensemble du peuple, sans perdre pour autant les vertus millénaires de sa civilisation et sa culture. S'agissant des garanties nécessaires aux libertés des personnes, le président du HCE a été catégorique en plaidant sérieusement pour une machine judiciaire indépendante, que la presse joue son rôle, que la mosquée joue son rôle de miroir de la religion. Son cheval de bataille a été que l'ensemble des institutions, les partis politiques, soient capables de participer pleinement à la vie politique et démocratique du pays. Il s'est dit pour cela ne pas craindre les critiques à conditions qu'elles soient des critiques constructives. Dans cet esprit de la gouvernance des affaires du pays, Boudiaf a bien cru en la nécessité d'une morale politique, insistant sur le fait que ce n'est pas seulement une question de démocratie politique, mais aussi de participation démocratique. N'oublions jamais la signification du "je tends la main ". B. Chellali