Deux réunions internationales d'importance ont récemment rappelé le rôle essentiel de la culture dans le développement : le colloque "Culture et création, facteurs de développement"de Bruxelles (2-3 avril 2009) et le Campus euro-africain pour la coopération culturelle de Maputo (22-26 juin 2009). Cela peut sembler une évidence mais c'est en fait une nouveauté pour les décideurs qui gèrent les énormes budgets internationaux de l'aide au développement. Ils n'en sont pas forcément persuadés et ce n'est que depuis quelques années que cet axiome se fait une place dans les textes directeurs de leurs programmes. Un rapide survol des multiples présentations, tables-rondes et ateliers de ces deux événements permet de dégager quelques lignes de force et enjeux. Un nouveau paradigme Alors que le colloque de Bruxelles était organisé par la Direction du développement de l'Union européenne et réunissait quelque 500 praticiens, le campus de Maputo, soutenu par la Coopération espagnole, était de plus petite dimension, avec 150 participants dont un tiers de Mozambicains. Multiplié par le nombre de billets d'avion et de nuits d'hôtel, cela fait une somme rondelette. De l'argent dépensé en vain alors qu'il y a tant besoin de fonds sur le terrain ? Sans doute lorsque ces rencontres se multiplient à l'image de la multiplicité des coopérations, sans pouvoir unifier leur démarche. Mais ces grandes messes dispendieuses s'avèrent pourtant nécessaires lorsqu'elles permettent aux acteurs d'établir des partenariats, d'avancer dans les propositions et de faire évoluer les décideurs. C'est ainsi que les manifestes et recommandations qui en émanent installent une sorte de jurisprudence que ces derniers sont invités à respecter. En matière culturelle, ces rencontres sont d'autant plus importantes que le terrain est nouveau. La culture est en effet absente de bien des textes fondamentaux comme les objectifs du Millenium pour le développement ou le NEPAD. Le Campus a ainsi permis à la Coopération espagnole de mieux définir ses objectifs dans un terrain qu'elle n'a encore que très peu abordé tandis que le colloque de Bruxelles marquait la volonté de l'Union européenne de se rapprocher des acteurs culturels pour mieux adapter ses outils. Bien sûr, ce sont deux choses différentes que de prendre en compte la dimension culturelle du développement ou d'affirmer comme Antonio Nicolau Marti, directeur pour la Culture de l'Agence espagnole pour la Coopération internationale et le développement (AECID), que "sans développement culturel, le développement n'est ni complet ni durable". C'est dans l'air du temps : la globalisation n'entre-t-elle pas dans une nouvelle phase ? Les polarités économiques intègrent de nouveaux acteurs comme le Brésil, l'Inde ou la Chine alors même que les marchés financiers vivent leur plus grave crise systémique depuis 1929 et que l'on se demande comment réintégrer l'éthique et l'écologie dans l'économie. Ce nouveau contexte implique un changement de paradigme. Alors que tenir compte de la dimension culturelle du développement revenait bien souvent à faire évoluer des cultures que l'on considérait comme en retard ou problématiques ("poussiéreuses", disait le professeur Yacouba Konaté), il s'agit aujourd'hui de modifier les schémas de pensée et les comportements pour les accueillir dans ce qu'elles sont et considérer que l'on ne peut être ce qu'on est que lorsque l'autre est ce qu'il est. C'est fondamental pour éviter qu'une culture se voie unique et donc supérieure. Alors que les Européens ont arrêté de le faire, ce sont maintenant des Africains qui au nom des nouvelles églises vont brûler les statues dans les villages, rappelait Yacouba Konaté. Prenant pour exemple le cinéma, il montrait comment la dérégulation, l'absence d'infrastructures et la pâleur de la critique mènent vers "la catastrophe intégrale", n'importe qui pouvant se proclamer cinéaste sans la formation ni la réflexion nécessaires. C'est en Europe que s'est construite la renommée du plus célèbre peintre mozambicain, Malangatana, a souligné le professeur Simao Sonindoula. En l'absence de politiques culturelles et de structures équivalentes, ce sont bien souvent les centres culturels étrangers les hauts lieux des confrontations et des synthèses qui fondent la contemporanéité. C'est dans ce type d'échanges que l'art s'affirme comme une force stimulante d'interpellation critique, un lieu de construction de son rapport à soi, à son environnement et au monde, capable de désamorcer les conflits en restaurant le dialogue interculturel et en ouvrant à de nouvelles solidarités. Mais pour cela, "la mobilité, la formation et la liberté sont incontournables", comme le martelait le styliste nigérien Alphadi à Maputo. La mobilité est effectivement une condition sine qua non, si bien que le débat s'est volontiers porté sur la difficulté grandissante des artistes à obtenir leur visa. Le fait que le cinéaste ancien ministre malien de la Culture Cheick Oumar Sissoko se soit vu refuser l'embarquement par Air France à Bamako car il ne pouvait produire de visa de transit pour l'aéroport de Paris (dont il n'allait pourtant pas quitter la zone internationale) et n'a pu ainsi participer au Campus de Maputo jetait un froid et venait renforcer le propos. L'instauration d'un statut officiel d'artiste au Sénégal et de la carte correspondante semble à cet égard une condition et une étape décisive pour faciliter la généralisation de visas d'artistes, une recommandation reprise par la Déclaration de Bruxelles des artistes, des professionnels et des entrepreneurs de la Culture qui appelle à une libre circulation des artistes dans les pays de l'Union européenne avec un visa culturel. L'idéal serait en effet qu'avec une carte professionnelle garantissant son activité et attribuée sous des critères convaincants, l'artiste puisse obtenir aisément son visa auprès des ambassades. La Déclaration de Bruxelles est intéressante à compulser. On y trouve une liste d'objectifs et de recommandations très concrètes résultant des travaux des commissions dont les recommandations sectorielles sont également publiées sur le site www.culture-dev.eu. "Si elle est supportée par les responsables politiques de l'Union européenne et des pays ACP, cette déclaration a de réelles chances d'aboutir à une nouvelle dynamique", indique-t-elle en préambule, car, comme le soulignait déjà Léopold Sédar Senghor, la culture est au début et à la fin de tout développement. Puisque les décideurs n'écoutent que cela, les grandes messes insistent sur le potentiel économique de la culture, créatrice de revenus et d'emploi, et l'importance des festivals comme moteurs de développement. La Déclaration de Bruxelles insiste également sur le fait que, "en stimulant l'imaginaire individuel et collectif, en créant des liens entre les communautés", la culture et la création artistique "favorisent la cohésion sociale et la participation démocratique à la vie de la cité". Dans le contexte actuel, il était également important de rappeler que la culture permet une autre utilisation du capital naturel, car l'enjeu est de replacer l'homme au centre du développement. Comme le disait Joseph Ki-Zerbo, "développer, c'est se développer". Le message passe encore mal : seulement dix Etats ont ratifié la Charte de la renaissance culturelle africaine signée en 2006 à Libreville par les représentants de l'Union Africaine, laquelle ne pourra être appliquée que lorsque les deux tiers des membres l'auront ratifiée. Ce sera un bon sujet de discussion pour les ministres de la Culture qui se réuniront au Nigeria en 2010. N'oublions pas que la Charte prévoit la création d'un Fonds pour la Culture.Au niveau de l'Unesco, ce ne sont encore que 96 pays qui ont ratifié la Convention pour la diversité culturelle, dont 40 d'Europe et 25 d'Afrique, soit les deux tiers. Réunis à Paris le 16 juin 2009, ils ont adopté un cadre pour la coopération culturelle qui affirme l'importance des politiques publiques mais aussi de la société civile comme force d'innovation et agent de changement. Il a été décidé de mettre en place un fonds international de 1,5 milliard de dollars, ce qui ne devrait pas passer inaperçu. Les enjeux de l'information A Maputo, un représentant du ministère de la Culture a présenté les résultats de la 2ème conférence nationale sur la Culture au Mozambique. Il a indiqué que le ministère ne disposait pas d'informations conséquentes sur son secteur et a appelé à la constitution d'une base de données des artistes et de leurs créations. Cette demande, récurrente dans toutes les rencontres internationales, était présente dans la plupart des recommandations des ateliers du colloque de Bruxelles : le manque d'information est préjudiciable à la visibilité et donc la circulation et la vente des produits culturels ; il handicape les décideurs dans l'élaboration de politiques culturelles ; il creuse le fossé entre le Nord et le Sud. C'est ainsi que la Déclaration de Bruxelles des artistes, des professionnels et des entrepreneurs de la Culture se donne pour objectifs d'augmenter la participation des pays ACP à l'offre culturelle au Nord et de créer les conditions pour l'épanouissement de l'économie de la culture. Sans une information structurée sur les artistes et professionnels et leurs créations, c'est laisse tomber ! Si nous participons à ce genre de grandes messes, c'est bien sûr pour y faire mieux connaître notre travail mais aussi pour faire avancer un de nos grands projets qui va tout à fait dans ce sens : l'instauration d'une base de données unique, référente et fédérative au service de tous les créateurs du Continent africain mais aussi de tous les pays ACP et, en perspective, de tous les pays du Sud. Il ne s'agit pas de construire une grosse machine dont nous serions propriétaires mais de réaliser en synergie avec les opérateurs existants un portail unifiant la démarche d'information et permettant tous types de synergies. A cet égard, Bruxelles et Maputo ont été positifs : nous avons pu identifier les réseaux existants et les démarches d'information, et nous réunir pour envisager une collaboration. Les ateliers sectoriels du colloque de Bruxelles avaient déjà tous insisté sur l'importance de base de données et d'une cohérence dans la démarche d'information, et plusieurs ont même inscrit dans leurs recommandations la tenue d'une réunion de travail approfondie des différents opérateurs de bases de données pour établir une synergie. Sans une séance de travail concrète, il sera long d'accorder ses violons et de trouver les solutions techniques nécessaires. Nous sommes prêts à mettre à disposition de tous les professionnels, festivals et sites Internet, comme socle de travail, la base de données Sudplanète, de loin la plus développée de toutes les initiatives existantes avec près de 16 000 artistes référencés ainsi qu'une multitude de créations et de structures. La synergie entre les opérateurs de différentes sphères linguistiques, notamment avec le Arterial Network sud-africain mais aussi avec l'Observatoire des politiques culturelles en Afrique (OCPA) ainsi que l'Observatoire culturel ACP (ACPCultures.eu), Gens de la Caraïbe et la Pacific Arts Alliance devrait permettre de penser un outil Internet commun, à la fois portail de visibilité pour les artistes ACP et leurs créations, instrument de contact pour les opérateurs, outil de mise en réseau des professionnels et d'information spécialisée, sans compter les multiples services Internet qu'un tel portail peut remplir pour les festivals et artistes. Au-delà des pays ACP, en liaison avec l'Unesco, l'intégration des autres pays du Sud est tout à fait envisageable, l'outil n'ayant pas de limite technique.