Mémorable décision que celle prise par la fondation Boudiaf ! Après l'annonce, la semaine dernière, par Bruno Etienne que la maison de l'Emir Abdelkader, située à Damas, tombe en ruine, la fondation a immédiatement réagi. Cette dernière a décidé de prendre en charge la totalité des travaux de sa rénovation, et un architecte sera envoyé dans les prochains jours sur place, afin d'établir, de façon authentique, les procédés de ce réaménagement. C'est Bruno Etienne, chercheur et universitaire, ex-professeur à l'Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence et spécialiste du Maghreb et du monde arabe, qui a mis le doigt sur l'état de délabrement de la demeure de ce monument de l'Histoire, lors d'une rencontre qu'il a animée en début de semaine dans la ville d'Oran. Réaménager la demeure du fondateur de l'Etat algérien, est un acte à la fois historique et civilisationnel. Aucune culture ni aucune civilisation ne peut se construire sur la base de ruines, mais d'un passé réel, assumé et vivant. Surtout quand il s'agit d'un espace symbole, où a vécu l'un des hommes les plus tolérants et les plus humains de son temps. Grand admirateur de Ibn Arabi, l'Emir Abdelkader s'était établi devant sa tombe, à Damas, à la fin des années 1850. D'ailleurs, dans l'un de ses écrits, intitulé, Le Livre des Haltes, le fondateur de l'Etat algérien n'y a cessé de proclamer son rattachement spirituel à l'un des plus grands maîtres de l'histoire humaine, le sheikh al-Akbar, Ibn Arabi, enterré à Damas. L'Emir habita la maison qui fut autrefois celle de son maître et demanda à être inhumé auprès du sheikh al-Akbar. A Damas en Syrie, où il mourut le 24 mai 1883, l'Emir avait pris sous sa protection la communauté des Algériens, mais aussi la communauté chrétienne et européenne lors des émeutes de juillet 1860. Il leur permit d'échapper aux massacres qui eurent lieu entre les chrétiens maronites et musulmans druzes. Pourquoi l'Emir Abdelkader s'est-il établi à Damas ? Comment ? Le sultan des Arabes, (il a reçu ce titre en 1832) est né en 1808 dans la ville de Mascara. Après le départ du dey d'Alger, et juste après sa nomination comme étant sultan des Arabes, il fonde un Etat qui couvre les deux tiers du territoire algérien, puis, à la suite de son père, reprend le flambeau de la “ guerre sainte ” contre la colonisation française. Vaincu en 1843, il se réfugie au Maroc, où il continue la lutte avec l'appui du sultan jusqu'à la victoire française de l'Isly, en 1844. Après trois ans de combats sporadiques, Abdelkader se rend au général Lamoricière. Interné en France pendant cinq ans, il est libéré par Napoléon III et se retire en Turquie puis en Syrie, où il se consacre aux études religieuses. En 1860, lors des émeutes antichrétiennes de Damas, il sauve plusieurs milliers de maronites chrétiens. C'est à ce moment là qu'il acquiert une notoriété mondiale. Non seulement il maintient l'ordre à Damas, mais ce faisant, il sauve du massacre des milliers de chrétiens. Il sera couvert de récompenses en tout genre, de décorations de toute l'Europe, dont la cravate de commandeur de la Légion d'honneur. Mais, selon sa volonté, il se tiendra, sur la fin de sa vie, à l'écart de tout engagement politique. Héros positif par excellence, l'Emir Abd el-Kader, al-Insan al-kamil, (l'homme accompli) est redoutable résistant, fin politique, cavalier exceptionnel, homme de lettres et poète, humaniste avant la lettre, savant musulman tolérant, homme moderne et parfait dans sa voie traditionnelle, et initiateur du dialogue islamo-chrétien. C'est lui qui a montré le chemin de la réconciliation entre les deux rives de la Méditerranée, en enseignant la bonne voie, le beau modèle, celui de l'acceptation de l'autre. La position de l'Emir, tirée de celle de son maître Ibn Arabi, tient au fait qu'il considère que la nomination des hommes ne change rien à l'essentialité de l'Être, donc que tout orant ne prie que Lui ; selon lui il n'y a pas de juif, de chrétien, d'idolâtre inférieur au musulman dans le salut.