Hier, dans la matinée, l'euro se situait à quelques encablures du seuil de 1,50 dollar. A 1,4967 dollar, il était à son plus haut niveau depuis quatorze mois. Et les experts le voient déjà atteindre rapidement le seuil de 1,51 dollar, voire 1,55 en raison de l'optimisme des investisseurs sur la reprise, qui les incite à prendre des risques en investissant hors des Etats-Unis. Depuis plusieurs semaines, la planète s'alarme de la chute du dollar qui se poursuit inexorablement, entraînant l'envolée des autres monnaies. Les ministres des finances canadien et néozélandais ne cessent de rappeler leurs inquiétudes concernant la hausse de leurs propres devises. Plusieurs pays d'Asie sont intervenus, le 8 octobre, sur le marché des changes pour acheter des dollars afin de freiner la progression de leur monnaie. Jeudi, le ministre des finances japonais, Hirohisa Fuji, a déclaré que "le travail d'un gouvernement est de stabiliser la valeur de sa monnaie", précisant que lors des derniers sommets des pays du G7 et du G20, il avait rappelé à ses homologues qu'ils devaient éviter les dévaluations compétitives. Le président de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, s'est une nouvelle fois alarmé des effets d'une excessive volatilité des taux de changes, la qualifiant d'"ennemi" pour l'activité économique. Il a rappelé qu'il était "extrêmement important" que les autorités américaines prônent leur volonté d'avoir un dollar fort. L'Europe s'inquiète de la vigueur de l'euro -qui a gagné 18,6 % face au dollar depuis mars. Cette bonne santé risque de handicaper l'espoir d'une reprise pour 2010. Si on est loin du record de 1,60 dollar atteint en juillet 2008, le taux de change de l'euro pondéré par les échanges commerciaux, lui, est déjà au plus haut depuis cette même date, traduisant une dégradation de la compétitivité de la zone euro en matière d'exportations au niveau mondial. "Ce type d'intervention orale ne freinera pas la hausse de l'euro puisqu'il s'agit surtout de la baisse du dollar, jugent les économistes de Natixis. Et les autorités américaines ne semblent pas gênées par la dépréciation du dollar, qui leur permet de réduire leurs déséquilibres plus facilement." Tout comme la Chine, qui a lié sa monnaie au dollar, les Etats-Unis profitent de la baisse du billet vert pour relancer leurs exportations au moment où la demande interne, moteur de la croissance, pâtit de la remontée de l'épargne. L'Amérique se contente pour le moment d'incantations verbales, rappelant sa volonté d'avoir d'un dollar fort. Jeudi, interrogé sur la chaîne de télévision CNBC, le secrétaire au Trésor américain, Timothy Geithner, a même évité de répondre à une question sur l'action du gouvernement pour empêcher la baisse du billet vert. Il s'est étendu sur le fait que le dollar s'était révélé être la monnaie refuge par excellence au plus fort de la crise. "C'est quelque chose de très important" et nous "devons faire en sorte" que cela dure, a-t-il indiqué. Dans son rapport semestriel sur les changes, le département américain du Trésor s'est aussi abstenu d'accuser la Chine de manipuler sa devise. Il souligne juste que Pékin constitue des réserves de change à un rythme qui menace les efforts de réduction des déséquilibres économiques mondiaux. "Pour autant, la baisse du dollar n'est bonne pour personne, jugent les experts de Natixis. Les Etats-Unis n'ont en particulier pas intérêt à un dollar trop faible car ils doivent continuer à attirer les capitaux pour financer leur déficit courant. Et les pays asiatiques ne peuvent continuer à accumuler des réserves de changes indéfiniment car cela contribue à alimenter les bulles sur certaines classes d'actifs (matières premières…)." Selon eux, la pression internationale pourrait mettre fin à la baisse du dollar. "En Europe, les milieux patronaux pourraient faire pression sur les politiques, qui agiront à leur tour. Enfin, pour stabiliser le dollar, il faudra d'abord que la Réserve fédérale mette fin à sa politique monétaire non conventionnelle, c'est-à-dire pas avant 2010." Le financier milliardaire américain George Soros a estimé, jeudi, que la situation sur le marché des devises était "chargée de danger" et a plaidé pour une régulation mondiale sur les changes. M.K.