Après " Les Vigiles " de Tahar Djaout, le Théâtre régional de Béjaïa que dirige le dramaturge Omar Fetmouche, vient de rendre visible une nouvelle pièce, "Le foehn " de Mouloud Mammeri. Pas si nouvelle que çà la pièce puisque déjà montée en 1967 par le Théâtre national algérien, à l'époque des grandes décolonisations. Très peu connue, cette pièce replonge le spectateur dans "La bataille d'Alger ", cherche a comprendre comment les deux belligérants réagissent dans cette situation extrême de la guerre, et dénonce bien sur l'esprit manichéen des hommes. Pas très connue, la pièce de Mammeri où éternellement il remet ce qui le hante comme il l'a déjà fait dans " L'opium et le bâton " ou alors dans " Le Sommeil du juste ", deux romans sortis en plein guerre et qui interrogent l'histoire, dénoncent les faux semblants. Son oeuvre est contemplative mais aussi curieuse. Contrairement à Kateb Yacine, le poète avant tout qui a investi de manière concrète le théâtre, Mouloud Mammeri n'est pas du tout célèbre dans ce terrain là. Dans ces textes, point de poésie. Les écrits de Mammeri sont linéaires, leur ton est monotone, ses propos noyés dans des palabres, mais ce qui est frappant dans ces livres, c'est sa hantise pour les manipulations de tous bords, les mensonges et les exploitations, dans ce sens l'écrivain est un homme engagé pour certaines valeurs comme la justice. En tant qu'anthropologue, il a entrepris durant toute sa carrière des chantiers qui démontrent radicalement et du point de vue historique, la vérité sur les origines du peuple algérien, que les gouvernants ont travestis. Mammeri lève le voile sur les impostures de tout genre. Longtemps inédite, "Le foehn " est un plaidoyer contre le système colonial. Cette pièce est écrite au moment même où Mouloud Mammeri publie son second roman, Le sommeil du juste ; et Albert Camus, ses articles dans l'hebdomadaire L'Express ! Signé par Djamel Abdelli "Le foehn " est une tragédie en 4 actes (29 scènes), enserrés entre, d'une part, un prologue consacré à la mer et au soleil (Meursault) et, d'autre part, un épilogue consacré à l'éthique de la joie ou à ce que Mouloud Mammeri exprimera dans la seconde pièce, La mort absurde des Aztèques, en une formule lourde de sens : " l'exaltation forcenée " (p.11), en réponse à la thèse de l'ethnologue Jean Servier sur le caractère mortifère de la société berbère développée dans son remarquable ouvrage, Les portes de l'année. Pour être encore plus explicite, le guetteur de Taâssast précisera afin d'éviter tout malentendu ou toute fuite en avant : " Il est des civilisations de la fête pour qui la vie tout entière c'est les grandes vacances. Inutile de leur faire manger la pomme qu'un jour nous avons avalée. " La tragédie - Le Foehn - se passe en un jour entre une aube et celle qui lui succède immédiatement après. Tarik, un jeune fidaï algérois, rentre chez sa mère Zohra dans La Casbah, peu après la levée du couvre-feu imposé par les autorités coloniales. Il simule d'être saoul pour ne pas être intercepté par la patrouille des soldats coloniaux alors qu'il rentrait d'une réunion de cellule de partisans ayant programmé l'assassinat du commandant Brudeau, un colon irréductible. Devant superviser l'attentat, il fait ses adieux à sa sœur Aïni en évitant de revoir sa vieille mère toujours angoissée et inquiète (acte I). Dans le second acte, Brudeau, le colon commandant, discute avec sa fille Brigitte une avocate humaniste, pour nous informer du piège qu'il veut tendre à Abane Ramdane pour l'arrêter et le neutraliser, en capturant le fidaï Tarik et le retournant parmi les partisans (c'est quasiment l'histoire réelle de Kobus, l'ancien artificier de l'OS ex-membre des 22, qui livra Rabah Bitat une année plus tôt). Mouloud Mammeri répondant aux articles d'Albert Camus publiés dans l'Express (1956-57) montre que la cellule familiale algérienne est unie et solidaire à l'opposé de la famille coloniale qui, dans le second tableau, montre la division et l'opposition de ses membres partagés entre les durs - qui entendent perpétuer le système colonial - et les humanistes universitaires ou les gens des professions libérales - qui entendent trouver une solution raisonnable à la question coloniale en prônant une cohabitation ou une minorité (1/9) aura plus de droits et moins de devoirs que la majorité autochtone (c'est la preuve par neuf, second titre de la pièce). Cette pièce un peu datée, est actuellement à l'affiche au TRB. Par Rachida Couri