La Roumanie a connu une véritable fièvre électorale dans la perspective de l'élection présidentielle. Vingt ans après la chute de la dictature communiste, le pays a vécu une des campagnes électorales les plus dures en invectives et coups tordus. Le président centriste en fonction, Traian Basescu, qui brigue un deuxième mandat, a organisé, hier, le même jour que le premier tour de la présidentielle, un référendum pour demander à ses compatriotes de réduire le nombre de parlementaires, de 471 à 300, au motif que la classe politique est corrompue et bloque les réformes. "Je suis en conflit avec la majorité parlementaire qui refuse de réformer le pays, a déclaré M. Basescu. L'Etat ne peut pas travailler pour le contribuable, une administration trop lourde l'empêche de fonctionner. L'Etat devrait servir ses 22 millions de citoyens, mais il ne fait que vivre sur leur dos." La croisade présidentielle contre un Etat accusé de corruption, qui a fait le succès de Traian Basescu en 2004, lui assure toujours la sympathie de ses concitoyens. Son principal adversaire, le social-démocrate Mircea Geoana, n'aura pas la tâche facile. Agé de 51 ans, le candidat socialiste n'a pas le charisme de l'ancien capitaine de vaisseau devenu président, mais il a derrière lui la meilleure machine électorale, celle du Parti social-démocrate, héritier du Parti communiste. Après la chute de Nicolae Ceausescu, le Conducator, et son exécution sommaire en décembre 1989, la nomenklatura rouge s'est maintenue au pouvoir grâce à Ion Iliescu, l'apparatchik qui a fait tomber le couple Ceausescu. Leader d'une révolution contestée, il a bénéficié du soutien du général Ioan Geoana, qui avait le contrôle des souterrains de Bucarest, lieu névralgique de la révolution. Mircea Geoana, le fils du général, a connu une ascension fulgurante. Envoyé à Paris, il revint en 1992, diplômé de l'Ecole nationale d'administration (ENA). En 1996, à l'âge de 37 ans, il pouvait se vanter d'être l'ambassadeur le plus jeune de son pays envoyé en poste aux Etats-Unis. Quelques mois plus tard, son mentor Ion Iliescu perdait le pouvoir face à l'opposition anticommuniste. A Washington, l'ambassadeur prit aussitôt la plume pour féliciter le nouveau président, Emil Constantinescu, d'avoir battu M. Iliescu, qualifié de "cancer de la démocratie roumaine". En 2005, après de longues tractations en coulisses, Mircea Geoana réussit à arracher à ce dernier la direction du Parti social-démocrate. Le vieil apparatchik implora le congrès du parti de ne pas offrir sa direction à ce "petit con", mais sans résultat. Aujourd'hui, le "petit con" dirige le Parti social-démocrate et s'affiche en principal adversaire du président Traian Basescu. Mais derrière les disputes qui agitent l'échiquier politique, une nouvelle génération commence à émerger. Remus Cernea, 35 ans, candidat du parti des Verts à la présidence, en est le symbole. "Ces vingt dernières années, la classe politique a conduit la Roumanie dans une impasse, affirme-t-il. Les grands partis obtiennent encore des votes grâce à une sorte d'inertie. Mais leur discours est creux, sans contenu. Je ne supporte plus d'entendre dire que dans mon pays on ne peut rien faire." En jean et tee-shirt, il détonne parmi les onze candidats tirés à quatre épingles qui défilent sur les écrans de télévision et promettent monts et merveilles. Il a gardé sa queue-de-cheval et affiche sans complexe son passé de rockeur.M. Cernea s'est fait connaître grâce à sa campagne contre la présence des icônes et des crucifix dans les écoles publiques. Dans un pays où 87 % de la population se revendique de l'Eglise orthodoxe, il a été l'un des rares à avoir élevé la voix contre cette puissante institution. Si la fronde ne l'a pas rendu populaire au sein de la majorité, la jeune génération roumaine apprécie ses idées rebelles. Lassé de la classe politique héritée du régime communiste et incapable de réformer le pays, Remus Cernea est entré en politique en se rendant là où les autres sont absents : sur Internet. En quelques semaines, il a réussi à recueillir les 200 000 signatures nécessaires pour déposer sa candidature à la présidence. Son secret : un langage intelligent, l'absence d'injures et d'attaques personnelles et une solide dose de bon sens. "Je ne gagnerai pas cette fois-ci, reconnaît M. Cernea. Mais il faut bien commencer un jour ou l'autre. Cette élection n'est qu'un début."