La tentative d'attentat commise le jour de Noël par un Nigérian dans un Airbus de Delta Airlines a braqué les projecteurs sur le rôle croissant d'Al Qaïda au Yémen et le rôle non moins grandissant de l'armée et des renseignements américains dans ce contexte. La guerre civile et la faiblesse du plus démuni des Etats du monde arabe en ont fait une alternative pour les extrémistes islamistes traqués par les forces occidentales en Afghanistan et par l'armée pakistanaise dans les zones tribales frontalières. Al Qaïda dans la péninsule Arabique, qui est basé au Yémen, a dit avoir fourni au Nigérian Umar Farouk Abdulmutallab un "engin techniquement perfectionné" pour faire sauter l'avion reliant Amsterdam à Detroit, mais que l'engin n'avait pas explosé en raison d'un problème technique. Barack Obama s'est engagé lundi à mobiliser "chaque élément de notre puissance nationale" pour combattre les extrémistes qui menacent les Etats-Unis, "qu'ils viennent d'Afghanistan ou du Pakistan, du Yémen ou de Somalie, ou de tout autre lieu". Abdulmutallab, inculpé après avoir essayé de faire exploser l'appareil, a dit aux enquêteurs que les explosifs lui avaient été fournis par ses "correspondants" d'Al Qaïda au Yémen. Les autorités américaines, qui s'inquiètent de la présence de plus en plus patente des adeptes d'Oussama ben Laden au Yémen, fournissent une discrète assistance aux services de renseignement et aux forces gouvernementales. L'armée locale est d'ailleurs intervenue le mois dernier contre un repaire d'Al Qaïda et les autorités ont annoncé lundi l'arrestation de 29 membres présumés du mouvement. Dans son communiqué, Al Qaïda dans la péninsule Arabique dit avoir voulu venger des attaques menées par les Américains contre ses activistes au Yémen. Des responsables américains ont refusé de confirmer si des avions de combat américains, voire des drones, avaient participé aux attaques. Le gouvernement yéménite dit avoir lancé le 17 décembre des attaques dans lesquelles plus de 30 membres d'Al Qaïda ont été tués, et un autre raid le 24 décembre. Selon des groupes d'opposition, une cinquantaine de civils, dont des femmes et des enfants, auraient péri dans ces opérations. D'après le New York Times, Washington aurait fourni des armes et des renseignements à l'armée yéménite pour ces raids. En septembre, Obama avait adressé à son homologue yéménite Ali Abdallah Saleh une lettre lui promettant une aide sur le front antiterroriste, selon l'agence yéménite Saba. Durant l'exercice 2009, le département américain de la Défense a fourni au Yémen une aide antiterroriste officielle d'environ 67 millions de dollars, montant qui n'inclut pas les missions secrètes confiées aux forces spéciales américaines et à la CIA, indiquent des responsables. Le Pentagone propose d'augmenter son assistance officielle, mais on ne dispose encore d'aucune précision à ce sujet. Joseph Lieberman, président de la commission sénatoriale de la Sécurité intérieure, a fait état dimanche d'une présence américaine croissante au Yémen, où se trouveraient notamment des membres des forces spéciales et des services de renseignement. "L'Irak est une guerre d'hier. L'Afghanistan est celle d'aujourd'hui. Si nous n'agissons pas de façon préventive, le Yémen est celle de demain", a-t-il ajouté dimanche sur le plateau de Fox News, citant un haut fonctionnaire américain rencontré lors d'une récente visite à Sanaa. Entendu par le Congrès, Mike Leiter, directeur du centre américain de lutte antiterroriste, a qualifié le Yémen de "champ de bataille essentiel et de base régionale en puissance pour les préparatifs d'attentats d'Al Qaïda, l'entraînement de ses recrues et leurs déplacements". "Les individus qui peuvent se rendre plus facilement dans ces zones où les extrémistes sont actifs pour pénétrer ensuite aux Etats-Unis en profitant d'une moindre vigilance sont une source particulière d'inquiétude", a par ailleurs reconnu Robert Mueller, directeur du FBI. Le Yémen est de longue date l'un des pays ou la nébuleuse Al Qaïda est le mieux implantée. C'est dans le port d'Aden que le contre-torpilleur américain "USS Cole" a été la cible d'un attentat qui fait 17 morts, en octobre 2000. Les Yéménites constituaient en outre le groupe le plus nombreux dans les camps d'entraînement afghans avant l'intervention américaine de novembre 2001. Sur les 198 suspects toujours détenus à Guantanamo, 91 sont Yéménites, ce qui en fait également la nationalité la plus représentée sur la base américaine qui doit être démantelée prochainement. Les négociations entamées en vue de leur rapatriement piétinent du fait des craintes qu'ils suscitent. Depuis la fusion en 2009 des branches saoudienne et yéménite, regroupées sous la bannière d'Al Qaïda dans la péninsule Arabique, leurs activités sont en hausse constante, observe Christopher Boucek, membre de la fondation Carnegie. "Le Yémen est vite devenu un deuxième front très important", notamment parce que les autorités ne peuvent assurer la sécurité sur l'ensemble du territoire, ajoute-t-il. Outre la traque des membres d'Al Qaïda, Sanaa doit faire face à un soulèvement chiite dans le Nord et à des velléités séparatistes dans le Sud.