Docteur Abderrahmane MEBTOUL Expert International Economiste Professeur d'Université en management stratégique Selon les données officielles, pour les réalisations 2009 et les prévisions 2010, l'économie algérienne aurait une des performances les plus élevées du monde tant concernant le taux de croissance que le taux de chômage. Face à ce miracle algérien, où nos responsables économiques doivent espérer le prix Nobel d'économie, je lance un appel à tous les intellectuels algériens, car ayant une responsabilité devant l'histoire, afin de participer à un débat contradictoire productif sans verser ni dans la sinistrose, s'agissant de dire la vérité, rien que la vérité, loin de tout dénigrement gratuit, ni dans l'autosatisfactiont source de névrose collective. Cela suppose que la télévision officielle ENTV s'ouvre à ces débats utiles au lieu de favoriser des monologues lassants sans impacts. Car il est temps de mettre fin à cette dérive de la désinformation nuisible à la sécurité du pays. Selon l'Office National des Statistiques (ONS) en date du 6 janvier 2010 à partir des premiers résultats d'une enquête sur l'emploi en Algérie, le taux de chômage s'établirait à 10,2 % à la fin 2009 soit une baisse de 1,1 % par rapport à 2008 contre 15 % en 2007, l'ONS alignant l'Algérie parmi les pays développés dont l'Europe et les Etats-Unis d'Amérique. Ainsi, 1,072 million de personnes sont touchées par le chômage sur une population active estimée à 10,5 millions de personnes, la population active occupée étant de 9,4 millions de personnes avec un taux d'occupation de 26,9 %, les hommes avec 84 % contre 15 % pour les femmes. Il convient de préciser que ce taux inclut l'emploi dans la sphère informelle, les emplois temporaires même pour 3 mois dans l'année, tous les emplois improductifs au titre de la solidarité nationale et les sureffectifs tant dans l'administration que les entreprises publiques loin des normes internationales. Pourquoi 15% de taux d'occupation pour les femmes alors que durant les 5 dernières années, le taux de réussite au bas de nos filles est supérieur à celui des garçons et si l'on appliquait aux femmes le taux d'occupation de 80% quel serait alors le véritable taux de chômage de l'ONS ? Mais ce n'est pas là la principale contradiction. Car on enseigne aux étudiants en économie que le taux d'emploi est fonction du taux de croissance et des structures des taux de productivité relevant de l'entreprise et c'est une loi économique valable pour tous les pays sans exception, encore qu'avec la nouvelle économie certains segments accusent des taux de croissance supérieurs à la création d 'emplois du fait de leur haute productivité renvoyant au nouveau système socio-éducatif qui se met en place au XXIème siècle supposant un niveau élevé de connaissances . Or, paradoxalement l'ONS annonce pour le premier semestre 2009 un recul de 30% de la création d'entreprises et en répartition spatiale avec une concentration au niveau de la région d'Alger et de très loin Sétif, Oran- Constantine et Béjaïa. En termes de structure, plus de 49% activent dans le secteur du commerce n'étant pas en majorité des services marchands créateur de valeurs ajoutées, le reste des entreprises étant les secteurs de l'immobilier avec 14%, la construction et travaux publics 12% et enfin les industries manufacturières 11%, taux dérisoire montrant la désindustrialisation du pays. Le peu de performance est confirmé par la dominance des entreprises unipersonnelles à responsabilité limitée (EURL) 48,84%) suivies des sociétés à responsabilité limitée (SARL) 41,96%) alors que les sociétés en nom collectif (SNC) les seuls véritables entreprises pouvant faire face à la concurrence internationale ne représentent que 10,10%. Fait plus grave, l'ONS confirme certaines enquêtes au niveau de l'ANDI et l'ANSEJ où les dépôts de bilan dépassent 40% ces cinq dernières années c'est-à-dire d'entreprises radiées du répertoire des entreprises pour cessation d'activité, en précisant que lors de leurs bilans, ces deux organismes font beaucoup plus référence aux dépôts de projets que de leurs réalisations effectives dont le taux est inférieur à 20%. L'ANDI n'avait-elle pas annoncé en 2007 officiellement (ENTV), un flux d'investissement direct étranger supérieur entre 20 à 30 milliards de dollars par an? Ces chiffres fantaisistes rejoignent ceux aussi fantaisistes au Conseil de la Nation le 13 décembre 2009, lors de la présentation de la loi de finances 2010 du ministre des Finances, je le cite " la croissance hors hydrocarbures du produit intérieur brut ( PIB) est de 10% ".Et comment a-t-on pu réaliser ce taux avec une chute de 30% de la création d'entreprises en 2009 ? Ainsi, l'Algérie aurait un taux de croissance hors hydrocarbures un des plus élevés du monde, loin devant tous les pays de la région Mena, de la Chine, de l'Inde, du Brésil, pour ne pas parler de l'Europe, des Etats-Unis d'Amérique ou du Japon, les segments hors hydrocarbures constituant la majorité de leurs segments, qui espèrent en 2010 avoir un taux de croissance entre 0 et 1%. Outre qu'il s'agit de raisonner à prix constants et non à prix courants ce qui n'a aucun sens, et qu'il faille savoir qu'un accroissement par rapport à un taux de croissance faible de l'année précédente donne toujours en valeur relative un taux de croissance faible même si le taux est supérieur l'année qui suit, la technique connue des économistes - triangularisation du tableau d'échange interindustriel- permet de démontrer que les hydrocarbures irriguent presque l'ensemble de l'économie et le segment hors hydrocarbures l'est à plus de 80%. La question qui se pose : le taux de croissance hors hydrocarbures de 10% est-il réaliste ? Se pose également la question, comment est-on passé en cinq mois de 5% selon les déclarations officielles fin juin 2009 à 10% fin décembre 2009? La réponse est que le taux de 10% est un taux artificiel, certainement gonflé et de surcroît calculé à prix courants. Nos calculent montrent clairement qu'il reste aux seules véritables entreprises créatrices de richesses une participation réelle inférieure à 15% du total du produit intérieur brut (PIB) entre 2004/2008 et 20% pour 2009 tenant compte de l'accroissement de la valeur ajoutée agricole en 2009 toujours selon des facteurs exogènes (bonne pluviosité et non d'une bonne gestion). Donc les entreprises véritables créatrices de richesses participent pour moins de 2% dans le taux de croissance global hors hydrocarbures. Et face à cette situation, résultat de la panne de la réforme globale c'es-à-dire aux réformes institutionnelles et micro-économiques et du retour à la gestion administrative des années 1970, il est techniquement impossible de créer 3 millions d'emplois entre 2010/2013 et la fuite en avant serait de créer des emplois dans l'administration non créateurs de valeur. Dès lors, si l'on redresse par le fléchissement de 30% de création d'entreprises, supposant la même tendance au second semestre qu'au premier, le taux de chômage serait supérieur à 15% ; en pondérant par un taux de participation de la population féminine que de 50% contre 84% pour les hommes, nous aurons alors un taux de chômage qui dépasse largement les 2O% de la population active et en soustrayant la sphère informelle qui selon le ministre du travail contribue à 25% à la création d 'emplois , en nous tenant à la sphère réelle, le taux de chômage approcherait 30% fin 2009. Car ce n'est pas une question uniquement d'argent comme en témoignent les assainissements répétés des entreprises publiques ( plus de 45 milliards de dollars entre 1991/2010 y compris la loi de finances 2010) plus de 80% étant revenues à la case de départ alors que l'objectif stratégique est de créer un nouveau tissu industriel fondé sur la nouvelle économie s'insérant dans le cadre des valeurs internationales, le tout étant conditionné par une plus grande efficacité des institutions, la moralité des responsables , la valorisation du savoir, un dialogue social et économique permanent avec les forces représentatives et non créées bureaucratiquement et donc un nouveau management stratégique, certains parleront de bonne gouvernance inséparable d'un Etat de droit car sans réseaux représentatifs, un discours de vérité grâce à une nouvelle communication, le pouvoir lui-même risque en cas de tensions sociales d'accentuer le divorce Etat/citoyens. Par ailleurs, en misant uniquement sur les infrastructures qui ne sont qu'un moyen du développement et la dépense monétaire sans se préoccuper d'une bonne gestion, pour l'Algérie cette performance est dérisoire par rapport à la dépense publique qui sera clôturée entre 2004/2009 à 200 milliards de dollars. Comparé aux dépenses sur la population, des pays similaires en voie de développant dépensant le 1/3 de l'Algérie ont des taux de croissance plus importants, l'économie algérienne fondamentalement rentière, enregistrant, selon la majorité des rapports internationaux, un taux de croissance inférieur à la moyenne méditerranéenne pour la période 2004/2009. Il s'agit d'éviter la manipulation des données pour affirmer que tout va bien, ce qui ne peut que conduire à des erreurs de politique économique, devant synchroniser les différentes enquêtes afin d 'éviter d'induire en erreur tant les décideurs du pays que l'opinion algérienne qui a une faible culture économique mais non les institutions internationales, les journalistes et les économistes algériens avertis. Outre que les différents ministères doivent avoir la même base de sondage afin de pouvoir effectuer des comparaisons crédibles, le raisonnement à prix constants est fondamental pour toute politique fiable en déflatant par les indices des prix à la consommation devant revoir le panier de biens qui doit être historiquement daté, le lier au modèle de régulation, c'est-à-dire au mode d'accumulation, de consommation et à la répartition du revenu par couches sociales ( concentration du revenu national à l'aide de l'indice Gini qui prend en Algérie des tendances dangereuses au profit d'une minorité de rentiers ) pour calculer la structuration de l'indice à l'inflation dont le taux officiel est loin de refléter la réalité( les Algériens ne consommant pas les chiffres, entre 70/ 80% de couches sociales étant concernées par les produits de première nécessité qui accusent selon l'ONS un taux d'inflation supérieur à 15/20% en 2009 ) et déflater par l'évolution des indices sectoriels des prix à la production pour calculer la véritable valeur ajoutée créée. C'est que nous sommes en face de contradictions flagrantes : la diminution du nombre d'entreprises avec la prédominance du commerce de détail et l'affirmation du contraire, une baisse du taux de chômage ce qui explique ma position officielle largement diffusée par la presse algérienne : ne pas faire dépendre des organismes si stratégiques comme l'ONS (pourquoi ne pas copier l'INSEE) de la tutelle d'un ministère fusse-il celui du ministère des Finances mais de leur donner une véritable autonomie. Cela permettra d'éviter la désinformation à des fins politiciennes qui tourne au ridicule comme les chiffres cités contraire à la réalité sociale et économique, les organismes internationaux ne nous prenant plus au sérieux et redressant à leur guise les données officielles algériennes, nuisant tant à la crédibilité internationale qu'à une politique cohérente du pays. En conclusion, je lance un appel à tous les intellectuels algériens pour un débat utile contradictoire productif. Car je considère que le rôle d'un cadre de la Nation, de l'intellectuel ou du journaliste n'est pas de produire des louanges par la soumission contreproductive pour le pouvoir lui-même en contrepartie d'une distribution de la rente, mais d'émettre des idées constructives , selon sa propre vision du monde, par un discours de vérité pour faire avancer la société.