Le directeur général de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) est à son tour intervenu dans la "guerre des monnaies", jugeant que les différends croissants sur les taux de change pourraient fragiliser le commerce mondial. Pascal Lamy a rappelé que les gouvernements avaient largement résisté pendant la crise à la tentation de recourir à certaines mesures commerciales, comme une hausse des tarifs douaniers pour protéger l'emploi, mais il a estimé que les conflits sur les taux de change risquaient de miner ces efforts. "Pour le moment, ce n'est qu'un risque, mais un risque qui peut être dangereux pour le commerce", a-t-il expliqué à la presse lundi. Pascal Lamy, qui habituellement refuse de se prononcer sur les devises, intervient de plus en plus sur ce sujet. Certains économistes craignent que les Etats ne se laissent entraîner dans une spirale de dévaluation pour rendre leurs exportations plus compétitives et pour préserver les emplois. Or, le règlement de l'OMC stipule que ses membres ne doivent pas contourner les accords commerciaux via leurs politiques de change. "Le chemin laborieux vers la stabilité et la reprise tirée par le commerce pourraient être sérieusement menacés par des comportements monétaires non-coopératifs", a expliqué M. Lamy lors d'une réunion sur les négociations commerciales réunissant les 153 membres de l'organisation à Genève. Sur fond de crainte de guerre des changes, suite à des interventions de plusieurs banques centrales pour affaiblir le cours de leur monnaie, la voix de M. Lamy est venue s'ajouter aux craintes formulées lundi par le Fonds monétaire international (FMI) qui a également averti que la reprise mondiale était en péril en raison du manque de coopération internationale. La Banque mondiale a aussi tiré mardi la sonnette d'alarme sur la hausse des monnaies des pays asiatiques, qui pourrait menacer leurs exportations et entraver à terme la croissance mondiale. "Je pense que l'Histoire nous jugera durement si nos efforts collectifs pour gérer l'actuelle crise économique sont contrariés par la recherche de bénéfices individuels à court-terme", a insisté M. Lamy. S'adressant à des journalistes peu auparavant, le patron de l'OMC avait expliqué qu'il existait un "risque réel de friction", reconnaissant que les taux de changes évoluaient actuellement plus activement qu'il y a quelques mois. "Il y a un risque de friction et ce risque est réel", ce qui n'était pas le cas il y a un mois, a admis M. Lamy, soulignant de fait "un certain désordre" dans les changes qui "bougent actuellement plus qu'ils n'ont bougé il y a quelques mois". Si cette question reste du ressort du FMI, l'organisation basée à Genève a la possibilité d'"utiliser sa voix et faire valoir prudemment aux esprits qui ne le réalisent pas que les deux fronts, les monnaies et le commerce, sont intimement liés", a poursuivi M. Lamy. Et sans échanges vigoureux, la reprise ne pourra se faire, a-t-il insisté, relevant que jusqu'à présent "les deux seules catastrophes que nous n'avons pas eues depuis novembre 2008 sont le protectionnisme et l'explosion monétaire". Pour le Français, il est donc urgent d'"essayer de contenir" ce risque. "Le meilleur moyen est la manière multilatérale. Il faut se mettre autour de la table et essayer de partager un diagnostic commun sur l'origine de ces déséquilibres", a-t-il appelé. Se refusant à dénoncer les pays qui jouent actuellement sur leur monnaie, M. Lamy a malgré tout souligné que de telles pratiques utilisées à des fins de compétitivité commerciale mettaient "politiquement" les autres Etats sous pression, les poussant à réagir en faisant de même. "Il y a un risque de réaction, contre-réaction typique de ce que l'on a réussi à éviter sur le front classique" des mesures protectionnistes (relèvement des barrières tarifaires, mesures anti-dumping...) malgré la crise, a explique M. Lamy. La Corée du Sud, qui accueille le prochain G20 en novembre, a fait part vendredi de ses inquiétudes sur les conséquences protectionnistes des tensions sur les taux de change. Mais s'est vu accusée par Tokyo d'être intervenue pour faire baisser le cours du won. La Chine et les Etats-Unis s'opposent également sur le thème, Washington accusant Pékin de profiter de la faiblesse de sa monnaie pour conquérir des parts de marchés à l'extérieur.