Le théâtre de la ville de Paris s'apprête à rendre le 09 mars prochain, un hommage posthume au chanteur Dahmane El Harrachi. Ce rendez-vous lyrique qui est initié par son rejeton Kamel ne répond pas à une quelconque célébration, mais plutôt à une tentative de redonner vie sur scène aux laborieuses chansons du regretté Dahmane El harrachi, mort tragiquement le 31 août 1980 sur la corniche algéroise. Une quinzaine de musiciens et chanteurs dont fait partie Kamel, monteront à cette occasion sur la scène du théâtre de la ville pour un concert "exceptionnel" diront les organisateurs. Le choix de la ville de Paris semble sans doute justifié par le fait que le défunt Dahmane a longtemps vécu dans cette contrée et qu'il a littéralement occupé les cafés maghrébins dans les années 60 et jusqu'en 70 ; les scènes algéroises il les connaitra beaucoup plus tard, vers les années 70 lors d'un mémorable concert animé à l'ex- Majestic, l'actuel Atlas de Bab el Oued. Selon le critique musical, spécialisé dans les musiques du monde, Rabah Mezouane, le défunt chanteur a "véritablement marqué son époque par des titres devenus des standards ou des classiques et est tenu pour une des figures les plus emblématiques de la chanson de l'exil". "O, toi l'émigré, tu ne cesses de courir dans le pays des autres", chantait Dahmane dans "Ya rayah", reprise ensuite par Rachid Taha, et aujourd'hui par Kamel. De son vrai nom, Abderrahmane Amrani, le chanteur est né le 7 juillet 1926, à El-Biar sur les hauteurs d'Alger mais a grandi dans le quartier populeux d'El -Harrach qui lui a valu son nom d'artiste. Musicien, auteur-compositeur et interprète de musique châabie, Dahmane El Harrachi est le seul chanteur à avoir mis en texte toute l'expérience de sa vie au lieu de s'inspirer comme l'ont fait les artistes de sa génération du patrimoine musical qui est commun à certaines contrées maghrébines. D'origine chaouie du village Djellal dans la Wilaya de Khenchela, son père s'installe à Alger en 1920 et y devint muezzin à la grande mosquée tandis que dès son jeune âge Dahmane El Harrachi s'initiait au banjo, un instrument qu'il affectionne avec brio. Même si son style se détache de tout ce qui se faisait à l'époque et bien avant, le défunt chanteur était influencé par un des ténors de cet art, Khélifa Belkacem. Ses apprentissages, il les commencera en imitant dès l'âge de 16 ans et avec brio ce chanteur qui à l'époque l'impressionnait par sa voix. Avant de se consacrer à la chanson, Dahmane El Harrachi a fait beaucoup de petits boulots pour gagner sa vie ; il était receveur de tramway, puis cordonnier et chanteur en herbe à ses heures perdues. un chanteur de la vie Nombreux étaient ses proches qui s'arrachaitent ses services dans les années 40, et des noms comme Hadj Menouar, Cheïkh Bourahla , Cheïkh Larbi El Annabi , Abdelkader Ouchala lui ont enseigné indirectement l'art du métier. 22 ans à peine, Dahmane El Harrachi s'envolera en France et s'installe à Lille, puis à Marseille et enfin Paris, ville qu'il ne quittera pratiquement plus. Pendant des années, il hanta les cafés maghrébins aux quatre coins de la France avec son banjo qui l'accompagna toujours. C'est de cette manière qu'il commença à être connu. Il signera son premier opus chez Pathé Marconi 10 ans plus tard, soit en 1956. Comme tous les chanteurs issus de l'émigration, Dahmanae El harrachi excellera dans ce thème et sa première chanson sera " Bahdja bidha ma t'houl " ( Alger la blanche ne perdra jamais de son éclat) et son amour pour l'Algérie le poussa à composer la chanson qui a pour titre " kifech nennsa biled el khir " (comment pourrai-je oublier le pays de l'abondance), c'était l'époque difficile de la guerre de libération. D'une virtuosité naturelle et spontanée,son répertoire constitué d'environ 500 chansons dont il est l'auteur, est une somme de poésies nourries d'une sensibilité sincère et profonde. C'est l'un des plus grands interprètes de la chanson sociale au monde. Ses paroles sans ambages et ses mélodies envoûtantes l'ont fait apprécier du grand public. Il excellait dans la composition de textes lyriques et pour donner plus de contenance à ses messages dotés d'une grande sagesse, il faisait très souvent appel au procédé métaphorique. Sa voix rocailleuse et chantée avec justesse se prête très bien à son répertoire brossant les thèmes de la nostalgie du pays , les souffrances de l'exil, la passion pour sa ville natale, l'amitié, la famille, les déboires amoureux, les vicissitudes de la vie, la droiture, la rigueur morale tout en fustigeant la malhonnêteté, l'hypocrisie, l'ingratitude et la mauvaise foi. Il y a chez lui, l'absence de cette propension fallacieuse à prétendre puiser dans le répertoire des anciens poètes maghrébins du melhoun, qu'on appelle communément " patrimoine ". Pour lui, le chanteur doit être le témoin de son temps, c'est pourquoi, il avait toujours refusé ce passéisme sur l'autel duquel certains persistent à sacrifier la réalité immédiate. C'est un artiste original qui a modernisé le chaâbi. Il a même donné au banjo et au mandole un phrasé, une harmonie et des accentuations qui lui sont propres et qui le distinguent des autres chanteurs de chaâbi. Il a fait toute sa carrière artistique en France. Découvert sur le tard par la nouvelle génération, Dahmane El Harrachi a eu droit à sa première vraie scène lors du Festival de la Musique maghrébine qui s'est tenu au début des années 70 à La Villette.