Les chars de l'armée syrienne ont bombardé, avant-hier, des quartiers sunnites de Lattaquié, au quatrième jour d'une offensive déclenchée pour écraser le mouvement de révolte contre le président Bachar al Assad dans la grande ville portuaire du Nord. Membre de la minorité alaouite issue de l'islam chiite, le président syrien a élargi et intensifié les opérations militaires contre les villes où des manifestants réclament son départ depuis la mi-mars. Des critiques de plus en plus vives lui sont adressées de l'étranger, en particulier de Turquie. "Des tirs de mitrailleuses et des explosions ont touché, hier, matin al Ramel al Filistini (quartier de réfugiés palestiniens) et al Chaab. Ça s'est calmé, on entend maintenant des tirs de char intermittents", a déclaré à Reuters par téléphone un habitant qui vit à proximité des deux quartiers. Selon l'Union de coordination de la révolution syrienne, groupe d'opposants, six civils ont été tués lundi à Lattaquié, ce qui porte à 34 le nombre des morts dans la ville. La répression en cours dans le pays a coïncidé le 1er août avec le début du mois de jeûne du ramadan, durant lequel les prières nocturnes ont donné lieu à un surcroît de manifestations contre le parti Baas au pouvoir depuis plus de quarante ans. Les troupes syriennes sont déjà intervenues à Hama, théâtre d'un massacre perpétré par l'armée en 1982, à Daïr az Zour dans l'Est, à Deraa dans le Sud et dans plusieurs villes d'une province du Nord-Ouest qui jouxte la Turquie. RETRAIT DE DAÏR AZ ZOUR "Le régime semble résolu à briser le soulèvement cette semaine dans l'ensemble du pays, mais la population ne recule pas. Les manifestations reprennent de l'ampleur à Daïr az Zour", a dit un militant de cette ville. Etats-Unis, UE et Turquie ont adressé des avertissements à Damas, mais le gouvernement a fait comprendre à ses critiques étrangers qu'il ne céderait pas aux appels au changement qui ont balayé le monde arabe, et à sa population qu'il était prêt à faire couler le sang pour se maintenir au pouvoir. L'agence officielle Sana rapporte mardi que l'armée a commencé à se retirer de Daïr az Zour après avoir "débarrassé la ville des groupes armés". Elle avait attaqué la ville le 7 août. Selon des habitants de Daïr az Zour, l'armée a démonté des batteries antiaériennes mais des blindés transport de troupes restent stationnés aux principaux carrefours et des soldats, accompagnés d'agents des renseignements, prennent d'assaut des habitations pour y arrêter des dissidents recherchés. Le chef de la diplomatie turque, Ahmet Davutoglu, a engagé lundi Bachar Assad à mettre fin aux opérations militaires sous peine d'en subir les conséquences. "C'est notre dernier mot aux autorités syriennes, nous attendons en priorité que ces opérations cessent immédiatement sans conditions", a-t-il dit. Pour mettre en oeuvre les réformes promises depuis son arrivée au pouvoir en 2000, Bachar Assad devrait purger la classe politique syrienne de ses plus puissants alliés ou partenaires, et mettre fin au contrôle exercé sur l'Etat par l'appareil militaire, autre pilier de son pouvoir. CONTRE-MANIFESTATIONS A Tartous, localité à forte communauté alaouite où est établie une base navale russe au sud de Lattaquié, des milliers de personnes ont défilé lundi pour "affirmer l'unité nationale et (son) soutien au programme de réformes globales dirigé par le président Bachar al Assad", rapporte l'agence Sana. Selon l'Union de coordination de la révolution syrienne, des militaires ont aussi attaqué lundi des villages dans la région de Houla, au nord de la ville de Homs, tuant huit personnes et procédant à des arrestations. Quatre personnes ont été tuées à Homs lors d'opérations analogues, ajoute-t-elle. A Lattaquié, chars et blindés se sont à nouveau déployés autour de quartiers dissidents et les services de première nécessité ont été interrompus avant que les forces de sécurité opèrent des raids et des arrestations sur fond de pilonnages, ont rapporté des habitants. Des milliers de personnes ont déserté un camp de réfugiés palestiniens de Lattaquié, sous les tirs de l'armée ou sur les ordres des autorités syriennes, a dit un responsable de l'Onu. "Entre 5.000 et 10.000 personnes se sont enfuies, nous ne savons pas où elles se trouvent, c'est donc très inquiétant", a précisé Christopher Gunness, porte-parole de l'agence de l'Onu pour les réfugiés au Proche-Orient (UNRWA). "Quelques décès et une vingtaine de blessés ont été confirmés." Les Comités de coordination locaux, autre groupe militant, a dit être en possession d'une liste d'au moins 260 civils tués ce mois-ci, parmi lesquels 14 femmes et deux enfants en bas âge. Selon les mouvements de défense des droits de l'homme, au moins 12.000 personnes ont péri durant le soulèvement. Amnesty International a établi une liste de 1.700 civils tués depuis la mi-mars et Washington a avancé un bilan de 2.000 morts. Damas a fait état de 500 policiers et soldats tués.