Deux géants industriels européens, EADS et BAE Systems, progressent vers une fusion qui ferait d'eux le leader mondial de l'aéronautique et la défense, et la multinationale la plus ambitieuse et la plus complexe jamais tentée. EADS, fabricant germano-franco-espagnol d'Airbus et de la fusée Ariane, et le britannique BAE Systems, fabricant de porte-avions, de sous-marins et de blindés, ont annoncé mercredi qu'ils étaient en négociations avancées pour un rapprochement. Une "frappe militaire surprise" pour le Financial Times. La nouvelle compagnie, si elle voit le jour, aura un chiffre d'affaires cumulé de 78 milliards d'euros, loin devant Boeing et Lockheed Martin, les deux leaders américains. Le nouvel ensemble sera détenu à 60% par les actionnaires d'EADS et à 40% par ceux de BAE et coté à la fois sur les bourses de Londres, de Paris, de Francfort et de Madrid. La complexité du projet a effrayé les investisseurs. Les titres des deux groupes ont chuté en Bourse à Paris et à Londres, avant de se stabiliser vendredi. Deux agences de notation, Fitch et Moody's ont en revanche jugé l'opération positive pour deux groupes complémentaires. Avec une palette de produits qui va des avions au, sous-marins, des hélicoptères aux satellites en passant par les canons et la cybersécurité, la nouvelle société sera présente sur tous les marchés mondiaux. Les Etats conserveront voix au chapitre Elle aura des sites de production ou d'assemblage en Amérique du nord, en Europe, en Chine, en Australie, au Brésil et en Inde, alors que ses rivaux américains produisent essentiellement aux Etats-Unis. Mais les Etats européens conserveront voix au chapitre alors que Boeing n'est exposé qu'aux seules pressions de Washington. Les deux groupes prévoient d'émettre des actions spéciales pour les gouvernements allemand, britannique et français, et de conserver une stricte séparation de certaines d'activités de défense aux Etats-Unis pour garantir que leur sécurité nationale ne sera pas compromise. Pour les capitales européennes, qui ont poussé à la création d'EADS en 2000 mais cherchent jalousement à préserver chez eux emplois et sites de production, c'est un nouveau pas difficile à franchir. Berlin et Londres ont donné des signes encourageants, Paris restant le plus discret. "Les intérêts nationaux sont tels que l'opération n'aurait jamais atteint ce stade sans la permission des actionnaires publics allemand, britannique et français", a cependant estimé Guy Anderson, analyste en chef chez IHS Jane's. Il est moins sûr de la bienveillance du gouvernement américain. Surtout en pleine campagne électorale à un mois de la présidentielle aux Etats-Unis, renchérit Christophe Menard, analyste chez Kepler Capital Markets. Les conditions ne seront pas faciles à remplir Il reste à voir si l'Amérique étendra au nouveau géant européen la confiance qu'il accorde au britannique BAE, privatisé, ou la défiance qu'elle manifeste envers EADS, dont les gouvernements européens contrôlent aujourd'hui plus de 50% du capital. L'alliance devra également être autorisée par les autorités européennes de la concurrence. Jean-Pierre Maulny, analyste de l'Institut pour les relations internationales et stratégiques (IRIS), estime cependant que "si toutes ces conditions ne seront pas aisées à remplir, elles ne sont pas impossibles". Du reste, tous les analystes s'accordent à reconnaître le bien fondé d'une fusion même s'ils doutent qu'elle dégage rapidement des synergies importantes. Elle permettrait en effet aux deux groupes de rééquilibrer activités civiles et militaires pour mieux résister aux fluctuations de la conjoncture. EADS, dont le succès des avions commerciaux Airbus domine le chiffre d'affaire, deviendrait d'un coup un acteur majeur de la défense. BAE, spécialisé dans la défense depuis qu'il a vendu en 2006 sa part dans Airbus, reviendrait sur le marché civil plus porteur actuellement. Si ce "big bang" réussit, les analystes sont nombreux à s'interroger sur l'avenir des autres grands acteurs européens, comme l'italien Finmeccanica, déjà en difficultés, et le français Thales.