Lors d'une remise de prix organisée en avril, Boeing a mis à l'honneur 14 "fournisseurs de l'année", parmi les quels figurait en bonne place BAE Systems, le groupe de défense britannique actuellement en discussions en vue d'une fusion avec EADS, maison mère d'Airbus, concurrent frontal du géant américain dans l'aéronautique civile. "Nous sommes heureux qu'ils (les 14 fournisseurs) fassent partie de notre équipe", avait dit à l'époque Jim McNerney, directeur général de Boeing. L'association entre l'un des principaux partenaires industriels de Boeing et l'un de ses plus féroces compétiteurs pourrait bouleverser la donne dans le secteur de l'aéronautique et la défense, qui représente des centaines de milliards de dollars par an. Un groupe issu d'une fusion entre EADS et BAE Systems afficherait plus de 72 milliards d'euros de chiffre d'affaires sur la base des résultats 2011, dépassant ainsi Boeing, tout en affichant une répartition plus équilibrée entre activités civiles et militaires. Le jour même de l'annonce des discussions en vue d'une fusion, le 12 septembre, Jim McNerney, a dit qu'il ne considérait pas que la nouvelle entité qui naîtrait de la fusion représente une réelle menace, ajoutant que c'était l'illustration de début d'une phase de consolidation mondiale. Mercredi, le dirigeant des activités défense de Boeing a cependant estimé qu'une fusion entre BAE et EADS soulèverait des questions de sécurité nationale mais aussi industrielles et devrait de ce fait être examinée de près par les régulateurs. Craintes des partenaires de BAE Systems Des dirigeants d'entreprises qui travaillent en collaboration avec BAE redoutent de perdre l'accès à des documents du Pentagone jugés sensibles si le département d'Etat de la Défense décidait de ne plus communiquer certaines données au groupe britannique. Washington pourrait prendre une telle décision en raison de la présence de l'Etat français au capital d'EADS, qui pourrait d'ailleurs également bientôt voir l'Etat allemand prendre une partie de ses actions. BAE et le Pentagone sont actuellement liés par un accord spécial de sécurité (special security agreement -SSA), qui autorise le groupe britannique à être sous-traitant dans le cadre de contrats classés secret-défense. Selon la presse britannique, pour ne pas mettre en péril ce SSA, EADS et BAE Systems ont dit au Pentagone qu'ils donneraient naissance à un groupe de défense aux Etats-Unis isolé du reste de leurs activités, avec quasiment uniquement des Américains au conseil d'administration. "BAE est un acteur important dans la défense aux Etats-Unis (...) Si l'entreprise fait partie d'une entité différente, est-ce que cela la condamne comme fournisseur?", s'interroge un responsable industriel du secteur, redoutant que la chaîne d'approvisionnement du secteur soit perturbée en cas de remise en cause du SSA. A titre d'exemple, les systèmes électroniques de BAE sont présents dans 6.343 Boeing volant actuellement dans le monde. Le groupe est également l'un des principaux fournisseurs de Lockheed-Martin dans le F-35 JSF, le futur avion de combat commandé par l'armée de l'air américaine. Hollande énumère ses priorités dans la fusion EADS-BAE L'emploi, la stratégie industrielle, les enjeux de défense et les intérêts des Etats français et allemand, qui sont au capital d'EADS, seront pris en compte par les deux pays lors de l'examen du projet de fusion entre EADS et BAE Systems, a déclaré François Hollande. Le président français et la chancelière allemande se sont rencontrés à Ludwigsburg, en Allemagne, pour célébrer l'amitié franco-allemande, cinquante ans après un grand discours de réconciliation du général de Gaulle. Ils ont débattu du dossier EADS-BAE, que les entreprises espèrent voir aboutir prochainement, ainsi que de l'union bancaire européenne, sur laquelle ils divergent encore. "Nous sommes convenus d'examiner de façon très soigneuse les tenants et aboutissants de ce projet en concertation avec les entreprises", a déclaré Angela Merkel, lors d'une conférence de presse conjointe. "Aucune décision n'a été prise aujourd'hui, ce n'était d'ailleurs pas prévu", a-t-elle ajouté. "Allemagne et France vont rester en contact étroit sur ce dossier." François Hollande a insisté sur le fait que le projet de fusion émanait d'une "volonté d'entreprise". "Nous sommes décidés à être en concertation étroite, la France et l'Allemagne, parce que nous considérons que c'est un enjeu qui concerne l'Europe mais aussi nos deux pays, compte tenu de ce qui existe au capital de cette entreprise", a-t-il dit. Prié de dire quelles étaient les conditions posées par les deux pays, il a répondu: "Vous pouvez les imaginer, donc je n'ai pas besoin ici de les développer. C'est l'emploi, la stratégie industrielle, les activités de défense, les intérêts de nos Etats respectifs. C'est là-dessus que nous sommes en discussion avec l'entreprise qui a fait ce projet." François Hollande, dont le pays détient une participation de 15% dans EADS tandis que Berlin n'est pas directement au capital, s'est toutefois soigneusement abstenu de s'engager à parvenir à une position commune avec l'Allemagne. Divergences sur l'union bancaire Sa référence à la "stratégie industrielle" risque d'être mal accueillie par les dirigeants d'EADS et de BAE, qui ne veulent pas d'une interférence des gouvernements dans leur fusion. Outre une participation de 15% de l'Etat français, EADS est contrôlé notamment par Lagardère, qui détient 7,5% des parts, ainsi que par le constructeur automobile allemand Daimler, avec 22.5% des parts. Daimler veut vendre sa participation au gouvernement allemand mais EADS a averti qu'il voulait minimiser l'intervention des Etats pour éviter que la fusion soit bloquée par les autorités américaines. Prudents sur ce dossier industriel, François Hollande et Angela Merkel ont étalé leurs divergences sur le projet d'union bancaire pourtant crucial pour la stabilisation de la zone euro. Le président français est favorable à la mise en place d'une supervision bancaire en Europe le plus tôt possible pour rompre l'interdépendance entre les banques et les gouvernements endettés, un cercle vicieux qui a exacerbé la crise, tandis que la chancelière insistait pour se donner le temps pour garantir la qualité du dispositif. "Je suis pour l'union bancaire. C'est une étape très importante par rapport aux objectifs qui sont les nôtres", a dit François Hollande. "Nous pouvons le faire par stades successifs et le plus tôt sera le mieux". Angela Merkel s'est montrée plus réservée, insistant sur la qualité du dispositif final. "Pour nous, ce qui est important, c'est que la qualité soit assurée. Cela ne sert à rien de faire quelque chose trop vite, qui ne fonctionne pas", a-t-elle dit. Partisan de cette réforme dès le sommet européen de juin dernier, Berlin a mis en garde depuis contre une mise en œuvre trop hâtive, s'inquiétant de perdre son droit de regard sur les nombreuses banques régionales et coopératives allemandes. Alors que Paris plaide pour une supervision de la totalité des quelque 6 000 banques de la zone euro, Berlin souhaite la limiter aux grandes banques dites systémiques, dont la faillite mettrait en péril la finance européenne.