Il y a quelques jours, le réputé stratège Jeffrey Rubin de CIBC Marchés mondiaux prédisait que le baril de pétrole toucherait les 100 $ d'ici la fin 2008, et y demeurerait. Même pronostic de Goldman Sachs, mais pour 2009. Réaliste? Un baril à 100 $, est-ce crédible ou non ? Quatre experts sondés par Argent Canoê livrent leur avis. Carlos Leitao, économiste en chef chez Valeurs Mobilières Banque Laurentienne La CIBC finira par avoir raison, mais Carlos Leitao doute que cela survienne en 2008, même si les projections de l'Agence Internationale de l'Energie font part d'une demande soutenue et ce malgré des prix très élevés. "Aujourd'hui, à 73,07 $ US le baril, on est clairement dans les niveaux spéculatifs, notamment soutenus par des anticipations d'interruptions de livraison. En l'absence d'incidents majeurs, les prix devraient refluer à court terme vers un niveau d'équilibre que nous situons entre 65 et 70 $ pour 2008", dit l'économiste. M. Leitao est étonné du comportement de la demande qui, loin de fléchir, augmente rapidement, et ce malgré les prix élevés enregistrés au cours des dernières années. Attention, prévient-il, il y a des limites à ne pas franchir. Passé certains niveaux, il faut s'attendre à une réaction de la demande qui finira par refléter la cherté du produit. A 80 $US le baril au-delà, les efforts de conservation de l'énergie, dans les pays développés, vont devenir plus importants, mais pas forcément pour des considérations environnementales. "ça coûte cher, donc on va moins gaspiller", lance-t-il. Revenir à des prix inférieurs à 50 $US le baril semble toutefois peu probable, à moins d'une récession mondiale. "Et même dans un scénario pessimiste, avec un choc de croissance chinoise, des pays producteurs, comme l'Arabie Saoudite, pourraient être tentés de fermer les robinets d'approvisionnement pour soutenir les cours du brut", conclut-il. Joêlle Noreau, économiste principale au Mouvement Des jardins : Une hausse de 30 % du cours du brut par rapport à son niveau actuel ( c'est le chemin à parcourir pour arriver à 100 $US) parait rapide. Nous tablons plutôt sur un niveau de 80 $US pour 2008, même si le scénario pourrait être revu à la hausse. Actuellement, "il y a beaucoup de géopolitique dans le prix et c'est un phénomène difficile à évaluer", explique Joêlle Noreau.Les craintes liées à la situation en Iran y sont pour quelque chose. Le pays produit 4 MBJ et en exporte 2,8 millions. "Quand on sait que l'offre excède la demande d'environ 1,5 million de barils par jour à l'échelle mondiale, l'Iran a entre ses mains la clef d'une pénurie éventuelle", relève l'économiste. Sans compter l'instabilité en Irak qui menace la sécurité du détroit d'Ormuz par lequel s'effectue le transport du brut dans la région. Un autre facteur responsable de la flambée des prix de l'or noir se trouve dans l'attitude de nombreux pays qui enregistrent une croissance fulgurante de leur consommation de pétrole. Ceux-ci ne pratiquent pas les prix réels et exercent une pression sur la demande. Yannick Desnoyers, économiste à la Financière Banque Nationale : Un baril à 100 $US en 2008? Tout est possible avec le pétrole, lance-t-il d'entrée de jeu. Cependant, l'OPEP ne souhaite pas que le pétrole atteigne un tel sommet sinon la demande va réagir et les consommateurs vont sérieusement songer à s'équiper de voitures électriques, par exemple. Les tensions sur les prix du pétrole s'expliquent principalement par la croissance mondiale. "Quand le FMI annonce qu'elle tourne à 5 %, un niveau supérieur à sa tendance de long terme, cela crée des pressions à la hausse sur le prix des matières premières", explique Yannick Desnoyers. Sans compter la croissance chinoise qui surprend les analystes. Tout le monde s'attendait à une décélération et, au contraire, elle a enregistré un bond de 11,9 % au deuxième trimestre. L'OPEP préfère un baril se situant entre 60 et 65 $US, car actuellement les prix sont très élevés par rapport à ce qu'elle croit soutenable. Nous tablons aussi sur ce scénario pour fin 2007. D'ailleurs, l'OPEP pourrait bien être tentée de rouvrir le robinet pour calmer les prix après l'avoir coupé de 1 million de barils par jour en 2006. De toute façon, à 100 $US le baril, la croissance mondiale risque d'être fragilisée. Il n'est pas certain que le consommateur américain encaisse le choc. Avec la baisse des prix de l'immobilier, la situation financière est plus fragile. Denis Durand, associé chez Jarislowsky Fraser : Un baril de brut à 100 $US, c'est possible au printemps ou à l'été 2008. Sur les marchés à terme, les fonds de couverture peuvent exagérer l'évolution à la hausse comme à la baisse. En attendant, dès cet automne, on devrait connaître une période d'accalmie. M. Durand s'attend à une réduction de la consommation d'essence ou de l'huile à chauffage, ce qui pourrait entraîner une baisse des prix du brut. A pareille époque, l'année dernière, les prix étaient repassés temporairement sous la barre des 50 $US. A moyen terme, d'ici les trois prochaines années, il est possible que la hausse de l'offre soit inférieure à celle de la demande. Dans ce contexte, les sables bitumineux ne peuvent contribuer à l'offre de manière significative car il faut de 7 à 10 ans entre le lancement d'un projet et un niveau de production suffisant. Il y a clairement un caractère géopolitique dans le niveau actuel des prix. Pour Denis Durant, le principal point chaud sur le globe, c'est la situation au Nigeria, et non l'Iran, car tout le monde s'y habitue.