Le réalisateur français d'origine algérienne Mehdi Charef retrace son enfance et le dernier printemps de la guerre de Libération dans une chronique sans parti pris, suivant le regard d'un garçon de dix ans, dans Cartouches gauloises qui sort en France mercredi. Tournée en Algérie, avec le soutien des autorités, présentée en juillet à Cannes, son oeuvre autobiographique étoffe la filmographie qui se met en place par petites touches autour de la "sale guerre", brisant peu à peu les non-dits et les tabous. Ni chronique pied-noir avec l'accent, comme “Le coup de Sirocco”, ni “Bataille d'Alger” , ni drame d'une génération qui a eu 20 ans dans les Aurès", "Cartouches gauloises" est l'histoire d'un enfant algérien de dix ans dans une petite ville de l'ouest au printemps 1962. Vendeur ambulant de journaux, Ali porte le film en passant d'un camp à l'autre, des civils Algériens qui rasent les murs aux Français qui bouclent leurs valises, de l'armée et ses "harkis" aux "moudjahidine" les "Fells" ou les "terroristes" pour le camp d'en face. Sans prétention historique, Mehdi Charef ne mentionne à aucun moment de Gaulle, les accords d'Evian ni même l'OAS (Organisation armée secrète qui se bat pour "l'Algérie française"). "A dix ans, on ne savait pas ce que c'était, l'OAS", a-t-il expliqué lors d'une avant-première à Lille. Mais l'extrême violence qui a émaillé la fin du conflit: attentats des "moudjahidine" contre des civils ou des familles, exécutions sommaires, tortures et viols perpétrés par l'armée française... est malgré tout présente. "On m'a dit que le film est violent, Je ne m'en suis pas rendu compte", témoigne M. Charef, qui évite la caricature, même s'il survole certaines questions comme celle des harkis abandonnés par la France, qui mériterait un autre film à elle seule, ajoute-t-il. Au milieu de ce bain de sang, Ali vit une histoire d'amitié forcément ambivalente avec Nico, un petit Français qu'il ne veut surtout pas voir partir en France. Cette amitié est l'une des forces du film. Les deux enfants partagent la même passion pour le football mais aussi les passions de leur famille qui creusent un fossé de haine entre les communautés ("Ton père est un terroriste", lance Nico à Ali, tout en lui offrant un maillot du Stade de Reims pour son anniversaire). "J'ai mis trente ans à écrire ce film", explique le réalisateur, évoquant ce silence qui empêche encore une écriture sereine de l'histoire, que l'on soit Algérien, rapatrié de 1962, harki, ex-engagé ou appelé du contingent. "J'avais peur qu'on ait l'impression d'un règlement de compte", précise M. Charef, qui s'est finalement lancé après le bon accueil de sa pièce "1962" dans un théâtre à Paris en septembre 2005. Au jour de l'Indépendance, en juillet 1962, le visage d'Ali s'illumine devant le drapeau algérien. "Ne nous oubliez pas car il n'y a que vous qui nous ayez connus", lui lance alors le chef de gare, symbole des petits fonctionnaires de l'Algérie française, avant l'exil en métropole. "C'est tellement vrai", conclut Mehdi Charef. "On les a vus beaux, grands, puissants, jeunes, riches. En France, ils n'intéressaient personne". "Le paradis sur terre peut exister. Je les ai vus vivre dedans". Un silence, et le réalisateur, arrivé en France peu après 1962, d'ajouter: "Le problème, c'est qu'ils ne voyaient pas qu'on était à côté".