Les ministres européens des Finances n'ont pas réussi à se mettre d'accord, avant-hier, sur les moyens de lutter contre la fraude fiscale, l'Autriche et le Luxembourg continuant de faire de la résistance, au grand dam de la Commission européenne. Le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, s'était invité au petit déjeuner des ministres. Une façon de "mettre la pression maximum pour que les choses soient traitées au niveau ministériel" et que les arbitrages ne soient pas renvoyés aux dirigeants lors du sommet du 22 mai, selon une source diplomatique européenne. Les ministres étaient appelés à se prononcer sur la révision d'une directive européenne sur la fiscalité de l'épargne, en souffrance depuis 2008. Elle prévoit l'échange automatique d'informations sur les intérêts versés à des personnes physiques non résidentes. La Commission souhaite la renforcer et en étendre le champ d'application, notamment à l'assurance-vie. L'Autriche et le Luxembourg, qui bloquent le texte depuis plusieurs années afin de préserver leur secret bancaire, n'ont pas complètement levé leurs restrictions, contrairement à ce qu'espéraient leurs partenaires. Or, l'unanimité est requise au sein des 27 sur les sujets fiscaux.
Egalité de traitement exigée "Nous pourrons donner notre accord, mais pas aujourd'hui", a déclaré l'Autrichienne, Maria Fekter. Son homologue luxembourgeois, Luc Frieden, a dit qu'il ne pouvait "pas donner le feu vert" à la directive pour le moment. Les deux ministres ont expliqué leur refus par l'exigence d'une "égalité de traitement" avec les pays non membres de l'UE dans la mise en oeuvre des mesures prévues par la directive. Mme Fekter a expliqué que son pays ne souhaitait pas qu'on puisse "aller plus loin en Europe si les négociations avec les pays tiers ne sont pas ambitieuses". Dans cette optique, le Luxembourg et l'Autriche ont donné leur feu vert à un mandat confié à la Commission européenne pour renégocier les accords fiscaux avec la Suisse, Andorre, Monaco, Saint-Marin et le Liechtenstein. Ils étaient les seuls pays à s'y opposer. Un accord a donc été trouvé sur ce point. La Suisse a réagi en rappelant qu'en 2009 déjà, "elle s'était déclarée prête à discuter de l'élargissement de l'accord sur la fiscalité de l'épargne conclu avec l'UE pour en combler les lacunes". "Dès qu'une demande concrète sera adressée à la Suisse par l'UE pour élargir cet accord, le Conseil fédéral y répondra après l'avoir analysée", ajoute le département fédéral des Finances dans un communiqué. Le commissaire européen chargé de la Fiscalité, Algirdas Semeta, s'est dit "très déçu" de l'absence de consensus pour adopter la directive sur la fiscalité de l'épargne. "Nous ne pouvons pas, nous ne devons pas, laisser nos progrès au sein de l'UE dépendre de nos progrès avec des pays tiers", a-t-il regretté.
On espère un pas de géant M. Semeta, espérait capitaliser sur un fort élan dans l'opinion publique, en particulier après les révélations d'Offshore Leak sur des détenteurs de comptes dans des paradis fiscaux, dans un contexte de crise. Bruxelles veut notamment pouvoir s'attaquer aux sociétés écrans qui dissimulent le réel bénéficiaire des fonds soustraits au fisc. Sur son compte Twitter, le commissaire européen a dit espérer qu'un "pas de géant" soit fait lors du sommet de la semaine prochaine. Mais malgré les réticences de l'Autriche et du Luxembourg, le front européen se renforce en faveur d'un partage automatique des données fiscales. Cinq grands pays (France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie et Espagne-- avaient demandé il y a un mois à la Commission européenne la mise en place d'un "Fatca" européen, sur le modèle de la loi américaine qui permet d'obtenir toutes les informations sur tous les comptes bancaires, les placements et les revenus à l'étranger de tous les contribuables américains. Ces pays, rejoints par 12 autres, ont insisté dans un communiqué commun sur la nécessité d'une "norme globale pour l'échange automatique d'informations couvrant un large éventail de revenus et d'entités", isolant un peu plus Vienne et Luxembourg. En plus des "cinq grands", les signataires sont la Belgique, la République tchèque, l'Irlande, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la Roumanie, la Slovaquie, auxquels se sont joints en fin de journée le Danemark, la Finlande, la Suède et la Slovénie.
Pas de consensus dans le renflouement des banques Les Européens se sont montrés divisés sur l'implication des déposants au-delà de 100 000 euros, dans le renflouement des banques en difficulté. Les ministres des Finances des 27 étaient appelés à se prononcer sur la hiérarchie des créanciers qui seraient sollicités en cas de faillite bancaire. Il s'agit d'un des aspects importants de la future directive sur la résolution des crises bancaires, l'un des piliers de l'union bancaire que les Européens sont en train de mettre sur pied. L'idée est de mettre en place un système de "bail-in", pour que les banques soient renflouées par des fonds privés, en particulier par leurs créanciers et leurs actionnaires, par opposition au "bail-out", qui prévoit l'injection de fonds publics, et donc l'argent des contribuables. L'ensemble des ministres des Finances ont défendu l'idée de ne pas toucher aux dépôts inférieurs à 100 000 euros quelles que soient les circonstances, estimant qu'ils sont "sacro-saints". Mais les avis divergent sur le sort des dépôts au-delà de ce seuil. Le commissaire chargé du Marché intérieur et des services financiers, Michel Barnier, s'est dit "convaincu des mérites d'un système accordant aux déposants un rang privilégié". Ceux-ci "ne seraient donc mis à contribution qu'après tous les autres créanciers", a-t-il expliqué. Cette "préférence" pour les déposants, qui réduirait leur exposition en cas de faillite, est également défendue par la Banque centrale européenne et des pays comme l'Autriche, la Belgique ou le Portugal. Certains pays veulent aller plus loin, comme l'Espagne dont le ministre des Finances Luis De Guindos a estimé qu'il fallait que "tous les dépôts soient correctement protégés". A l'inverse, l'Allemagne, le Danemark et les Pays-Bas souhaiteraient un traitement égal entre les déposants non assurés (au-dessus de 100 000 euros) et les créanciers seniors, même si les ministres allemand et néerlandais, Wolfgang Schäuble et Jeroen Dijsselbloem, se sont dits ouverts à un compromis qui prévoirait une préférence pour les déposants. Autre point litigieux, le degré de flexibilité du mécanisme. Certains pays estiment qu'il faut que les règles soient harmonisées et claires, pour éviter d'avoir un effet dissuasif sur les investisseurs. "La flexibilité ne pourra pas apporter de certitude juridique", a plaidé la ministre autrichienne Maria Fekter. D'autres, comme la France, veulent au contraire pouvoir répondre aux crises au cas par cas, en sollicitant ou non les déposants non garantis selon les besoins. L'Italie et le Luxembourg ont aussi défendu un certain degré de flexibilité. Le sujet reviendra sur la table lors de la prochaine réunion des ministres des Finances le 21 juin à Luxembourg.