L'armée a pris le pouvoir avant-hier en Thaïlande, deux jours après l'instauration de la loi martiale. Elle a justifié ce coup d'Etat par la nécessité de rétablir l'ordre après sept mois de contestations politiques parfois violentes. Tout le pays est sous couvre-feu à partir de jeudi soir. "Pour que le pays revienne à la normale", les forces armées "doivent prendre le pouvoir à partir du 22 mai", a déclaré le puissant chef de l'armée de terre, le général Prayut Chan-ocha, en direct à la télévision. "Tous les Thaïlandais doivent rester calmes et les fonctionnaires doivent continuer à travailler comme d'habitude", a-t-il ajouté. Un couvre-feu est instauré sur l'ensemble du territoire entre 22h00 et 05h00 du matin. Toutes les stations de radio et de télévision ont cessé la diffusion de leurs programmes habituels, remplacés par des messages militaires. La Constitution est temporairement suspendue. Le Premier ministre par intérim Niwatthamrong Boonsongphaisan et ses ministres sont convoqués dans une caserne du nord de Bangkok. Ils doivent "se présenter" au nouveau régime, qui a pris le nom de Conseil national pour le maintien de la paix et de l'ordre.
Rassemblements interdits Peu de temps auparavant, les soldats avaient appréhendé le chef de la contestation antigouvernementale, Suthep Thaugsuban. Il participait à une réunion destinée à sortir la Thaïlande de l'impasse. Les rassemblements de plus de cinq personnes sont désormais interdits. "Quiconque enfreindra cette disposition sera passible d'au moins un an de prison", a dit le porte-parole adjoint de l'armée. Les soldats ont effectué des tirs de sommation pour disperser des milliers de partisans de l'ex-cheffe du gouvernement Yingluck Shinawatra, réunis dans la banlieue ouest de Bangkok. Un dirigeant du mouvement a été appréhendé. Les pro-Shinawatra ont annoncé qu'ils poursuivaient leur contestation, malgré la prise de pouvoir par les militaires. Le général Prayuth a appelé les deux camps à un premier tour de table mercredi. Ils devaient tenter de trouver un compromis s'articulant autour de la nomination d'un Premier ministre intérimaire, de réformes politiques et la convocation d'une élection. Mais la réunion s'est soldée par un échec, aucune des deux parties ne souhaitant faire de concessions.
L'ex-Première ministre convoquée par la junte L'ex-Première ministre thaïlandaises Yingluck Shinawatra, récemment limogée par la justice, s'est rendue hier matin à sa convocation par la junte militaire qui a pris le pouvoir jeudi. L'armée a en outre interdit à 155 personnes de quitter le pays. "Elle est arrivée", a déclaré à la presse Wim Rungwattanajinda, collaborateur de l'ex-Première ministre. Mme Yingluck a été convoquée comme plus de cent responsables politiques, dont Niwattumrong Boonsongpaisan, qui a assuré l'intérim après son limogeage. Les militaires ont aussi interdit à 155 personnes, des politiques et des militants, de quitter le pays au lendemain du coup d'Etat, selon un communiqué lu vendredi à la télévision. Plusieurs membres de la famille de l'ancien chef de gouvernement Thaksin Shinawatra, renversé par le précédent putsch de 2006 et qui continue à diviser profondément la société, sont également convoqués au QG de l'armée. Sont notamment visés sa sœur Yingluck, destituée fin mai par la justice, et Somchai Wongsawat, leur beau-frère, également chassé du pouvoir par la justice en 2008. La junte a convoqué au total 114 personnalités des deux bords politiques, le parti Puea Thai (ex-gouvernement) et le parti Démocrate (opposition).
Les USA réexaminent leur coopération militaire Le secrétaire d'Etat américain John Kerry a condamné avec force le coup d'Etat en Thaïlande, menaçant de suspendre la coopération militaire historique entre les deux alliés. Les Etats-Unis ont ainsi rapidement déterminé qu'il s'agissait bien d'un coup d'Etat militaire, ce qui impose juridiquement à l'administration américaine de couper une partie de son aide bilatérale. Il n'y a pas de justification à ce coup d'Etat militaire, a dénoncé M. Kerry dans un communiqué, appelant au rétablissement immédiat d'un gouvernement civil et au retour de la démocratie. Cette action aura des implications négatives sur la relation entre les Etats-Unis et la Thaïlande, en particulier pour notre relation avec les forces armées thaïlandaises, a-t-il mis en garde. Comme l'avait annoncé plus tôt le Pentagone, les Etats-Unis réexaminent leur assistance militaire avec Bangkok. L'influente armée thaïlandaise entretient des relations historiques très étroites avec Washington et les deux pays sont liés par un traité militaire de défense mutuelle qui remonte à la Guerre froide. Nous sommes en train de réexaminer notre coopération militaire, y compris la participation américaine à un important exercice bilatéral avec l'armée thaïlandaise dénommé CARAT actuellement en cours, a dit de son côté le colonel Steven Warren, porte-parole du Pentagone. Déjà, a ajouté son homologue du département d'Etat, Jennifer Psaki, nous avons pris des mesures préliminaires pour suspendre nos engagements militaires et notre assistance. Washington avait interrompu pendant deux ans sa coopération militaire avec Bangkok après le coup d'Etat de septembre 2006. En 2013, les Etats-Unis ont fourni une assistance de 11,4 millions de dollars à la Thaïlande, dont 3,7 millions pour son volet militaire. John Kerry s'est dit déçu par la décision de l'armée thaïlandaise de suspendre la Constitution et de prendre le contrôle du gouvernement. La porte-parole Jennifer Psaki a expliqué que son ministère et le Pentagone tentaient d'entrer en contact avec les autorités militaires à Bangkok. Le département d'Etat affirmait encore mercredi que la loi martiale était une mesure temporaire et qu'il n'y avait pas de coup d'Etat en cours. Mme Psaki a reconnu jeudi qu'il y avait bien eu un coup d'Etat en Thaïlande. Le terme coup d'Etat a son importance, car lorsque l'administration américaine déclare que tel ou tel gouvernement démocratique a été renversé de la sorte, le Congrès impose alors de fortes restrictions en termes d'aide financière bilatérale. Le Pentagone doit alors cesser toute coopération avec les autorités issues d'un coup d'Etat. La Défense tente donc de qualifier d'un point de vue juridique les événements ayant conduit à la prise de pouvoir par l'armée à Bangkok. La ligne peut parfois être finement établie: Washington avait ainsi cessé sa coopération avec le Mali après un coup d'Etat en 2012, mais n'avait pas coupé les ponts avec l'Egypte après le renversement du président islamiste Mohamed Morsi. Les Américains n'ont jamais qualifié de coup d'Etat sa destitution par l'armée égyptienne. Mme Psaki s'est refusé à comparer les cas de l'Egypte et de la Thaïlande. Pour cette puissance d'Asie du Sud-Est, John Kerry a aussi appelé à la libération des dirigeants arrêtés et demandé le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans cette monarchie constitutionnelle qui a connu -- avec ce dernier coup d'Etat -- 19 coups d'Etat réussis ou avortés depuis 1932. John Kerry a enfin plaidé pour de nouvelles législatives qui soient le reflet de la volonté du peuple. Les autorités militaires thaïlandaises ont interdit les émissions de toutes les chaînes de radio et de télévision à l'exception du service de télé-et radiodiffusion de l'armée de terre, a annoncé un porte-parole du gouvernement militaire.