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L'Europe, le géant russe Gazprom, la société algérienne Sonatrach et la crise ukrainienne
Publié dans Le Maghreb le 14 - 09 - 2014

Cette présente contribution d'une brûlante actualité se propose d'analyser l'impact de la crise ukrainienne sur la stratégie gazière européenne, russe et algérienne

Il s'ensuivrait d'importants remous sociaux et politiques. Qu'en sera-t-il du devenir de Gazprom contrôlant plus de 80% de la production de gaz russe, le groupe cherche en priorité à poursuivre son expansion à l'international, les marchés européens lui assurant en particulier des revenus plus conséquents et plus stables que le marché intérieur russe ? Tout en n'oubliant pas que le 22 août 2012 , la Russie a adhéré à l'Organisation mondiale du commerce ( OMC) après 18 ans de négociation et a conclu 39 accords bilatéraux concernant l'accès au marché pour les services et 57 accords concernant l'accès au marché pour les marchandises ?
3.-Sonatrach peut-elle suppléer au déficit en gaz de l'Europe ?
Le marché européen est de longue date, le marché naturel de l'Algérie pour ses hydrocarbures, notamment pour le gaz naturel. Cependant, la part de l'Algérie dans les approvisionnements gaziers de l'Union européenne a baissé de façon significative dans les dernières années et les crises économiques en Europe n'en sont pas la seule raison. A moyen terme, de nouveaux concurrents vont apparaître, tels que les Etats-Unis, des pays de l'Afrique de l'Est (Mozambique, Tanzanie) et des pays de la Méditerranée orientale (Israël, Chypre, peut-être le Liban) ; certains pays européens tenteront de développer leur propre potentiel de gaz non conventionnel ;les exportateurs traditionnels vers l'Europe, dont la Russie, devraient adopter un comportement plus agressif pour préserver leurs parts de marché ; et la souplesse commerciale du Qatar dont la part du marché en Europe approche celle de l'Algérie en 2012 (8/9%) et étant le concurrent le pus sérieux avec Gazrpom en Asie, l'Algérie devant contourner toute la corniche de l'Afrique avec des coûts de transport exorbitants pour arriver en Asie..
Des clients européens du groupe pétrolier et gazier algérien Sonatrach ont demandé à la compagnie de revoir à la baisse ses prix du gaz et le Mémorandum avec l'Europe insiste sur la révision des clauses des contrats à moyen et long termes, du fait qu'existe depuis des années une déconnexion du prix du gaz par rapport à celui du pétrole. L'effet domino est là, il n' y avait pas qu' Edison qui a demandé à revoir les prix (à la baisse). Il y a aussi l' ENI (Italie) et GNF (Gas Natural Fenosa, Espagne)", selon le P-DG de Sonatrach . Rappelons l'arbitrage international ayant opposé Sonatrach à l'italien Edison, contrôlée par le Français EDF, dans une affaire de demande de revoir à la baisse ses prix de gaz. Sonatrach a perdu cet arbitrage à cause de la clause de "bouleversement" contenue dans le contrat d'approvisionnement, qui stipule que les prix peuvent faire l'objet d' une réduction en cas de changement des conditions économiques..La demande en gaz naturel en l'Europe est en déclin, et les exportations algériennes vers ce marché traditionnel aussi. L'Italie, qui reçoit prés de 34% de ses importation de gaz d'Algérie a considérablement réduit la consommation de ses centrales électriques au profit des énergies renouvelables et en s'adressant à d'autres fournisseurs sur le marché libre . C'est en tout cas, l'une des explications fournies par la Snam Rete Gas, la principale entreprise de transport et de liquéfaction de gaz naturel en Italie. Dans son bilan financier au titre de l'année 2013, la compagnie italienne rapporte un volume de gaz injecté dans le réseau italien de 69,01 milliards de mètres cubes (- 8,9% sur une année) dont 61,53 milliards de mètres cubes importés, en baisse de 9%. Dans le détail, les flux en provenance d'Algérie par le biais du point d'entrée Mazara del Vallo ont chuté de 40,2%, s'établissant a 12,46 milliards de mètres cubes (20 % du total des importations). Ils s'établissaient à 7,49 milliards de mètres cubes en provenance d'Europe du Nord par Passo Gries, en baisse de 17,1% et à 5,7 milliards de mètres cubes et de Libye par Gela, en baisse de 11,9%. Inversement, les importations de gaz de Russie gaz dans le Tarvisio a augmenté de 26,9% à 30,26 milliards de mètres cubes. Cela confirme que l'Algérie est en train de perdre ces parts de marché de gaz en Europe.
Ce qui n'est pas dû seulement à des difficultés d'approvisionnement après l'attaque terroriste de Tiguentourine, mais aussi à la volonté de l'Europe de réduire ses approvisionnements d'Algérie au profit d'autres acteurs du marché libre dont le prix est plus bas. L'Algérie se voit donc contrainte de revoir les débouchés pour son gaz. Dans ce contexte face à la crise ukrainienne, l'Algérie ne peut suppléer à court terme au manque de gaz de l'Europe posant la problématique des réserves de gaz algérien ?
Se pose forcément la forte consommation intérieure, le prix de l'électricité étant plafonné depuis 2005 entraînant un déficit structurel de Sonelgaz de plus de 44 milliards de dinars en 2012. Sont posées les limites des réserves de gaz traditionnels en Algérie où en 2017 la consommation intérieure risque de dépasser largement les exportations ayant doublé les capacités d'électricité horizon 2017 à partir des turbines de gaz allant vers plus de 70 milliards de mètres cubes gazeux, dépassant les exportations actuelles qui peinent à atteindre 50/55 milliards de mètres cubes gazeux . L'on devrait arriver, sauf découvertes exceptionnelles, à un coût compétitif à un épuisement horizon 2030 des hydrocarbures traditionnels, devant produire plus de 155 milliards de mètres cubes gazeux annuellement, si l'on veut exporter 85 milliards de mètres cubes gazeux. Selon des études spécialisées les prévisions de la consommation nationale en Algérie horizon 2030 doubleraient pour l'ensemble des hydrocarbures. En 2040, celle de gaz naturel serait de 100 milliards de m3 pour une production escomptée du double, ce qui compte tenu des volumes indispensables au maintien de la pression dans les gisements (88 milliards de m3 réinjectés en 2011) ne laisserait alors qu'une dizaine de milliards de m3 disponibles pour l'exportation, soit cinq fois moins qu'en 2011. La consommation électrique (200 milliards de kwh en 2040 pour une population de 60 millions d'habitants) exigerait de brûler au moins 50 à 60 milliards de m3 de gaz. Pour le court et moyen termes doit être pris en compte la concurrence de Gazprom avec le North et le South Stream, qui contourne l'Ukraine (120 milliards de mètres cubes gazeux, expliquant le gel du projet Galsi 8 milliards de mètres cubes gazeux pour un coût qui est passé de 2,5 à plus de 4 milliards de dollars donc non rentables au vu du prix actuel). Et également la concurrence américaine avec la révolution du pétrole-gaz de schiste, ce marché représentant 20% des recettes de Sonatrach. L'Algérie perd de plus en plus des parts de marché étant passée de 13/14% du marché européen entre 2009/2010 à 9% en 2013. L'on peut découvrir des milliers de gisements non rentables par rapport au vecteur prix international, Hass R'mel et Hassi Messaoud ayant épuisé environ 45/50% de ses réserves. La rentabilité au prix constant 2013 pour les GNL doit être de 15/16 dollars le MBTU et 9/11 dollars pour les canalisations.
En cas d'un fléchissement des prix, les gisements marginaux seront fermés car non rentables. Le départ des Chinois de la raffinerie d'Adrar reprise par Sonatrach qui supporte les surcoûts doit être médité. Je pense qu'un large débat sur les subventions devra impérativement avoir lieu après les présidentielles, l'Algérie étant le pays qui généralise et subventionne le plus au monde l'électricité et le carburant.
Le pays ne peut continuer à généraliser les subventions sans ciblage, ne profitant pas toujours aux plus défavorisés et aux secteurs inducteurs de valeur ajoutée durable. -Cela explique d'ailleurs les conflits actuels sur le prix de cession du gaz avec la rupture de contrat entre Total et Sonatrach pour le projet, d'une usine de vapocraquage de l'éthane à Arzew. Mais cette rupture du contrat ou gel n'est pas propre à Total dans la mesure et pose toute la problématique de la politique des subventions en Algérie (prix intérieur environ 1/10ème du prix international) où plusieurs projets très fort consommateurs de gaz avec des partenaires étrangers ont achoppé et achoppent toujours sur le prix de cession du gaz. Comme la joint-venture entre Sonatrach et le consortium émirati Dubaï-Moubadala unité d'aluminium à l'Ouest du pays ( Béni Saf) prévu pour 5 milliards de dollars. Ainsi se posera le prix de cession de l'importante unité sidérurgique de Bellara wilaya de Jijel de 4 millions de tonnes d'acier par an en vitesse de croisière pour un coût estimé à 1,7 milliard de dollars , l'unité d'ammoniac entre le groupe Sonatrach et El Djazairia El Omania Lil Asmida, pour 3 milliards de dollars portant sur la fourniture, à compter de 2012, de deux milliards de mètres cubes de gaz naturel devant produire quatre mille tonnes par jour d'ammoniac et sept mille tonnes par jour d'urées granulées, sans compter les conflits de prix avec ArcelorMittal à Annaba et d'autres partenaires étrangers. Comment ne pas rappeler également le conflit récent avec la société espagnole Fertial, Sonatrach lui reprochant une consommation excessive de gaz du fait du bas prix , avec plus de 245 000 tonnes d'engrais produits ainsi que 858 000 tonnes d'ammoniac - l'un des constituants des engrais, essentiellement vendues à l'export. Même les Russes lors de leurs négociations avec l'OMC, qui a vu leur adhésion en août 2012, se sont engagés à réduire l'écart entre le prix administré et le prix du marché dans le temps. Il ne peut y avoir d'exception pour l'Algérie.

Conclusion :
Dans la situation actuelle, je ne pense pas à une rupture économique entre l'Europe et la Russie, l'Algérie n'ayant pas les capacités actuelles pour suppléer au déficit, tout au plus un très petit appoint. Selon Africa Energy Intelligence du 02 novembre 2013, le méga-champ gazier d'Hassi R'mel connaît une baisse sensible de sa production, faute, de travaux de développement et d'entretien. Le site gazier en question, qui produisait 75 milliards de m3 en 2008, n'en livre que 55 milliards de m3 en 2012. Les exportations algériennes de gaz seraient passées de 60 milliards de m3 en 2007 à 52 milliards de m3 en 2011 et 55 milliards en 2012 ". Par ailleurs , le pétrole algérien (identique à celui de la Libye qui tant du point de vue du gaz et du pétrole sera très prochainement le concurrent direct de Sonatrach) traditionnellement il bénéficiait d'une prime de 3 dollars environ en raison de son absence de soufre et de sa proximité de l'Europe, aujourd'hui il n'est acheté qu'avec un rabais de 2 à 3 dollars du fait notamment de la crise des raffineries D'autant plus que suite à l'attentat de Tinguentourine (Illizi) qui représente 18 % de ses exportations et aux cours mondiaux actuels, des revenus annuels de 3,9 milliards de dollars, toutes les installations ne sont pas encore opérationnelles. L'Algérie se trouve confrontée surtout à sa forte consommation intérieure de gaz qui risque de dépasser les exportations en 2017 et devra arbitrer entre la consommation intérieure et les exportations en déclin du moins pour le gaz traditionnel, pour le gaz de schiste du fait de son coût cela n'est pas pour demain. Et cette situation sera d'autant plus intenable (subventions et transferts sociaux représentant 30% du produit intérieur brut soit 70 milliards de dollars en 2013) si le cours des marchés tendaient à fléchir comme le prévoient les organismes internationaux entre 2015/2017, 98% des exportations entre 2013/2014 relevant du seul secteur des hydrocarbures et important 70% des besoins des entreprises dont le taux d'intégration-public et privé- ne dépasse pas 15%. Tout cela renvoie à l'urgence d'un nouveau modèle de consommation énergétique lui même lié au renouveau de la gouvernance pour réaliser la transition d'une économie de rente à une économie hors hydrocarbures s'insérant dans le cadre des avantages comparatifs mondiaux en termes de coût/qualité dont les avantages comparatifs sont dans les espaces maghrébins, africains et euro-méditerranéens.

A. M.


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