L'Italie et les Etats-Unis ont présidé dimanche à Rome une conférence internationale pour pousser les principales factions politiques émergeant dans le chaos libyen à appliquer rapidement un accord négocié difficilement sous l'égide de l'ONU. Les puissances occidentales souhaitent qu'un gouvernement d'union reprenne le pays en main pour tenter de contrer le développement de l'organisation Etat islamique (EI) autour de son fief de Syrte et les réseaux de passeurs qui envoient chaque mois vers l'Italie des milliers de migrants dans des conditions inhumaines. Mais les critiques de l'accord préviennent que toute tentative de précipiter le processus de réconciliation risque au contraire de renforcer les résistances qui se sont exprimées depuis l'annonce de cet accord en octobre et d'accentuer les lignes de fractions au sein du pays plongé dans le chaos depuis la chute de Mouammar Kadhafi. "Nous devons montrer que l'action des gouvernements et de la diplomatie peut être plus rapide que la menace du terrorisme", a déclaré samedi le ministre italien des Affaires étrangères, Paolo Gentiloni, qui doit co-présider la réunion à partir de 10H00 (09H00 GMT) avec son homologue américain John Kerry, attendu de Paris après le sommet sur le climat. Après l'engagement vendredi à Tunis de délégations des deux Parlements rivaux celui de Tobrouk (est), reconnu par la communauté internationale, et celui de Tripoli de signer mercredi l'accord soutenu par l'ONU, la réunion de dimanche vise surtout à montrer la solidarité internationale. Des ministres de toute la région et bien au-delà le Russe Sergueï Lavrov, le Français Harlem Désir ainsi que des représentants des autres membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU, d'Allemagne, d'Algérie, du Tchad, du Maroc, du Niger, du Qatar, de Turquie... doivent en effet participer, au coté d'une dizaine de représentant de diverses factions libyennes. Cela devrait donner "un cadre et un élan à la cérémonie de signature", qui devrait avoir lieu au Maroc, a expliqué M. Gentiloni. Mais à Tunis, les délégations n'ont pas été en mesure de promettre que leur Parlement respectif ratifierait l'accord après cette cérémonie.
Pari irresponsable Et pour certains observateurs, la signature de cet accord obtenu au forceps via une médiation étrangère reste "un pari irresponsable", comme l'ont ainsi dénoncé Emma Bonino, ancienne ministre italienne des Affaires étrangères, et le haut diplomate français Jean-Marie Guéhenno dans le magazine Politico. L'accord d'octobre prévoit qu'un relatif inconnu, Faez Serraj, prenne la direction d'un conseil présidentiel de neuf membres, mais pour ces deux spécialistes de la diplomatie, il est "très improbable" que les conditions de sécurité soient réunies pour qu'ils prennent leurs fonctions à Tripoli. "Cela signifie qu'ils n'auront aucun contrôle sur l'administration d'Etat, en particulier la banque centrale. Cela pourrait relancer les combats pour le contrôle de la capitale", tandis que toute tentative de restaurer l'autorité de Tripoli risque d'alimenter les poussées sécessionnistes dans l'Est, ont-ils prévenu. Vendredi après-midi, des centaines de manifestants se sont d'ailleurs rassemblés sur la principale place de Tripoli, agitant des drapeaux libyens et appelant au rejet de l'accord. Selon des sources européennes et américaines, l'objectif est de former un gouvernement d'union dans les 40 jours suivant la signature de mercredi, faute de quoi l'ONU pourrait imposer des sanctions sur les parties récalcitrantes. En revanche, si l'accord tient, le gouvernement d'union pourra obtenir des armes et même un appui militaire international pour assoir son autorité, lutter contre le terrorisme et l'immigration clandestine, a expliqué un responsable américain. La présence de plusieurs milliers de combattants de l'EI dans la zone côtière de Syrte inquiète beaucoup à travers le monde, d'autant que des responsables locaux parlent aussi de centaines de jihadistes étrangers -- Tunisiens, Soudanais, Yéménites ou encore Nigérians de Boko Haram -- venant se former pour repartir frapper ailleurs. L'Italie, ancienne puissance coloniale, se dit prête depuis des mois à prendre la tête d'une éventuelle intervention militaire. Mais elle exige l'accord d'un gouvernement reconnu, et un mandat précis de l'ONU.