Prise de doutes après des chiffres de l'emploi ambigus, Wall Street pourrait avoir du mal à se motiver la semaine prochaine, voyant plus de risques que d'encouragements à investir dans l'actualité. Rompant avec deux semaines consécutives de hausse, l'indice vedette Dow Jones Industrial Average a perdu lors des cinq dernières séances 1,59% à 16 204,83 points et le Nasdaq, à dominante technologique, 5,44% à 4 363,14 points. Jugé le plus représentatif par de nombreux investisseurs, l'indice élargi S&P 500 accuse une chute de 3,10% à 1 880,02 points. "Le marché a été très difficile et sans direction", a souligné Hugh Johnson, chez Hugh Johnson, en notant que la volatilité des cours du pétrole, qui sont suivis à la fois en tant que baromètre de l'économie mondiale et en tant que risque potentiel pour le secteur financier, avait joué un rôle clé dans les hésitations boursières. Finalement, les indices se sont franchement orientés dans le rouge vendredi avec l'annonce que les créations d'emploi s'étaient ralenties bien plus fortement que prévu en janvier, tandis que parallèlement le taux de chô- mage baissait à 4,9% et les salaires horaires s'affichaient en hausse. "L'inquiétude est revenue", a souligné Gregori Volokhine, chez Meeschaert Financial Services, quant aux intentions de la Réserve fédérale américaine: la banque centrale va-t-elle ou non donner suite à son intention de rester sur le chemin d'une série de hausses des taux directeurs, emprunté en décembre pour la première fois depuis près de dix ans' Pour Chris Low, chez FTN Financial, le passage sous le seuil de 5% de chômage et la hausse des salaires, manifestant un frémissement d'inflation, pourraient convaincre la Fed de s'en tenir à la voie fixée. Mais "si elle le fait dans cette atmosphère globale de désinflation, on va vers la catastrophe", craint M. Volokhine. "On craint d'être pris à contrepied par un resserrement (moné- taire) alors que les liquidités sortent déjà d'elles-mêmes du march é", ce qui se manifeste avec "de grosses pressions vendeuses", a-t-il précisé. A ce titre, les investisseurs devraient prêter une particulièrement grande attention aux auditions parlementaires de la présidente de la Fed Janet Yellen, pré- vues mercredi et jeudi, cinq semaines avant la prochaine réunion du Comité de politique monétaire. "La question que tout le monde se pose, c'est de savoir si nous traversons une période de ralentissement aux Etats-Unis, ou si c'est plus grave que cela", assure M. Johnson, estimant que "le marché a déjà fait passer le message qu'une récession se pré- pare", et craint que la Fed ne le voie pas. FIN DE SEMAINE MITIGEE Une nouvelle fois fébrile, Wall Street a fortement baissé vendredi après des chiffres contrastés sur l'emploi américain, qu'elle a choisi d'interpréter de façon pessimiste, notamment à l'aune des perspectives moné- taires aux Etats-Unis. "Je suis très étonné d'une telle baisse après des chiffres sans grande surprise sur l'emploi", a reconnu Alan Skrainka, de Cornestone Wealth Management. "Je me creuse vraiment la tête..." Principal indicateur économique de la semaine aux Etats-Unis, le rapport du département du Travail s'est révélé contrasté pour le mois de janvier, en faisant certes état d'une chute inattendue des créations d'emplois, mais aussi d'une décrue du chômage, à son plus bas niveau en 8 ans. Pour aggraver encore la confusion, certains observateurs estiment que ce sont les bonnes nouvelles du rapport, dont une nette avanc ée des salaires, qui ont plombé le marché, car elles pourraient pousser la Réserve fédérale (Fed), la banque centrale américaine, à poursuivre à un rythme soutenu le retrait de son soutien à l'économie, entamé en décembre avec sa première hausse de taux depuis 2006. "On craint que la Fed regarde tout cela et décide de relever encore ses taux, peut- être dès mars", date de sa prochaine réunion de politique monétaire, a avancé Bill Lynch, de Hinsdale Associates, se montrant toutefois lui aussi interloqu é par la réaction brutale de Wall Street. Depuis le début de la semaine, les responsables de la banque centrale avaient plutôt multiplié les déclarations prudentes sur le sujet, ce qui a d'ailleurs contribué à rendre la Bourse instable plus qu'à la rassurer, et peu d'observateurs se laissent désormais aller à essayer de prévoir son attitude face aux chiffres de vendredi. NEWS CORP BAISSE "La seule chose qui me semble cohérente" pour expliquer la chute des indices, "c'est que la Fed est bien décidée à monter ses taux, alors que l'économie montre des signes de faiblesses et que les gens s'inquiètent de la voir plonger en récession", a comment é M. Skrainka. Il estimait par ailleurs que la performance particulièrement mauvaise du Nasdaq s'expliquait par le fait que les investisseurs perdaient de plus en plus confiance dans les titres à fort potentiel de croissance - largement répandus dans le secteur technologique - et se tournaient vers des valeurs plus traditionnelles, à l'écart moins élevé entre leurs bénéfices réels et leur capitalisation boursière. A ce titre, le cas de LinkedIn était parlant, le réseau social professionnel s'étant écroulé de 43,63% à 108,38 dollars après une prévision très décevante pour 2016, laissant craindre un ralentissement de sa croissance. Dans le reste des valeurs, le conglomérat News Corp, qui rassemble les actifs de la famille Murdoch dans la presse et l'édition, a chuté de 9,09% à 11,10 dollars après avoir annoncé que son bénéfice net trimestriel avait diminué de plus de moitié. Parmi les titres ayant résisté, Le groupe agroalimentaire Tyson Foods a bondi de 9,91% à 57,10 dollars après avoir un bond de près de 50% de son bénéfice trimestriel, malgré un net déclin de ses ventes. Le groupe de produits cosmétiques Estée Lauder a pris 4,57% à 90,99 dollars, après que des résultats trimestriels supé- rieurs aux attentes ont fait oublier des prévisions mitigées pour l'ensemble de l'année. Le groupe informatique Symantec a gagné 3,02% à 19,76 dollars après avoir annoncé l'obtention d'un investissement strat égique de 500 millions de dollars de la part du fonds Silver Lake et décidé d'accélérer ses reversements à ses actionnaires. L'OMBRE DE LA CHINE Tom Cahill, chez Ventura Wealth Management, a noté par ailleurs que la semaine commencerait une nouvelle fois dans l'ombre de la Chine, qui doit publier dimanche l'état de ses réserves de change. Les Bourses chinoises fermées la semaine prochaine en l'honneur du Nouvel An chinois ne pourront pas y réagir, mais les autres places y prêteront la plus grande attention. "On s'attend à ce que les réserves de changes aient baissé, mais si la baisse est plus prononcée que prévu cela pourrait être problématique, et laisser entendre qu'il n'y a plus de quoi soutenir le yuan, avec la possibilit é d'un effet domino", a soulign é M. Cahill. En fin de semaine, les investisseurs prêteront la plus grande attention aux ventes de détail, moteur clé de l'économie. Du côté de la microéconomie, une poignée de grandes entreprises doivent encore publier leurs résultats dans les jours qui viennent, parmi lesquels Viacom et Disney mardi, puis des groupes agroalimentaires très présents à l'exportation, Coca-Cola, Mondelez et Pepsico. "Jusqu'à présent le secteur des entreprises liées au produits de consommation de base a bien résisté, mais si les résultats sont très inférieurs aux attentes, cela sera intéressant", a souligné M. Cahill, espérant que ces groupes auront su compenser l'impact du dollar fort par des ajustements, notamment du côté des coûts. Enfin, "si le pétrole repart en baisse, cela entraînera les actions", s'est-il encore inquiété. Les places chinoises en baisse La Bourse de Shanghai a fini en baisse de 0,63% vendredi lors de la dernière séance avant les congés du Nouvel an lunaire tandis que la Bourse de Hong Kong a gagné 0,55% dans le sillage des prix du pétrole et de Wall Street. L'indice composite shangha ïen a lâché 17,53 points à 2 763,49 points, dans un volume d'affaires de 145,6 milliards de yuans (19,81 milliards d'euros). Sur la semaine, il a engrangé 0,95%. L'indice composite de Shenzhen a cédé pour sa part 1,15%, soit 20,37 points, à 1 750,70 points, dans un volume d'échanges de 217,9 milliards de yuans. Il a cependant bondi de 3,63% par rapport à vendredi dernier. Les deux places financières sont restées insensibles cette fois à la nouvelle injection de liquidit és de la banque centrale chinoise (PBOC), d'un montant de 150 milliards de yuans, et qui fait suite à celle de jeudi (120 milliards de yuans) et de mardi (100 milliards de yuans). Cette série d'injections massives, entamées il y a plusieurs semaines, vise à répondre aux besoins accrus de liquidités avant le Nouvel an lunaire, la semaine prochaine, à l'occasion duquel les entreprises versent salaires et primes annuelles aux employés, et les Chinois s'échangent cadeaux et étrennes. La Bourse de Shanghai a plongé de 23% en janvier, son plus mauvais mois depuis l'éclatement de la crise financière de 2008, en raison notamment des inquiétudes sur le ralentissement économique chinois. A Hong Kong, la Bourse a en revanche fini en hausse de 0,55% vendredi, l'indice composite Hang Seng gagnant 105,08 points, à 19 288,17 points.