Malgré les efforts de la Banque centrale européenne (BCE) pour faire repartir les prix en zone euro, l'inflation y reste désespérément basse. Elle est même retombée en territoire négatif en février. Récapitulatif des différents facteurs à l'œuvre pour empêcher la remontée des prix. "Le faible niveau d'inflation et la chute de février reposent en grande partie sur les prix de l'énergie", affirme Ben May, économiste chez Oxford Economics. Depuis deux ans, les cours du pétrole ont fortement chuté, sur fond de surabondance de l'offre mondiale. Pour les ménages et les entreprises, cette décrue se traduit, entre autres, par une baisse bienvenue des prix du fuel de chauffage et du carburant à la pompe. Mais elle empêche l'inflation de repartir, les prix de l'énergie comptant pour beaucoup dans le calcul de cette donnée, souligne M. May. Le cours du pétrole est tombé en début d'année à son plus bas niveau depuis 2003 avant de timidement rebondir début février. Le marché bruisse de rumeurs sur une baisse concertée de l'offre entre grands pays producteurs.
Importations moins chères Pour autant, une remontée substantielle et durable des prix ne semble pas encore à l'ordre du jour. Par conséquent, les prévisions d'inflation pour la zone euro vont devoir être revues en sensible baisse, a récemment signalé le président de la Bundesbank, Jens Weidmann. Après une nette baisse en mars 2015, consécutive à l'annonce par la BCE d'un vaste plan d'achat de dettes, le cours de l'euro est depuis remonté et évolue autour de 1,10 dollar. Or "une remontée du taux de change de l'euro signifie que les prix des biens importés sont moins élevés", explique Ben May. Si la valeur de l'euro s'apprécie par rapport à d'autres monnaies, une voiture ou un frigo importés verront leur prix baisser, ce qui apportera une contribution moindre à l'inflation au sein du bloc monétaire.
Négociations salariales Autre facteur pesant sur l'inflation, "la plupart des pays frappés par la crise, comme l'Espagne, le Portugal ou encore la Grèce ont été contraints de réformer et de flexibiliser leur marché du travail, ce qui a eu pour conséquence de réduire les salaires", explique Johannes Gareis, de Natixis. Qui dit baisse de salaires, dit ralentissement de la consommation des ménages et, par ricochet, moindre hausse, voire même recul des prix. En parallèle, les faibles perspectives d'inflation pour les prochaines années ont des conséquences sur les négociations salariales entre employeurs et salariés, ce qui freine encore plus la progression des salaires, soulignent la plupart des analystes. "Avec une inflation nulle ou négative, le pouvoir d'achat augmente, et donc il n'y a pas une pression forte de la part des employés ou des syndicats pour faire remonter les salaires. Avec de faibles perspectives d'inflation, les revendications salariales ralentissent aussi", ajoute Charles Wyplosz, professeur d'économie à l'Institut de Hautes Etudes Internationales et du Développement de Genève. Pour Gilles Moëc, de Bank of America Merrill Lynch, la faible dynamique des salaires en zone euro recouvre plusieurs réalités. "Il y a des pays, comme l'Espagne, où le chômage baisse, mais reste encore trop élevé. Dans d'autres comme la France et l'Italie, soit il baisse trop lentement, soit il continue à monter." En Allemagne, "on est en situation de plein emploi, mais les inquiétudes autour de l'export incitent à la modération salariale. Dans ce contexte, il ne peut pas se passer grand-chose du côté des salaires", selon M. Moëc.
Investissements freinés Traditionnellement, l'investissement des entreprises crée de l'activité, qui génère à son tour des emplois, ce qui tire les salaires à la hausse et finit par produire de l'inflation. Mais beaucoup d'entreprises ont peur de toutes sortes de choses. "L'angoisse des marchés financiers n'aide pas. Les entreprises ne sont pas rassurées sur la vigueur et la durabilité de la reprise en cours", observe Charles Wyplosz. Face à "une reprise molle", les entreprises "manquent d'enthousiasme pour engager des dépenses importantes d'investissement".
La BCE "consciente" des défis posés aux banques La BCE est "consciente" du défi que représentent pour les banques européennes les taux d'intérêt négatifs et tentera d'en atténuer les effets, a assuré un responsable de l'institution, refusant toutefois d'endosser la responsabilité de tous les maux du secteur financier. "D'aucuns s'inquiètent que, à mesure que les banques centrales abaissent leurs taux en territoire négatif, l'impact de la politique monétaire sur les banques soit de plus en plus défavorable", a déclaré lors d'une conférence à Francfort Benoît Coeuré, membre du directoire de la BCE. "Laissez-moi vous dire que nous sommes bien conscients de ce problème", a-t-il poursuivi, "nous observons les évolutions et nous examinons soigneusement les moyens utilisés ailleurs pour atténuer les effets sur les banques". Depuis juin 2014, la BCE applique un taux de dépôt négatif, c'est-à-dire que les banques doivent payer pour déposer de l'argent dans les coffres de la BCE d'un jour à l'autre, une pratique courante dans le secteur. Ce taux a été porté en décembre à -0,3%, c'est-à-dire que pour 100 euros déposés auprès de la BCE, les banques paient une pénalité de 30 centimes. L'objectif est de les obliger à prêter, plutôt qu'à thésauriser, mais les marges des banques s'en trouvent attaquées, ce que de plus en plus d'entre elles dénoncent. Dernièrement, la Banque du Japon a elle aussi fait passer un de ses taux directeurs sous zéro. L'environnement de taux négatifs - il y en a aussi en Suisse et dans certains pays scandinaves - a été cité comme un facteur de défiance généralisée ces dernières semaines à l'encontre du secteur bancaire, très attaqué en Bourse. Mais "je crois que nous devons réexaminer le narratif selon lequel les défis auxquels font face les banques proviennent essentiellement de la politique monétaire", a ajouté M. Coeuré. Les banques européennes ont largement été en mesure de compenser les effets des taux négatifs, a-t-il argué. En outre ceux-ci ne sont qu'un élément d'un arsenal de mesures de politique monétaire dont les autres - des prêts géants à taux très avantageux, des rachats massifs de dettes - profitent aux banques. Enfin, "dans un environnement de plus en plus incertain, quels auraient été les coûts pour le secteur financier si la politique monétaire n'avait pas réagi? ", a-t-il interrogé. Le banquier central a rappelé que les turbulences de marché depuis le début de l'année avaient visé des établissements de crédit "avec des stocks importants de crédits à risque et ceux perçus comme n'ayant pas de modèle pérenne". "Ce sont des défis qui n'ont pas grand-chose à voir avec les banques centrales", a-t-il ajouté, appelant les banques à nettoyer leurs bilans et continuer à optimiser leurs activités, par exemple par le biais de la consolidation du secteur. Le conseil des gouverneurs de la BCE se réunit la semaine prochaine et va "réexaminer" sa politique monétaire pour, sans doute, décider de nouvelles mesures, mais ne portant vraisemblablement pas sur les taux. Mustapha S.