C'est tout le pari des "abenomics", stratégie de relance du Premier ministre japonais Shinzo Abe, qui est remis en cause: le "shunto", négociations du printemps entre syndicats et employeurs, se solde cette année par des hausses salariales limitées, éloignant les espoirs d'une reprise vigoureuse. Le palmarès a été révélé hier, et dans l'ensemble les récompenses accordées par les grandes firmes aux salariés sont bien inférieures à celles obtenues l'an dernier. Malgré des bénéfices annuels qui s'annoncent records, le géant de l'automobile Toyota, groupe emblématique qui donne généralement le ton en la matière, a décidé d'augmenter la rétribution de base de 1 500 yens (près de 12 euros) par mois, contre 4 000 yens l'an dernier et 2 700 en 2014. Toyota versera cependant une importante prime de 7,1 mois de salaire, une variable d'ajustement moins risquée. Après le coup de pouce exceptionnel de 2015, porté par des profits historiques, la Japan Inc se fait plus prudente. Car entre temps, la situation économique s'est dégradée: ralentissement en Chine et par ricochet en Asie, turbulences sur les marchés financiers, renforcement du yen. Et l'avenir s'est assombri pour les entreprises nippones. Les syndicats, peu revendicatifs au Japon, en ont pris acte et leurs requêtes ont été plus modestes. "Les circonstances ont évolué, et malgré les abenomics, l'économie stagne", explique Shunsuke Kawasaki, secrétaire général du syndicat des travailleurs de Nissan, pour justifier sa demande d'une progression du salaire de base de seulement 3 000 yens. La proposition a été acceptée par le groupe de Carlos Ghosn, plus généreux que la moyenne. Sur la réserve, Honda a quant à lui opté pour une augmentation mensuelle de 1 100 yens. Dans le secteur électronique, Panasonic a convenu d'une timide hausse de 1 500 yens, comme Fujitsu ou Hitachi, loin des ambitions des autorités pour faire repartir une économie atone.
Disparité Pire, la décision de la Banque du Japon (BoJ) d'instaurer des taux négatifs, une mesure qui met sous pression les banques, s'est retournée contre l'institution, dont le combat contre la déflation patine. Pour la première fois depuis 2013, les employés des mégabanques - Sumitomo Mitsui Financial Group, Mizuho et Bank of Tokyo-Mitsubishi UFJ - n'ont même pas réclamé de hausse de leurs émoluments. "Le pouvoir politique a beau demander continuellement que les salaires soient relevés, cela n'a de répercussions qu'auprès d'une partie des grandes entreprises qui ont profité de la baisse du yen. En dehors de ce cercle, là où il n'y a pas de syndicats, l'écart se creuse", explique Rikio Kozu, patron de la Confédération japonaise des syndicats de travailleurs (Rengo) qui rassemble 6,8 millions de membres. "La disparité des revenus a augmenté au cours des deux dernières années. Si cette tendance se poursuit, il ne sera pas possible de vaincre la déflation", assure-t-il. De fait, les petites et moyennes entreprises, peu ou pas syndiquées, sont-elles plus frileuses, alors qu'elles génèrent 70% des emplois, soulignent les analystes de Natixis, Alicia Garcia Herrero et Kohei Iwahara, qui évoquent aussi la part grandissante des postes précaires (plus de 30%). La solution selon eux? Réduire les inégalités entre le système d'emploi à vie - qui protège la grande majorité des salariés et incite à modérer en contrepartie les revendications - et les autres emplois, instables et bien moins rémunérés. Plus largement, la recette des abenomics telle que mise en œuvre pour l'heure - inonder les circuits de liquidités pour inciter entreprises et particuliers à consommer et investir - est vouée à l'échec, juge Martin Schulz, économiste chez Fujitsu Research Institute. "Elle fonctionnerait dans une économie jeune et dynamique, mais dans une économie à faible potentiel de croissance comme le Japon où déclinent main-d'œuvre et population, où la demande de l'extérieur est limitée et le pays fortement endetté, le cercle vertueux ne se formera pas", estime-t-il. "A moins d'être complété par des réformes structurelles" qui donnent envie de croire en l'avenir, et donc de dépenser sans crainte.
Production industrielle en hausse La production industrielle au Japon a rebondi de 3,7% en janvier sur un mois, après avoir nettement diminué en novembre et décembre 2015, a confirmé le ministère de l'Industrie (Meti), maintenant le chiffre préliminaire annoncé fin février. Le gouvernement avait, au moment de la première annonce, jugé que la production faisait "un pas en avant, un en arrière" d'un mois sur l'autre, sur fond de reprise hésitante de la troisième puissance économique mondiale. "Ce rebond a peu de chances de calmer les inquiétudes sur la santé de l'économie japonaise puisque les firmes elles-mêmes s'attendent à une rechute en février", avait alors commenté Marcel Thieliant de Capital Economics. En comparaison annuelle, la production industrielle a diminué de 3,8%. Les entrepreneurs tendent de plus en plus à ajuster de façon très rapide leur niveau de production à la demande réelle, intérieure et étrangère, afin de ne pas avoir à effectuer de trop importants ajustements de stocks financièrement pénalisants. En janvier, les livraisons des usines ont augmenté de 3,5% (au lieu de 3,4% en première approche), tandis que les stocks ont diminué de 0,2% (au lieu de 0,3%). Un risque de fort recul risque d'être constaté pour février avant un regain en mars, selon une enquête conduite par le gouvernement auprès des entrepreneurs. Ces derniers mois joue grandement le ralentissement d'activité en Chine, pays d'assemblage de produits finis à qui sont livrés de nombreux composants et pièces détachées depuis le Japon.