L'avocat général de l'Etat brésilien, Eduardo Cardozo, a mis en garde lundi soir les députés contre la tentation de se rendre complices d'un coup d'Etat institutionnel en destituant la présidente Dilma Rousseff au seul motif de sa grande impopularité. Accusée d'avoir maquillé les comptes publics en 2014 et 2015, la dirigeante de gauche est engagée dans une course contre-la-montre pour tenter de désamorcer la bombe à retardement de son impeachment, à deux semaines d'un vote crucial des députés. Mme Rousseff se débat au milieu d'une crise politique historique envenimée par une sévère récession économique et l'énorme scandale de corruption Petrobras qui éclabousse sa coalition parlementaire en lambeaux et a fait plonger sa popularité au plus bas. Le camp présidentiel lutte sur deux fronts au parlement: le juridique à la tribune pour dénoncer l'illégalité de la procédure de destitution, le politicien en coulisses pour tenter de s'assurer le soutien des députés hésitants en échange de postes dans la machine gouvernementale. Lundi soir, l'ancien ministre de la Justice de Dilma Rousseff et actuel avocat général du Brésil, José Eduardo Cardozo, est monté au créneau pour défendre la présidente devant les 65 députés de la Commission spéciale du Congrès chargés de soumettre à leur assemblée plénière un rapport non contraignant en faveur ou contre la destitution. Les tours de passe-passe budgétaires reprochés à Mme Rousseff ne constituent pas un crime de responsabilité prévu dans la constitution comme la condition indispensable pour justifier la destitution du chef de l'Etat, a-t-il affirmé. Ce qui est en jeu, c'est la démocratie au Brésil, l'Etat de droit. S'il n'y pas de crime de responsabilité établi, alors ce serait un coup d'Etat, une violation de la Constitution, un affront à l'Etat de droit, sans besoin de recourir aux baïonnettes, a-t-il martelé, mettant en garde les députés contre une erreur historique. Nous ne sommes pas dans un régime parlementaire. Dans un régime présidentiel comme le nôtre, la destitution du chef de l'Etat élu par le peuple est une mesure d'une exceptionnelle gravité qui ne peut se fonder sur son impopularité, a argumenté M. Cardozo. Le défenseur de la présidente a fustigé le vice originel d'une procédure lancée par le président du Congrès des députés, Eduardo Cunha, farouche adversaire de la présidente, pour se venger de la procédure disciplinaire lancée contre lui au parlement en raison des lourds soupçons de corruption pesant sur lui dans le dossier Petrobras.
Maître chanteur Le Brésil est à la merci d'un maître changeur, a lancé M. Cardozo. La chaîne de télévision du Congrès des députés à coupé la retransmission en direct de son intervention au moment où M. Cardozo attaquait M. Cunha, qui a dénoncé une défense indigne de la présidente. La Commission spéciale parlementaire sur l'impeachment, dont 36 des 65 membres sont cités dans des enquêtes judiciaires, doit remettre son rapport en début de semaine prochaine à l'Assemblée plénière dont le vote pourrait intervenir autour du 15 avril. L'opposition devra obtenir l'approbation des deux tiers des députés (342) pour que la demande de destitution se poursuivre au Sénat qui aurait ensuite le dernier mot. Dans le cas contraire, la procédure serait immédiatement enterrée. Le gouvernement, lâché la semaine dernière par le pilier centriste de sa coalition, le PMDB du vice-président Michel Temer, exerce un lobbying forcené au parlement pour faire avorter la procédure. Aidé en coulisses par l'ex-président Luiz Inacio Lula da Silva (2003-2010), il s'efforce de s'assurer du soutien d'élus de partis secondaires du grand centre mou de sa coalition, en leur offrant les postes jusqu'alors occupés par le PMDB dans la machine gouvernementale. Mme Rousseff devrait annoncer prochainement un remaniement ministériel faisant la part belle à ces formations. Elle a renvoyé lundi le président de l'Institut brésilien du Tourisme (Embratur), Vinicius Renê Lummertz Silva, nommé en 2015 par le vice-président Michel Temer qui lui succèderait si elle était destituée. La présidente est dans les cordes. Sa cote de popularité stagne à un niveau historiquement bas de 10% et 68% des Brésiliens souhaitent son départ. Mais contrairement à elle, certains de ses plus farouches adversaires sont personnellement visés par des soupçons de corruption dans l'affaire Petrobras. En particulier le président du Congrès des députés Eduardo Cunha (PMDB) qui a caché des millions de dollars d'origine douteuse sur des comptes en Suisse. Le nom du vice-président Temer est également cité mais il ne fait pas l'objet de poursuites à ce stade, tout comme celui du Sénat, Renan Calheiros (PMDB), quatrième dans l'ordre de succession.