Usines saisies, entrepreneurs menacés de prison, exercices militaires en préparation : le Venezuela s'est réveillé dimanche au bord du chaos, le président Nicolas Maduro multipliant les mesures répressives et les déclarations incendiaires face à une menace extérieure. Depuis la fin 2015 et la victoire d'une coalition d'opposition aux élections législatives, ce pays pétrolier est confronté à une crise politique, économique et sociale qui attise les tensions. Coupures d'électricité quotidiennes, services publics ouverts uniquement deux jours par semaine, pillages de commerces, protestations : la situation dans le pays devient chaque jour un peu plus chaotique. Samedi, le gouvernement chaviste (du nom du président défunt Hugo Chavez, au pouvoir de 1999 à 2013 et mentor de Nicolas Maduro) et l'opposition se sont, une nouvelle fois, défiés par manifestations interposées. Devant des milliers de partisans rassemblés dans le centre de Caracas, le chef de l'Etat aux abois a brandi la menace d'une intervention armée venue de l'extérieur, sans en désigner clairement l'origine. En réponse, Nicolas Maduro a ordonné pour le 21 mai des exercices militaires nationaux des Forces armées, du peuple et de la milice pour nous préparer à n'importe quel scénario envisageable. Selon lui, au cours d'une réunion à Miami avec des dirigeants de l'opposition vénézuélienne, l'ancien président colombien Alvaro Uribe aurait appelé à une intervention armée. Faisant le parallèle avec le Brésil, où la présidente de gauche Dilma Rousseff a été écartée du pouvoir par le parlement dans l'attente de son procès en destitution, Nicolas Maduro a de nouveau accusé les Etats-Unis de vouloir en finir avec les courants progressistes en Amérique latine. D'après le Washington Post, des responsables des services de renseignement américains estiment que le gouvernement vénézuélien pourrait être renversé par une insurrection populaire cette année.
Etat d'exception Vendredi, le dirigeant socialiste vénézuélien avait annoncé qu'il décrétait l'état d'exception et d'urgence économique afin de neutraliser et mettre en échec l'agression extérieure. Dans le cadre de ce décret en vigueur, nous prenons toutes les mesures pour récupérer l'appareil productif qui est paralysé par la bourgeoisie. Quiconque veut arrêter (la production) pour saboter le pays devrait partir et ceux qui le font doivent être menottés et envoyés à la PGV (Prison générale du Venezuela), a déclaré M. Maduro face aux manifestants pro-gouvernement. Usine arrêtée, usine remise au peuple ! Vous allez m'aider à récupérer toutes les usines paralysées par la bourgeoise, a-t-il poursuivi. Pourraient être concernées quatre usines du groupe Polar, la plus importante société dans le secteur alimentaire au Venezuela, qui ont arrêté la production le 30 avril dernier. En face, l'opposition qui exige la tenue d'un référendum pour révoquer le président a également manifesté samedi et mis en garde contre un risque d'explosion du Venezuela. Nicolas Maduro l'accuse de vouloir perpétrer un coup d'Etat. L'urgence économique autorise le gouvernement à disposer des biens du secteur privé pour garantir l'approvisionnement des produits de base, ce qui, selon ses détracteurs, ouvre la voie à de nouvelles expropriations. Cette mesure a été prise pour déstabiliser le pays et empêcher le référendum, dénonce l'opposition. Le bras de fer entre chavistes et anti-chavistes s'est accentué depuis que l'opposition a rassemblé début mai 1,8 million de signatures en faveur du référendum pour révoquer le président Maduro, qu'elle souhaite organiser d'ici fin 2016.
Qu'est-ce que l'état d'exception ? Nicolas Maduro a annoncé l'état d'exception et d'urgence économique dans la nuit de vendredi à samedi, affirmant qu'il entrait en vigueur pour 90 jours et qu'il le prorogerait jusqu'en 2017. Il n'a pas détaillé le contenu du décret qui devrait être publié lundi et qui prolonge un décret d'urgence économique en vigueur depuis la mi-janvier et qui expirait samedi. Il a toutefois annoncé des manœuvres militaires la semaine prochaine pour affronter ce qu'il dénonce comme une menace extérieure, faisant référence aux Etats-Unis, qui justifie selon lui l'état d'exception. L'armée vénézuélienne a publié samedi un communiqué pour exprimer son rejet le plus ferme et catégorique de la campagne systématique qui consiste à discréditer et provoquer, orchestrée depuis l'étranger. Nicolas Maduro a également ordonné samedi la saisie des usines paralysées par la bourgeoisie et l'emprisonnement des entrepreneurs accusés de saboter le pays.
A quel point la situation économique est-elle grave ? Le Venezuela, autrefois riche producteur pétrolier grâce à ses réserves, les plus importantes au monde, est plongé dans une grave crise avec la chute des cours du brut, qui apporte 96% de ses devises. Le pays a subi en 2015 une inflation de 180,9%, une des plus élevées au monde, et un recul du PIB de 5,7%, pour la deuxième année consécutive. Un recul similaire et une inflation atteignant les 700% sont anticipés pour 2016. Coupures d'électricité quotidiennes, services publics opérationnels uniquement deux jours par semaines, pillages de commerces, protestations, lynchages: la situation devient chaque jour un peu plus chaotique. L'Etat pourrait être en défaut de paiement d'ici quelques mois.
Quels troubles ? Des manifestations, aussi bien contre le gouvernement que pour le soutenir, ont eu lieu. Des pillages ont aussi été rapportés, et le rationnement de l'électricité imposé pour faire face à la crise énergétique alimente un énorme mécontentement. Pour le moment, il n'y a pas de conflit ouvert dans les rues, mais les craintes d'une explosion sociale augmentent. Pour maintenir l'ordre, Nicolas Maduro compte sur la police et l'armée.
Maduro, impopulaire, résiste Le président vénézuélien est impopulaire: selon l'institut Datanalisis, sept Vénézuéliens sur dix désapprouvent sa politique. Le bras de fer entre chavistes et anti-chavistes s'est accentué depuis que l'opposition a rassemblé début mai 1,8 million de signatures pour lancer le processus d'un référendum pour révoquer le président, qu'elle espère organiser d'ici fin 2016. Mais le gouvernement a rejeté dimanche le référendum exigé par l'opposition, majoritaire aux trois cinquièmes au Congrès depuis les élections législatives de décembre. Les autorités électorales doivent encore se prononcer officiellement sur la recevabilité d'un référendum. Nicolas Maduro a martelé qu'il irait jusqu'au bout de son mandat, qui se termine en 2019. Il n'y a pas de signe d'une perte de l'appui au président des forces armées, qui ont soutenu son prédécesseur et mentor Hugo Chavez, mort en 2013.
Que pourrait-il se passer ? Les Etats-Unis, avec une histoire entachée par les manipulations politiques en Amérique latine pendant la Guerre froide, ont évité de commenter publiquement la crise vénézuélienne. Mais d'après le Washington Post, des responsables des services de renseignement américains estiment que le gouvernement vénézuélien pourrait être renversé par une insurrection populaire cette année. Maduro perpétue une rhétorique anti-américaine, utilisée avant lui par Chavez, et impute les difficultés du pays à des conspirations orchestrées par Washington. L'opposition a averti que l'état d'exception et les mesures répressives pour éviter un référendum révocatoire nourrissaient encore plus l'exaspération sociale et que l'absence de référendum pourrait provoquer une explosion. Analystes et observateurs anticipent les scénarios suivants: une rébellion publique, un coup d'Etat militaire, ou un gouvernement toujours plus autoritaire pour tenir à distance un éventuel conflit et se maintenir au pouvoir.