Cataclysme mondial ou événement essentiellement européen ? Wall Street, qui a déjà plutôt tenu le choc face à l'annonce d'un Brexit, devrait passer la semaine prochaine à en évaluer plus sereinement les conséquences spécifiques aux Etats-Unis. Depuis le précédent week-end, l'indice vedette Dow Jones Industrial Average a perdu 1,56% à 17 399,86 points et le Nasdaq, à dominante technologique, 1,92% à 4 707,98 points. L'indice élargi S&P 500 a reculé de 1,64% à 2 057,30 points. "Le monde était dominé vendredi par le vote en faveur d'un Brexit", a résumé Hugh Johnson, de Hugh Johnson Advisors. "Désormais, la question, c'est: Qu'est-ce que l'on fait, maintenant ?". Comme les autres grandes places mondiales, Wall Street a subi de plein fouet le choc du vote britannique en faveur d'une sortie du Royaume-Uni de l'Union Européenne, à l'issue du référendum de jeudi, alors qu'une bonne partie des investisseurs avaient passé le début de la semaine dans l'optimisme sur une victoire du maintien. Le succès du Brexit "est une surprise et, disons-le, une mauvaise", a reconnu M. Johnson. "C'est une mauvaise nouvelle pour le Royaume-Uni, donc c'est une mauvaise nouvelle pour tout le monde, dont les Etats-Unis. Les échanges commerciaux et les flux de capitaux vont s'en trouver affectés." Toutefois, la réaction de la Bourse de New York s'est révélée moins violente que les chutes de 7% ou 8% à Tokyo, Paris ou Francfort, sans parler d'effondrements de plus de 10% à Milan, Madrid ou Athènes. "C'est une mauvaise nouvelle, mais ce n'est pas la fin du monde !", a nuancé M. Johnson. "Cela ne va pas suffire à faire dérailler la reprise économique aux Etats-Unis."
Stabilisation ou baisse De fait, chez beaucoup d'observateurs, le ton semble moins à l'affolement qu'à la prudence, dans l'idée qu'il faudra attendre un certain temps pour évaluer précisément les conséquences économiques d'un Brexit aux Etats-Unis. "On va avoir un processus de digestion... Mais la digestion se fera beaucoup plus facilement de ce côté de l'Atlantique !", a assuré Gregori Volokhine, de Meeschaert Financial Services. "Si l'on regarde les groupes du S&P 500, 2,9% de leurs revenus viennent du Royaume-Uni", a-t-il précisé. "S'il y a une récession là-bas, on passera peut-être à 2,5%. L'effet direct sur les groupes aux Etats-Unis est extrêmement réduit et tout cela ne mérite pas plus que la baisse de 3%" observée vendredi par Wall Street. Les analystes américains se sont même empressés de remarquer que cet événement géopolitique inattendu n'encouragerait certainement pas la Réserve fédérale (Fed), banque centrale américaine, à limiter prochainement son soutien à l'économie. "Le Brexit a totalement fermé la porte à une hausse des taux cette année aux Etats-Unis", a estimé M. Volokhine. "Même si, vendredi, ce n'était pas dans la tête des investisseurs, cela va très vite leur venir à l'esprit que l'un des risques cette année pour les marchés, la hausse des taux, a été éliminé." Vu ces éléments contrastés, les commentateurs se montraient plus ou moins optimistes quant à l'état d'esprit de la prochaine semaine à Wall Street, une fois passée la stupeur initiale. "Je m'attends à de nouvelles baisses", a déclaré Tom Cahill de Ventura Wealth Management. "Certes, la réaction initiale a été plutôt limitée, ce qui est logique puisqu'un Brexit aurait beaucoup plus de conséquences au Royaume-Uni ou en Europe. Mais je pense qu'au cours du week-end, les petits investisseurs vont lire les journaux, avoir peur, et se mettre à liquider leurs positions en début de semaine." Il estimait par ailleurs que l'Europe resterait "sur le devant de la scène" avec des élections législatives dimanche en Espagne, puis un sommet extraordinaire des dirigeants de l'UE mercredi et jeudi. En revanche, pour M. Johnson, "la Bourse a des chances de se stabiliser au fur et à mesure que les économistes vont essayer de calculer les implications du Brexit pour l'économie mondiale et le niveau des actions". "Et puis on va se remettre à penser à la Fed et aux résultats d'entreprises du deuxième trimestre... Mais sûrement pas en début de semaine", a-t-il conclu.
Résistance à la panique Wall Street a fini la semaine sur une chute, sonnée après le choc provoqué par la décision des Britanniques de quitter l'Union européenne, sans toutefois céder à la panique. "C'est une grosse réaction, mais nous n'y voyons pas le début d'un renversement durable" des indices, a déclaré Jack Ablin, chez BMO Private Bank. La chute de Wall Street est restée toutefois bien plus limitée que celle de nombreuses places européennes comme Madrid (-12,35% à la clôture), Paris (-8,04) ou Francfort (-6,82%), et la situait plutôt parmi des places moins directement concernées par le Brexit comme Zurich (-3,44%). "Le marché américain des actions va-t-il bénéficier de l'idée qu'il est relativement sûr par rapport aux autres' Verra-t-on un renversement des marchés d'actions et d'obligations avec l'idée que la réaction immédiate au Brexit a été exagérée? Est-ce que ce scrutin britannique va déclencher une correction, ou pire, cet été? Tout est possible", a résumé Patrick O'Hare, de Briefing. Pour l'instant, le vote britannique "fait planer un énorme nuage d'incertitudes", a expliqué Peter Cardillo, chez First Standard Financial. Selon lui, "la baisse n'est pas près de s'arrêter car personne ne sait ce qui va se passer", ce qui conduit les investisseurs à chercher des valeurs refuges.
Les banques attaquées Pour l'instant, les investisseurs semblent se préparer à ce que la volatilité perdure. "On va voir d'autres journées comme aujourd'hui, car il va encore arriver que la sagesse collective se trouve prise en défaut", a dit Jack Ablin. Selon lui, le week-end va être "l'occasion de prendre du recul, de faire des lectures et des recherches et de voir où on peut peut-être tirer profit de la volatilité et essayer de se remettre à prendre des risques". Malgré des volumes d'échanges au plus haut depuis le début de l'année, les marchés américains "ont fonctionné très calmement aujourd'hui", s'est félicité par ailleurs Darrell Cronk, président du Wells Fargo Investment Institute. Comme souvent en période d'incertitude, les valeurs liées aux services de base ont été un refuge pour investisseurs prudents, restant le seul secteur en petite progression (+0,09%), les valeurs financières souffrant en revanche le plus (-5,41% globalement). Les banques d'affaires Goldman Sachs et Morgan Stanley ont dégringolé respectivement de 7,07% (à 141,86 dollars) et de 10,15% (à 24,52 dollars), les généralistes Citigroup et Bank of America étant également très atteintes: -9,36% à 40,30 dollars pour la première, -7,41% à 13,00 dollars pour la deuxième. Les valeurs liées à l'énergie ont aussi perdu du terrain, pénalisées par le recul des cours du pétrole: ExxonMobil a cédé 2,63% à 89,390 dollars, Chevron 2,43% à 101,90 dollars et la société de services pétroliers Halliburton 4,19% à 43,92 dollars. Le spécialiste des photocopieuses Xerox, en voie de scission, a chuté de 5,69% à 9,45 dollars après l'annonce que la patronne Ursula Burns cèderait son fauteuil à Jeff Jacobson, qui avait été embauché en 2012 et est notamment un ancien de Eastman Kodak. Il avait déjà été annoncé la semaine dernière que la branche services, rebaptisée iGate, serait dirigée par Ashok Venturi.
L'euro et la livre restent très bas La livre britannique et l'euro affichaient encore un net recul vendredi soir, 24 heures après le vote inattendu des Britanniques en faveur d'une sortie de l'Union européenne, mais remontaient nettement des abîmes dans lesquels les avait plongés le choc initial. Vers 21H00 GMT, l'euro valait 1,1112 dollar contre 1,1422 dollar jeudi vers la même heure. La monnaie unique est tombée vers 03H50 GMT vendredi à 1,0913 dollar, son niveau le plus faible depuis près de quatre mois. La monnaie européenne chutait face à la monnaie nippone, à 113,56 yens - tombant même vers 02H40 GMT à 109,57 yens, son niveau le plus faible depuis décembre 2014 - contre 121,66 yens jeudi soir. Le dollar baissait fortement face à la devise japonaise, à 102,21 yens -après être tombé vers 02H40 GMT à 99,02 yens, au plus bas depuis novembre 2013- contre 106,53 yens la veille. La livre britannique baissait toujours nettement face à la monnaie unique, à 81,31 pence pour un euro contre 76,30 pence jeudi soir. La livre est tombée vers 04H25 GMT à 83,14 pence, son niveau le plus faible depuis début avril 2014. La livre britannique continuait également à baisser face au billet vert, à 1,3670 dollar pour une livre contre 1,4974 dollar jeudi soir. La livre est tombée vers 04H25 GMT à 1,3229 dollar, au plus bas depuis septembre 1985. La devise suisse montait face à l'euro, à 1,0806 franc pour un euro, après avoir atteint vers 05H00 GMT 1,0623 franc, son niveau le plus fort depuis début août 2015. La monnaie suisse perdait du terrain face au dollar, à 0,9727 franc pour un dollar. La devise chinoise a terminé en forte baisse face au billet vert, à 6,6218 yuans pour un dollar à 15H30 GMT, son niveau le plus faible en fin d'échanges depuis janvier 2011, contre 6,5807 yuans jeudi à la même heure.