L'Amérique vend ses bijoux de famille. Plombées par la crise financière déclenchée par le marché du crédit immobilier à surprimes, les plus grosses banques d'affaires de Wall Street en sont réduites à courtiser, encore et encore, les fonds souverains des pays étrangers pour se renflouer. Merrill Lynch, le numéro un des maisons de courtage américaines, qui va annoncer des pertes faramineuses de 15 milliards de dollars - deux fois plus que prévu -, cherche ainsi d'urgence, pour la seconde fois en quelques mois, à vendre une partie de son capital. Et elle aurait trouvé acheteur auprès d'un fonds souverain du Moyen-Orient, croit savoir le Wall Street Journal. Fin 2007, le fonds souverain de Singapour, Temasek Holdings, avait racheté pour 4 milliards de dollars de parts de Merril Lynch. Citigroup avait, au même moment, vendu pour 7,5 milliards de dollars de parts au fonds souverain d'Abou Dhabi. Morgan Stanley avait demandé à la China Investment Corp d'injecter dans son capital 5 milliards de dollars. UBS, la banque suisse qui dispose de plus d'employés aux Etats-Unis que partout ailleurs dans le monde, s'était fait racheter pour 9,8 milliards de dollars de parts par un autre fonds souverain de Singapour, le GIC, non sans soulever les réticences du gouvernement suisse. Du coup, le Congrès américain commence à s'inquiéter des conséquences de cette razzia sur les piliers de la finance nationale. Au total, ces géants de Wall Street ont, en très peu de temps, levé pour plus de 29 milliards de dollars de fonds auprès de gouvernements étrangers, selon la compagnie d'études de marché Dealogic. «D'une manière générale, s'alarmait jeudi le sénateur de New York Charles Shummer, les investissements étrangers renforcent notre économie et créent de l'emploi. Mais les fonds souverains, qui par nature peuvent agir en fonction de facteurs indépendants de l'économie, nous inquiètent lorsqu'ils se mettent en position d'exercer un contrôle et une influence de plus en plus grands.». «C'est l'Amérique qui est à vendre !» s'exclamait hier un commentateur de la chaîne MSNBC. Cette «braderie» a toutes les chances de se poursuivre. Il suffit d'ouvrir les pages «affaires» des journaux américains pour noter l'absence quasi-totale depuis des semaines de bonnes nouvelles sur l'économie, hormis dans le secteur des exportations, dopées par la chute du dollar (1 dollar = 1,47 euro). Le taux de chômage grimpe à 5 %, la consommation baisse, les banques serrent les cordons du crédit, le marché de l'immobilier est anémique, le nombre de propriétaires incapables de payer leurs traites ne cesse d'augmenter, de plus en plus d'abonnés au téléphone ne paient plus leurs factures, le déficit s'épaissit… Le président de la Réserve Fédérale, Ben Bernanke, a dépeint jeudi une économie américaine «qui se détériore» et a prescritpour remède une nouvelle baisse des taux d'intérêts. Jusqu'alors, la Fed tentait de faire bonne figure en évoquant sobrement les «incertitudes concernant l'avenir». La presse américaine, elle, parle sans ambages d'une économie américaine «au seuil de la récession». Plus de 42 % des économistes interrogés hier par le Wall Street Journal prédisent une récession (ils n'étaient que 38 % a le croire en décembre).