Le manque d'investissement de l'industrie pétrolière pourrait entraîner un déficit de l'offre sur le marché pétrolier d'ici à quelques années, alors que l'or noir restera une énergie incontournable à l'horizon 2040, a prévenu l'Agence internationale de l'énergie (AIE). Plombé par la chute des cours du brut, qui ont perdu plus de la moitié de leur valeur depuis la mi-2014 et évoluent actuellement autour de 45 dollars le baril, le secteur pétrolier a drastiquement réduit ses investissements ces deux dernières années, annulant ou reportant des projets. Après un pic à 780 milliards de dollars en 2014, les investissements dans les projets d'exploration-production ont été réduits de près de 200 milliards en 2015 et ils devraient à nouveau être coupés de 140 milliards cette année. Cette baisse de l'investissement devrait participer au rééquilibrage du marché mais elle pourrait aller plus loin et entraîner "une sur-correction", avec une offre insuffisante, a prévenu l'AIE dans sa grande étude prospective annuelle. "Si les approbations de nouveaux projets demeurent faibles pour la troisième année consécutive en 2017, un équilibrage de la demande (...) et de l'offre paraît de plus en plus improbable au début des années 2020", alerte-t-elle, comme l'Opep avant elle. "Sur trois dollars investis par le secteur, un seul va à la hausse de la production, les deux autres servent à trouver de nouvelles ressources pour renouveler celles qui se tarissent", a rappelé le chef de l'AIE, Fatih Birol, lors d'une conférence de presse à Londres. Contrairement aux hydrocarbures de schiste américains qui peuvent répondre en quelques mois aux mouvements de prix, les projets conventionnels connaissent des cycles plus longs, avec des délais de trois à six ans entre la décision d'investissement et la première production, rappelle-t-elle. L'AIE estime à 700 milliards de dollars par an les investissements nécessaires dans l'exploration-production (soit 17.500 milliards sur 2016-2040) et à 80 dollars le baril le point d'équilibre entre offre et demande en 2020. Appétits divers La demande de pétrole continuera à croître pour sa part, d'environ 0,4% par an sur la période 2014-2040, même si cette augmentation ralentira fortement du fait de mesures d'efficacité énergétiques, de la réduction des subventions aux énergies fossiles ou de la remontée des prix. En 2040, la planète devrait consommer 103,5 millions de barils par jour, contre 92,5 mbj en 2015, selon le scénario central de l'agence énergétique, qui tient compte des engagements pris par les pays dans le cadre de l'Accord de Paris pour lutter contre le changement climatique. Mais en cas du déploiement de mesures plus contraignantes, qui permettrait de ramener les émissions de CO2 à un niveau suffisant pour limiter le réchauffement à 2°C, la consommation s'effondrerait à son niveau de la fin des années 1990, sous les 75 mbj. D'après le scénario central de l'AIE, la consommation d'or noir sera tirée par le transport de marchandises, l'aviation et l'industrie pétrochimique, "des secteurs où les solutions alternatives sont rares". En revanche, le développement de la voiture électrique devrait quelque peu peser sur la demande (-1,3 mbj environ). En termes géographiques, la perte d'appétit des pays développés de l'OCDE pour l'or noir (-12 mbj en 2040) sera compensée par la faim grandissante des autres pays (+19 mbj), notamment l'Inde qui constituera "la plus grande source de la future croissance de la demande", explique l'AIE. La Chine ravira pour sa part aux Etats-Unis le titre du pays le plus gourmand, au début des années 2030. Quant à l'offre, elle proviendra de plus en plus du Moyen-Orient, même si les perspectives sont plus robustes qu'anticipé précédemment pour le pétrole de schiste américain, qui culminera à plus de 6 mbj à la fin des années 2020 avant de décliner. La part de l'Opep dans la production mondiale devrait ainsi dépasser 50% d'ici à 2040. "Le monde deviendra de plus en plus tributaire de l'expansion de l'Iran (qui devrait atteindre 6 mbj en 2040) et de l'Irak (7 mbj en 2040) pour équilibrer le marché", prédit l'AIE. Au total, la demande totale d'énergie dans le monde augmentera de 30% d'ici à 2040, dont une part de 74% pour les énergies fossiles (contre 81% en 2014), la croissance "anémique" du charbon étant contrebalancée par le dynamisme du gaz naturel. Les cours tanguent entre Opep et dollar Les cours du pétrole ont achevé en légère baisse une séance incertaine jeudi, les investisseurs hésitant entre les espoirs sur l'issue d'une réunion de membres de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) et les effets négatifs de la force du dollar. Le prix du baril de light sweet crude (WTI), référence américaine du brut, a cédé 15 cents à 45,42 dollars sur le contrat pour livraison en décembre au New York Mercantile Exchange (Nymex). A Londres, le cours du baril de Brent de la mer du Nord a reculé de 14 cents à 46,49 dollars sur le contrat pour livraison en janvier à l'Intercontinental Exchange (ICE). Comme la veille, la séance a été très hésitante: les cours ont entamé la journée en hausse, gagnant jusqu'à un dollar le baril, avant de se replier dans les dernières heures d'échanges à New York. Derrière ces hésitations se trouvent deux éléments, a avancé Matt Smith, de ClipperData. La hausse, c'était une nouvelle fois lié à la perspective de développements favorables venus de l'Opep, a-t-il précisé. Le cartel domine largement les esprits des investisseurs depuis un mois et demi, car il a fait part fin septembre d'un projet d'accord entre ses membres pour baisser leur production, mais doit encore le concrétiser lors de son sommet du 30 novembre. Les derniers éléments en date étaient liés à une réunion à Doha, au Qatar, pendant laquelle plusieurs pays du cartel, en premier lieu son membre dominant l'Arabie saoudite, devaient rencontrer la Russie, qui n'appartient pas à l'Opep mais que les investisseurs espèrent voir rejoindre l'accord. J'aurais tendance à ne pas trop accorder de poids à cette réunion, mais on ne peut nier que le marché profite de la dynamique liée à d'éventuelles baisses de la production, a reconnu M. Smith. La Fed surveillée La grande majorité des analystes restaient prudents, par contraste avec un marché très sensible à tout signe venu de l'Opep et qui a notamment bondi en début de semaine à l'annonce de cette nouvelle réunion. Quelqu'un dit quelque chose d'encourageant et les cours monteront... Quelqu'un se montre sceptique sur un accord et les cours baisseront, a relativisé Bob Yawger, de Mizuho Securities. Je ne vois pas pourquoi on aurait des propos sceptiques. Ce serait se tirer une balle dans le pied. Qui plus est, la réunion de Doha a lieu en l'absence d'acteurs majeurs de l'Opep, notamment l'Irak et l'Iran, alors que ces deux pays ont largement contribué à semer le doute sur les chances d'un accord en accélérant nettement leur production en octobre. Il y aura probablement un accord pour limiter l'offre, puisque l'Opep doit bien se rendre compte qu'un échec aurait un effet franchement négatif sur les cours, a conclu dans une note Tim Evans, de Citi. En même temps, on peut douter que l'Opep parvienne d'un seul coup à passer d'une absence totale de limite à un système efficace de quotas. Second élément dominant jeudi, cette fois incontestablement négatif, le marché a été freiné par la force du dollar, a noté M. Smith. D'excellents indicateurs américains (...) ont fait monter le dollar au plus haut depuis 2003, ce qui plombe les cours du brut. Le dollar, dont la force nuit aux cours du pétrole, car ils sont libellés en monnaie américaine, et deviennent donc plus coûteux, a non seulement profité de bons chiffres sur la baisse du chômage et l'immobilier, mais aussi de propos devant le Congrès de Janet Yellen, la présidente de la Réserve fédérale (Fed). Baisse en Asie Les cours du pétrole étaient orientés à la baisse jeudi matin en Asie, l'annonce d'une hausse des réserves américaines de brut pesant davantage que l'espoir engendré par une rencontre russo-saoudienne pour tenter d'avancer sur un accord international de baisse de la production. Vers 02h15 GMT, le baril de light sweet crude (WTI), référence américaine du brut, pour livraison en décembre, reculait de 4 cents à 45,53 dollars dans les échanges électroniques en Asie. Le baril de Brent, référence européenne, pour livraison en janvier, cédait 11 cents à 46,52 dollars. Les stocks de brut ont monté de plus de cinq millions de barils la semaine dernière aux Etats-Unis tandis que les réserves d'essence et de produits distillés (fioul...) ont observé des progressions plus modestes mais inattendues. Une hausse des réserves américaines est interprétée comme le signe d'une demande en berne au sein de la première économie de la planète. Or les cours sont depuis deux ans plombés par une offre largement excédentaire. C'était avec l'idée de soutenir les prix que l'Opep a décidé fin septembre de réduire sa production. Mais depuis lors, de nombreux investisseurs s'inquiètent de la capacité du cartel à mettre en œuvre cet accord. L'annonce d'une rencontre jeudi entre la Russie - non membre de l'Opep - et l'Arabie saoudite, sans l'Iran et l'Irak, pour discuter d'une réduction de la production leur a redonné un peu d'espoir. Hausse plus marquée que prévu des stocks US Les stocks de pétrole brut ont nettement plus progressé que prévu la semaine dernière aux Etats-Unis mais la production a baissé, selon des chiffres publiés par le département de l'Energie (DoE). Lors de la semaine achevée le 11 novembre, les réserves commerciales de brut ont progressé de 5,3 millions de barils à 490,3 millions de barils, alors que les experts interrogés par l'agence Bloomberg ne s'attendaient qu'à une hausse d'un million. Les chiffres officiels du DoE témoignent également d'une avancée plus marquée que l'avaient fait la veille au soir les estimations privées de la fédération professionnelle American Petroleum Institute (API), même si elles annonçaient déjà une nette hausse. A ce niveau, les réserves américaines commerciales de pétrole brut s'inscrivent en hausse de 7,7% par rapport à la même période en 2015 et passent au-dessus de la limite supérieure de la fourchette moyenne à cette époque de l'année. Selon les chiffres du DoE, les réserves d'essence ont avancé de 700.000 barils, alors que les analystes compilés par Bloomberg prévoyaient une baisse de 1,1 million. Elles affichent une hausse de 3,5% par rapport à la même époque de l'année précédente et restent bien supérieures à la limite supérieure de la fourchette moyenne à cette période. Quant aux stocks de produits distillés (gazole, fioul de chauffage, kérosène), ils ont monté de 300.000 barils, alors que les experts interrogés par Bloomberg comptaient sur un déclin de 1,75 million. Ils s'inscrivent en hausse de 6,1% par rapport à la même époque de 2015 et restent, eux aussi, bien au-dessus de la limite supérieure de la fourchette moyenne à cette période. Hausse à Cushing La production américaine a interrompu son rebond des précédentes semaines en reculant de 11.000 barils par jour (bj) à 8,681 millions de bj. Les réserves de brut du terminal de Cushing (Oklahoma, Sud), très surveillées car elles servent de base à la cotation du pétrole à New York, ont avancé de 700.000 barils à 59,2 millions. Toutes catégories confondues, les stocks américains pétroliers ont augmenté de 7,1 millions de barils. Les raffineries américaines ont nettement accéléré la cadence, fonctionnant à 89,2% de leurs capacités contre 87,1% la semaine précédente. Du côté de la demande, sur les quatre dernières semaines, les Etats-Unis ont consommé en moyenne 20,0 millions de bj de produits pétroliers, soit une hausse de 1,1% par rapport à la même époque de l'an dernier. Durant la même période, la demande d'essence a reculé de 0,3% et celle de produits distillés de 1,4%, dans les deux cas sur un an.