L'économie mondiale ne s'était plus portée aussi bien depuis des années : les marchés boursiers renouent avec des records, les cours du pétrole sont repartis à la hausse et les craintes d'atterrissage brutal de l'économie mondiale, si présentes il y a un an, se sont estompées. C'est pourtant dans une atmosphère tout sauf joyeuse que les dirigeants politiques, grands patrons et banquiers influents se retrouvent comme chaque mois de janvier au Forum économique mondial de Davos, dans les Alpes suisses. Sous le vernis d'optimisme quant aux perspectives économiques mondiales perce une réelle inquiétude au sujet d'un climat politique de plus en plus toxique et des incertitudes énormes entourant la présidence de Donald Trump, qui entrera à la Maison blanche au dernier jour du WEF (World Economic Forum). L'an dernier, personne à Davos n'imaginait que le trublion républicain puisse être élu président des Etats-Unis. Sa victoire au soir du 8 novembre, moins de six mois après le vote britannique en faveur d'une sortie de l'Union européenne, a fait l'effet d'un pied de nez aux principes chers à l'élite de Davos, de la mondialisation au libre-échange en passant par le multilatéralisme. Le nouveau président américain se retrouve ainsi figure de proue d'un courant populiste qui gagne du terrain dans le monde développé et menace l'ordre démocratique libéral en place depuis l'après-guerre. Avec les élections à venir cette année aux Pays-Bas, en France et en Allemagne, et peut-être en Italie, la tension est palpable chez les participants au WEF. "Quel que soit votre point de vue sur Trump et ses prises de position, son élection a entraîné un sentiment profond, très profond, d'incertitude qui fait forcément planer une ombre sur Davos", déclare Jean-Marie Guéhenno, spécialiste des relations internationales et P-DG de l'International Crisis Group, un think tank spécialisé dans la résolution de conflits. Moises Naim, de la fondation Carnegie pour la paix internationale, est encore plus direct : "Il y a un consensus qui se dégage pour dire qu'il se passe quelque chose d'énorme, de portée mondiale et par bien des aspects inédit. Mais nous n'en savons pas les causes, ni comment faire." "Réactif et responsable" Les intitulés des tables rondes du Forum économique mondial, qui se déroulera du 17 au 20 janvier, disent bien ce nouveau paysage mouvant. "Pris en tenaille et en colère : comment régler la crise des classes moyennes" ; "Politique de la peur ou rébellion des oubliés ?" ou "l'ére post-UE" figurent parmi les thèmes proposés sur le site internet (en anglais) du Forum. La liste des participants est également parlante. La "guest star" sera Xi Jinping, premier président chinois à se rendre au WEF. Sa présence témoigne du poids croissant de la Chine dans le monde au moment où Donald Trump promet une Amérique plus repliée sur elle-même et où l'Europe se concentre sur ses propres difficultés, du Brexit à la menace terroriste. La Première ministre britannique Theresa May, en poste depuis juillet avec la tâche difficile de sortir son pays de l'UE, sera également présente contrairement à la chancelière allemande Angela Merkel, une habituée de Davos dont la conception du pouvoir aurait pourtant bien cadré avec le thème principal du Forum cette année, "Leadership réactif et responsable." La question centrale à Davos, où tables rondes, ateliers, déjeuners et cocktails traiteront pendant quatre jours de sujets aussi divers que le terrorisme, l'intelligence artificielle ou le bien-être, sera peut-être une opportunité pour l'élite mondiale de s'entendre sur les raisons profondes du désenchantement des populations vis-à-vis d'elle et de commencer à articuler une réponse. Suma Chakrabarti, président de la Banque européenne de Reconstruction et de Développement (Berd), veut croire à l'avènement d'une "version moderne de la mondialisation" mais reconnaît que cette vision nouvelle ne s'imposera pas en un jour. "Il faudra du temps pour persuader les gens qu'il peut y avoir une autre approche. Mais il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain", a-t-il dit à Reuters. Le rythme des innovations technologiques et les imbrications entre pays inhérentes à la mondialisation limitent la capacité des dirigeants politiques à modeler et à contrôler les événements, reconnaissent d'autres participants au Forum. La crise financière de 2008-2009 et la crise migratoire de 2015-1016 en Europe ont souligné l'impuissance des politiques, renforçant le désenchantement des électeurs et la tentation de se tourner vers des explications et solutions simplistes. Le problème, note Ian Goldin, expert en développement et en mondialisation à l'Université d'Oxford, est que seule une coopération multilatérale peut donner des résultats pour des sujets aussi complexes que le changement climatique ou la réglementation financière. Or le multilatéralisme est précisément ce que les populistes rejettent. "La parole politique ne s'était pas aussi mal portée depuis longtemps", conclut-il. Les chefs d'entreprise plus confiants qu'en 2016 Les patrons de firmes mondiales se montrent un peu plus confiants que l'an dernier sur la situation économique et leurs propres perspectives mais ils s'inquiètent à plus long terme des conséquences des récents bouleversements politiques, montre une enquête de PricewaterhouseCoopers (PwC) publiée lundi à la veille de l'ouverture du Forum économique mondial de Davos. Vingt-neuf pour cent des près de 1 400 chefs d'entreprise interrogés disent prévoir une accélération de la croissance mondiale cette année, alors qu'ils étaient 27% en 2016. Ils sont 38% à se dire très confiants dans leur capacité à augmenter la croissance de leur chiffre d'affaires en 2017, contre 35% il y a un an -- une proportion qui était la plus faible depuis six ans. Les perspectives l'an dernier à la même époque étaient assombries par la chute des cours du pétrole, les craintes d'atterrissage brutal de l'économie chinoise et les incertitudes autour de l'élection présidentielle américaine, a expliqué à Reuters Bob Moritz, le coordinateur de l'étude chez PwC. "Ils (les chefs d'entreprise) s'inquiètent de plus de choses car le monde est devenu plus difficile. Les risques dont ils se préoccupent sont des risques à plus long terme", a-t-il dit, ajoutant que l'étude ne portait que sur les 12 prochains mois, une période trop courte pour dégager toutes les conséquences d'une présidence Trump ou du Brexit. Mais à court terme, la résistance, par exemple, de l'économie britannique à la perspective de sortie de l'Union européenne, après le référendeum du 23 juin, rend confiant. Pour ce qui est d'embaucher, plus de la moitié des patrons disent qu'ils comptent augmenter leurs effectifs cette année. Néanmoins, en dépit du léger mieux attendu pour cette année, la confiance des chefs d'entreprise reste un peu en deçà de ce qu'elle était en 2014 et en 2015 et très éloignée de ses niveaux antérieurs à la crise financière mondiale. La principale différence entre avant et après est que les craintes sont maintenant d'ordre politique et non économique. "D'un point de vue économique, la plupart des client auxquels nous nous adressons sont moins inquiets et certains sont même optimistes", dit John Aurik, directeur général d'AT Kearney, un consultant concurrent de PwC. "Mais pour ce qui est du risque géopolitique, c'est la grande inconnue pour tout un chacun".