Washington a commencé à remettre en cause la doctrine mondiale en faveur du libre-échange et du multilatéralisme, ainsi que la lutte contre le changement climatique, lors d'une réunion du G20 finances qui s'est achevée samedi en Allemagne, première sortie importante du nouveau secrétaire au Trésor Steven Mnuchin. Cette réunion de Baden-Baden (sud-ouest) était la première pour l'administration du nouveau président américain Donald Trump, qui affiche des positions hostiles au libre-échange et climato-sceptiques, à rebrousse-poil de celles du G20, ce groupe des pays les plus puissants du monde, résolument libre-échangiste. Les Etats-Unis sont parvenus à faire retirer du communiqué final le mot "protectionnisme" et évoquer une renégociation de l'OMC. Selon plusieurs sources, M. Mnuchin a très peu parlé pendant les débats, et à l'issue de deux jours de réunion, si Washington n'a pas rompu avec le G20, d'importantes divergences ont été confirmées. Depuis des années, le G20 reprenait comme une antienne une phrase condamnant le protectionnisme. Steven Mnuchin a bloqué cette référence, et les membres se son échinés en vain à trouver une formulation satisfaisante pour tout le monde sur le commerce mondial. Face au blocage, les ministres ont choisi une phrase sans grande signification: "nous travaillons à renforcer la contribution du commerce à nos économies". Il faut comprendre : "nous ne sommes pas d'accord avec les Etats-Unis", et faute d'accord, le communiqué assure le service minimum a décrypté le ministre français des Finances Michel Sapin, pour qui ce choix ne traduit pas un recul, mais un blocage de la situation. M. Mnuchin a lui estimé en conférence de presse que "la formulation historique (des précédents G20) n'était pas pertinente". Au-delà des mots Mais au-delà de la querelle sémantique, cette réunion de Baden-Baden signale aussi une volonté américaine de remise en cause du multilatéralisme (organisation des relations entre un pays et tous les autres plutôt que de pays à pays) dans la marche de l'économie mondiale, ce multilatéralisme n'était pas jugé efficace pour protéger les citoyens américains des effets néfastes de la mondialisation. M. Mnuchin a ainsi déclaré que les Etats-Unis n'excluaient pas de renégocier les accords de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), socle de la libéralisation des échanges depuis 1995, qui a connu plusieurs revers et se voit concurrencé par de plus en plus d'accord commerciaux régionaux (que l'administration Trump entend aussi remettre en cause d'ailleurs). "Nous pensons que certaines parties de l'OMC ne sont pas appliquées, et nous allons tenter avec pugnacité de les faire appliquer dans l'intérêt des travailleurs américains", a déclaré M. Mnuchin lors d'une conférence de presse, ajoutant: ces "accords sont de vieux accords et s'ils ont besoin d'être renégociés, nous envisagerons cela également". M. Sapin a d'ailleurs pointé que pendant les négociations, "le texte américain ne comprenait plus les processus multilatéraux", signe de la défiance américaine. Pour autant, plusieurs ministres, dont l'Allemand Wolfgang Schäuble ont insisté sur certaines avancées validées par le G20, que ce soit sur les questions de taux de change, de fiscalité, de lutte contre le financement du terrorisme, où ce fut un G20 de continuité par rapport aux précédents. "Les Américains n'ont pas été isolés. C'est le rôle de la présidence (du G20) de réunir, pas d'isoler", a déclaré lors de la conférence de presse finale M. Schäuble, alors que l'Allemagne a tout fait pour éviter une esclandre en place publique. M. Sapin a lui parlé d'un "désaccord entre un pays et tous les autres", faisant part de ses "regrets" tandis que la directrice générale du Fonds monétaire international Christine Lagarde estimait que l'administration américaine était encore en phase "d'adaptation". Impasse sur le climat Sur le climat également le G20 a fait un impasse, en ne mentionnant pas l'accord de Paris de 2015 qui figurait dans les précédents communiqués. Sur ce point, M. Mnuchin a évoqué un problème de périmètre plutôt qu'une volonté politique: "Ce n'est pas mon domaine". "L'administration (américaine) aura son opinion sur le sujet". Au final, M. Schäuble a prétendu que "le G20 (était) plutôt renforcé qu'affaibli". Le Commissaire européen aux Affaires économiques Pierre Moscovici était plus modéré, parlant d'une "réunion compliquée avec une conclusion temporaire qui aurait pu être meilleure". "Temporaire" car les impasses des ministres des Finances sur le commerce et le climat impliquent que ce sera aux chefs d'Etat et de gouvernement de trancher en juillet à Hambourg (nord de l'Allemagne) lors du sommet des chefs d'Etat et de gouvernement du G20, auquel participera Donald Trump. Rendez-vous en juillet "Je regrette que nos discussions aujourd'hui n'aient pas pu aboutir de manière satisfaisante sur deux priorités absolument essentielles dans notre monde actuel et sur lesquelles la France souhaite que le G20 continue à agir fermement et de manière concertée", a réagi Michel Sapin. Il a toutefois estimé que ces absences ne traduisaient pas un recul ou une inflexion de la gouvernance mondiale. "Il n'y a aucun infléchissement de la position du G20, c'est parce qu'il n'a pas voulu infléchir sa position qu'il n'y a pas eu de mention" sur le libre-échange et Paris, a-t-il assuré. La formule choisie sur le commerce mondial signifie: "Nous ne sommes pas d'accord avec les Etats-Unis", a-t-il commenté. L'Allemagne, qui préside le G20 cette année et qui a beaucoup oeuvré pour éviter un esclandre ou une fracture ouverte visible de tous, a aussi tenu à minimiser la portée de ces inflexions à la doctrine du G20. "Les Américains n'ont pas été isolés. C'est le rôle de la présidence (du G20) de réunir, pas d'isoler", a déclaré lors de la conférence de presse finale le ministre allemand des Finances Wolfgang Schauble. D'un point de vue plus général, les ministres et participants ont relevé que la croissance de l'économie mondiale était en progrès. "La croissance se renforce autour du monde", a déclaré la directrice générale du FMI Christine Lagarde dans un communiqué. Sur les autres sujets traditionnels du G20, lutte contre l'évasion fiscale, le blanchiment, ou encore réforme de l'architecture financière internationale, le communiqué est dans la continuité de ses précédents. De même pour les changes, un sujet pourtant potentiellement sensible compte tenu des récentes déclarations de l'administration américaine sur la devise chinoise ou européenne. Parmi les sujets nouveaux, le G20 s'est également inquiété des conséquences potentielles de la cyber-criminalité sur les systèmes financiers internationaux, demandant au conseil de stabilité financière (FSB) de faire un état des lieux des normes et pratiques en la matière. Les ministres ont aussi donné leur aval à un plan en faveur de l'Afrique destiné à favoriser l'investissement privé sur ce continent, et ont aussi entériné l'idée de la publication en juillet d'une liste de pays non coopératifs en matière de fiscalité, liste qui devra être assortie d'un éventail de sanctions. Face à l'impasse des ministres des Finances sur le commerce et le climat, la responsabilité de trouver une solution, ou d'entériner une rupture, risque de revenir aux chefs d'Etat et de gouvernement qui doivent se réunir en juillet à Hambourg. "La lutte contre le changement climatique nécessite la mobilisation de l'ensemble des pays du G20, y compris dans son volet financement. Je suis convaincu que les chefs d'état et de gouvernement réaffirmeront en juillet prochain l'engagement plein et entier de la communauté internationale envers l'Accord de Paris", a déclaré M. Sapin.