Le sommet du G20 s'est achevé à Hamburg… le sommet était tendu du fait de ses fractures internes. Faisons un point là-dessus. Les médias regrettent à l'avance l'absence de "résultats", ce mot totem de la gouvernance mondiale, qui réclame "des actions globales pour des problèmes globaux", selon la formule consacrée. Mais aujourd'hui le premier des problèmes globaux est très précis: le Secrétaire-Général du G20, Steven O'Brien, n'y allait pas par quatre chemins dans un texte introductif (je cite): "De nombreuses certitudes ont été ébranlées [l'année passée], dans de nombreux pays les idées nationalistes et populistes sont entrées dans le mainstream politique". Eh oui, Trump est dans tous les esprits, il est le centre de toutes les attentions. Angela Merkel, accueillant ce sommet dans sa ville natale, semble faire du libre-marché son souci premier: "Il ne peut y avoir de retour à un monde pré-mondialisation" annonçait-elle, elle aussi inquiète devant les velléités protectionnistes américaines. Et puis aussi sur l'environnement: comment Trump va-t-il s'extraire de l'accord de Paris sur le climat? Autre point paradoxalement non négligeable: aucune "macronmania" n'est à remarquer ici à Hambourg… "Angela" est un mot clé davantage utilisé que "Macron". Le fait est que la chancelière allemande s'impose comme le capitaine de l'équipe européenne. Face à Donald Trump, donc.
Cela fait deux fractures, et la troisième? Le G20 lui-même est éclipsé par la grande rencontre entre Vladimir Poutine et Donald Trump. Newsweek titrait en toute simplicité "La poignée de main de Trump et Poutine ouvrira l'ère olympique des postures machos." Cette première poignée de mains a mis tous les journalistes en émoi. Malgré l'inconstance du populiste américain élu depuis cinq mois et la constance de celui qui dirige la Russie depuis près de vingt ans, les médias aiment les assimiler. A un détail près évidemment: "On le sait, Vladimir Poutine est rompu à ce type d'exercice et il est également un maître de la manipulation" affirmait sans sourciller un journaliste de BFMTV.
Dans quel état d'esprit est-il arrivé? Revenons sur le discours de Trump hier, en Pologne, qui a fait grand bruit et permet de cadrer certaines choses. Comme à son habitude, Donald Trump a fait quelques déclarations fracassantes, comme à son habitude avec son index en l'air, évidemment: (je cite) "La question fondamentale de notre temps est de savoir si l'Occident a la volonté de survivre… l'Occident ne sera jamais brisé, nos valeurs prévaudront. Notre peuple prospérera et notre civilisation triomphera." Trump faisait avant tout référence aux frontières, alors que la Pologne entend contredire Bruxelles et Angela Merkel sur l'accueil de migrants, et alors que l'immigration est à l'ordre du jour du G20. Mais un tel discours, prononcé en Europe de l'Est n'est pas anodin non plus. Trump a évoqué les dangers "au Sud" mais aussi (je cite) "à l'Est". Et il a de surcroît appelé la Russie à "rejoindre la communauté des nations responsables dans notre combat contre des ennemis communs et la défense de la civilisation". La Russie serait donc une puissance irresponsable. Et comme si cela ne suffisait pas, Trump a qualifié l'action russe de "déstabilisatrice", avec à l'esprit la Syrie et l'Ukraine et son lien avec l'Iran. Mais cela dit, n'exagérons rien, Trump n'est pas sur le point de nourrir une nouvelle guerre froide, entre l'Occident et l'empire russe: la référence à la Russie était marginale, non centrale. Peut-être essaie-t-il de donner des gages face à la pression politico-médiatique américaine. "Oui, la Russie a peut-être fait cela" a-t-il déclaré, évoquant les accusations d'ingérence russe durant la présidentielle américaine. Les médias répètent cela en boucle, quitte à l'extraire de son contexte. Car l'essentiel est dans le "peut-être": par ce "peut-être", Trump tempère les accusations catégoriques des 17 agences de renseignement américaines!
Et côté russe, comment Poutine a-t-il appréhendé ce sommet? Côté russe, on croirait lire le fameux mémo de 1999 de Vladimir Poutine, quand celui-ci plaidait pour une ouverture des marchés russes. Celui-ci entend batailler contre le protectionnisme. Ceci lui permet donc de souligner les contradictions d'Angela Merkel, favorable aux sanctions contre la Russie. Je cite: "Le commerce illégal et les restrictions financières aux implications politiques visent en réalité à éliminer les concurrents et mènent à la réduction des contacts d'affaires ainsi que la perte de confiance entre les acteurs économiques, déchirant ainsi le tissu de l'économie mondiale". Idem pour l'accord de Paris: "La Russie considère l'accord de Paris signé en avril dernier comme base légale internationale permettant un travail commun à long terme en matière de règlement climatique". Vladimir Poutine n'est donc pas là pour critiquer de front les autres dirigeants, comme il avait pu le faire à Munich il y a dix ans, quand il avait vertement critiqué l'ordre mondial, l'unilatéralisme américain et la mentalité de guerre froide de Washington. Les choses ont évolué en une décennie. Les fractures et rapports de force nombreux. Nous sommes alors en droit de penser que le G20 d'Hamburg pourrait bien être le premier sommet d'un monde multipolaire qui verrait l'émergence d'alliances changeantes et de rapports bilatéraux, selon des principes bien sûr, mais aussi en fonction de problématiques particulières.
Des rapports bilatéraux, comme la rencontre Trump/Poutine, tant attendue ? La première rencontre semble s'être passée de manière très courtoise: "Tout s'est très très bien passé, c'est un honneur d'être avec vous" a déclaré Trump accompagné de Rex Tillerson. "Il est clair que les conversations téléphoniques ne sont pas suffisantes si nous souhaitons résoudre les questions les plus essentielles" a répondu Poutine, Sergeï Lavrov à ses côtés. Mais on n'en sait pas davantage. Les journalistes américains ont hurlé pour savoir si Trump avait évoqué la question de l'ingérence russe, ils n'ont rien obtenu. Pour l'instant.